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Royaume-Uni : cap sur le Brexit dur !

Le futur probable premier ministre de Sa Majesté, Boris Johnson, le 4 juillet 2019, en visite de terrain dans le nord-est de l'Angleterre. Oli Scarff/AFP

La question peut paraître incongrue tant le Brexit est un sujet permanent de discussion politique depuis le référendum du 23 juin 2016. Pourtant, les atermoiements du Parlement britannique ont fini par écœurer les plus fins commentateurs, qui ne savent plus au fond si le Brexit va un jour avoir lieu.

Les élections des députés au Parlement européen ont poussé Nigel Farage hors de la retraite politique qu’il s’était octroyée, sans pourtant jamais renoncer à son mandat de député européen. Avec sa victoire dans les urnes, il revient, et avec lui le Brexit dur, au centre du jeu politique national.

Mais la démission de Theresa May, le 7 juin dernier, a ressuscité un autre personnage, Boris Johnson, qui trois ans après sera le prochain prime minister. Le Royaume-Uni reste décidément bien singulier : après avoir demandé le Brexit par référendum, demande confirmée par le gouvernement et le Parlement, les manifestants pro- et anti-Brexit ont envahi en mai 2019 les mêmes rues de Londres, comme si le Brexit était toujours incertain. Au point de rendre crédible pour quelques jours l’hypothèse d’un second référendum !

Les cartes sont à nouveau rebattues et, selon toute vraisemblance, le Brexit est devenu une priorité politique outre-Manche. Enfin, serait-on tenté de dire !

Le Brexit, un choix britannique

Demandé par référendum il y a trois ans, le Brexit entre en réalité depuis quelques semaines dans sa phase de lancement politique.

Les résultats du référendum avaient finalement surpris tout le monde, les Britanniques les premiers. Ils ont dû se mettre en ordre de bataille à marche forcée pour négocier le Brexit. Theresa May, tiède partisane du « Remain », a finalement mis une opiniâtreté peu commune à faire de la revendication politique du « Leave » une réalité juridique. Elle a négocié l’accord de Brexit avec l’Union européenne.

Elle a oublié sans doute de travailler à une majorité politique dans son parlement pour dépasser son propre parti divisé par le Brexit, finalement tout autant que le peuple britannique. Sa tactique a consisté à s’arc-bouter sur le référendum pour obtenir un accord de sortie de l’Union, en pensant que les parlementaires voteraient ensuite cet accord sous la contrainte du risque de désordre.

Partisans du Brexit dur (ce qui veut dire sans accord), soft (donc négocié avec les 27 États membres restant dans l’UE pour être organisé), du non-Brexit, du deuxième référendum se sont succédé dans l’enceinte surannée du Parlement britannique, sans parvenir à trouver d’autres solutions que de sacrifier Theresa May. Celle-ci n’a pas vu venir le danger tant elle était sûre d’avoir négocié le meilleur accord possible).

Theresa May, démissionnaire, à Bruxelles, le 30 juin 2019, pour son dernier sommet en tant que chef du gouvernement britannique. Kenzo Tribouillard/AFP

S’il y avait une leçon à tirer de cette farce tragi-comique, c’est que le débat politique ne peut plus être résumé au sentiment d’une urgente solution inéluctable. Le Brexit peut être négocié ou non, selon des modalités différentes, et ces options auraient dû faire l’objet d’une discussion politique au Royaume-Uni avant d’enclencher des négociations internationales avec l’Union européenne.

Les institutions européennes ont aussi porté le Brexit comme un fardeau. Ne voulant pas croire d’abord dans la possibilité de mettre un jour en œuvre l’article 50 TUE, elles ont ensuite réussi à défendre une unité des 27 États toujours membres de l’Union pour négocier le Brexit puis, dans un deuxième temps qui n’en finit pas de commencer, la future relation de l’Union avec un pays devenu tiers.

Elle a réussi, grâce à l’énergie de Michel Barnier, à mener à terme la négociation des 600 pages du traité de sortie. Mais elle est depuis dans l’expectative d’une décision britannique. L’Union européenne ne peut rien faire d’autre qu’attendre, comme d’ailleurs tous les citoyens et toutes les entreprises qui s’interrogent sur ce que sera le Brexit sans que personne n’apporte de réponse claire. L’incertitude politique devient le principal effet du Brexit, faisant monter la crise économique et politique.

Pour Boris Johnson, la voie est ouverte

La démission de Theresa May ouvre la voie au retour de Boris Johnson. Jouant d’une image de trublion politique, il construit très consciencieusement son arrivée au poste de premier ministre. Il clame haut et fort qu’il va renégocier l’accord du Brexit. Pour ce faire, il faudra non seulement que les Britanniques proposent concrètement une autre solution politique de sortie de l’Union que celle trouvée à grand-peine par Madame May avec 27 partenaires, mais aussi que les trois questions « préalables » au Brexit trouvent une issue différente de celle négociée dans l’accord de sortie. Ces trois questions sont la facture du « divorce », le devenir des citoyens européens au Royaume-Uni et la nécessité politique de maintenir ouverte la frontière entre les deux Irlandes.

Dans le même temps, au mois de mai, le Royaume-Uni a dû organiser des élections européennes. Le Brexit Party est arrivé en tête avec 30,74 % des voix. Le Brexit est donc toujours majoritaire parmi les électeurs. Les Liberal Democrats, largement anti-Brexit, arrivent en deuxième position avec moins de 20 % des votes, ce qui confirme aussi la division du pays. Le comportement des députés britanniques lors de la première séance du nouveau Parlement européen était donc déterminant.

Le parti du Brexit emmené par Nigel Farage s’est illustré, le 2 juillet 2019, en tournant le dos lors de l’Ode à la joie au Parlement européen. Difficile d’être plus clair : ces députés britanniques majoritaires en leur pays veulent le Brexit et se sentent déjà hors du jeu européen, sans plus vouloir montrer un quelconque sentiment d’appartenance collective. Le fait d’avoir dû organiser des élections au Parlement européen au Royaume-Uni a permis de faire émerger le Brexit, quelles qu’en soient les conditions, comme une option politique certaine. Reste encore et toujours à en dessiner les modalités.

La question irlandaise renforce l’hypothèse du Brexit dur

Pour renégocier un accord, il faudrait que Boris Johnson, s’il devient premier ministre, apporte un singulier changement politique. S’il refuse de payer la facture du divorce, il cristallise les oppositions des 27 qui auront beau jeu de refuser toute nouvelle négociation.

Il lui faut surtout trouver une nouvelle issue à la question de la frontière irlandaise, explosive au sens figuré comme au sens propre. Cette question ne peut être ignorée par Londres dans une renégociation de l’accord avec l’Union. L’Irlande exige que cette frontière reste ouverte, ce qui fut une condition de la paix du « Good Friday Agreement ». Theresa May avait promis une frontière invisible sans jamais avoir proposé de plan crédible pour y parvenir.

Les autres options juridiques sont finalement peu nombreuses : un statut spécial peut être négocié pour que l’Irlande du Nord reste dans une union douanière, de manière à éviter un retour du sentiment de frontière. C’était bien tout le sens du backlash, qui fit pourtant l’objet de toutes les critiques à Westminster.

On voit mal ce que Boris Johnson pourrait faire de différent, sauf à octroyer l’impensable, à savoir réunifier l’Irlande, pour que sa partie nord reste dans l’Union européenne. Le peu de solutions juridiques pour garantir la frontière irlandaise rend paradoxalement le Brexit dur plus probable qu’une renégociation de l’accord de sortie.

Les travaillistes n’ont d’ailleurs pas réussi à rallier des votes majoritaires pour éviter cette option. Boris Johnson refuse strictement tout nouveau référendum. Le Brexit sans accord avec l’Union est donc le nouvel horizon politique du Royaume… si, et seulement si, le Parlement parvient à trouver une majorité en ce sens, majorité par hypothèse transpartisane. La rupture bête et brutale devient crédible, alors qu’elle avait servi de repoussoir au gouvernement May.

La fin de l’influence britannique dans l’Union européenne

C’est bien aussi ce que montrent les derniers Conseils européens qui ont longuement débattu des propositions de noms pour les postes de présidents de la Commission et du Conseil européen, de directeur de la Banque centrale européenne et du Haut représentant pour les affaires étrangères. La première ministre britannique, sur le départ dans son pays, n’a pas pu peser dans les négociations, mettant finalement le Royaume-Uni hors jeu avant même le Brexit.

La sortie de l’Union européenne est donc inéluctable et enfin claire. Reste une inconnue : avant ou après Halloween. Le cauchemar d’un choix démocratique n’est pas encore tout à fait terminé.

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