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RT et Sputnik : comment les médias internationaux russes se restructurent après leur interdiction dans les pays occidentaux

Vladimir Poutine visite les locaux de RT à Moscou, le 10 décembre 2015, en compagnie de Margarita Simonian, rédactrice en chef de la chaîne RT, du site Sputnik et de l'agence d'informations Rossia Segodnia (en russe, la Russie aujourd'hui, soit le même nom que Russia Today). Kremlin.ru, CC BY-NC-SA

Le chercheur Maxime Audinet est l’un des meilleurs spécialistes français du complexe dispositif d’influence de la Russie, au cœur duquel se trouve le réseau RT (anciennement Russia Today). Son ouvrage très complet, « Un média d’influence d’État », paru en 2021, faisait déjà référence ; il ressort ces jours-ci, toujours aux éditions de l’INA, dans une version mise à jour et enrichie au regard des nombreux développements observés depuis que, le 24 février 2022, la confrontation entre la Russie et l’Ukraine, en cours depuis 2014, a pris une ampleur nouvelle. Nous vous en présentons ici quelques extraits où l’auteur revient sur les répercussions qu’a eues l’invasion à grande échelle de l’Ukraine sur la galaxie RT.


Un média sanctionné et interdit dans les pays occidentaux

Saper les capacités informationnelles de l’État agresseur russe après son invasion de l’Ukraine s’impose rapidement comme un objectif prioritaire parmi les « mesures restrictives » émises par l’Union européenne contre Moscou. Les médias russes transnationaux RT et Sputnik se retrouvent à ce titre en ligne de mire.

Le 1er mars 2022, quelques jours après le lancement de l’offensive, le Conseil de l’Union européenne adopte un règlement visant à lutter contre les « actions de propagande » mises en œuvre par la Russie pour « justifier et soutenir son agression de l’Ukraine ».

Le texte de mars 2022 […] conduit à la suspension de l’ensemble des canaux de diffusion numérique et audiovisuelle de RT et Sputnik sur le territoire de l’Union, à leur déréférencement des principaux moteurs de recherche, ainsi qu’à leur « déplateformisation », autrement dit la fermeture de leurs comptes et chaînes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Telegram, etc.).

[…]

Certaines rédactions cessent purement et simplement leurs activités, comme RT America (abandonné par ses plates-formes de distribution), RT UK (après la révocation définitive de la licence accordée par le régulateur britannique Ofcom), ainsi que les branches grecque, italienne, tchèque, polonaise et allemande de Sputnik.

[…]

En Allemagne, où la chaîne RT DE, à peine lancée, est interdite quelques semaines avant l’invasion […], la double rédaction berlinoise de RT (composée du site RT DE et de l’agence Ruptly) fait face à des départs massifs après le 24 février.

[…]

En France, les fonds de RT France sont gelés par la Direction générale du Trésor, rendant impossible la poursuite de ses activités. Dans une atmosphère particulièrement tendue, RT France est d’abord placée en redressement judiciaire en mars 2023, avant qu’un jugement en liquidation judiciaire ne soit acté par le tribunal de commerce de Nanterre le 7 avril 2023, entraînant avec lui le licenciement de plusieurs dizaines de salariés de la chaîne et du site qui avaient décidé de rester après les sanctions de mars 2022.

Un certain nombre d’employés de RT France trouvent progressivement des emplois dans l’écosystème médiatique « alternatif » ou de droite radicale et d’extrême droite française (CNews, Journal du dimanche, Omerta, Sud Radio, Prisma, Europe 1, etc.). Un de mes enquêtés, ancien de RT France, parle même d’un « effet de vase communicant » et de « passerelle » avec la chaîne d’opinion CNews, et plus largement des médias détenus par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, tout en indiquant que la plupart des autres rédactions ne répondent pas aux sollicitations de recrutement des anciens employés de la chaîne russe.

Après une phase de transition « saisissante » et marquée par un « sentiment de dépassement » de la direction, pour reprendre les mots de ce même enquêté à Paris, les rédactions de RT France et RT DE, et avec eux une partie importante de la production de leurs contenus, sont relocalisées au cours de l’année 2023 en Russie, au siège moscovite.

En quête de nouvelles audiences depuis 2022

Au-delà de ces manœuvres, RT tente de compenser la perte d’une partie des audiences occidentales par la recherche de nouveaux débouchés médiatiques.

[…] C’est surtout vers l’Afrique subsaharienne que les regards se tournent, parallèlement à une nouvelle phase d’expansion de la présence russe sur le continent. Ce tournant vers l’Afrique – principalement dans ses régions francophone et anglophone – concerne en premier lieu la rédaction francophone de Sputnik.

Sputnik France avait déjà consolidé son réseau de correspondants dès 2018, en amont du sommet Russie-Afrique de Sotchi. En août 2022, après avoir quitté la France et cessé de produire des contenus entre mars et juillet, le site en français de Sputnik, rebaptisé « Sputnik Afrique », rouvre dans les locaux moscovites de Rossia Segodnia avec une nouvelle identité éditoriale et un nouveau site (« sputniknews.africa »), qui remplace l’ancien nom de domaine « fr.sputniknews.com ». Sa branche anglophone Sputnik Africa ouvre en avril 2023, et la croissance de ses audiences africaines se confirme depuis lors.

[…]

Cet extrait est issu de « Un média d’influence d’État. Enquête sur la chaîne russe RT », de Maxime Audinet, qui vient de paraître aux éditions de l’INA.

En dépit des [déclarations des autorités russes sur la nécessité de développer la présence de RT en Afrique], de l’enregistrement en 2022 par TV-Novosti de plusieurs noms de domaine sans ambiguïté (rt-afrique.com, rtafrica.media, etc.), d’une campagne de recrutement de journalistes avortée au Kenya et de plusieurs annonces prônant un élargissement du réseau sur le continent, RT n’a toujours pas ouvert un bureau en Afrique subsaharienne au moment de l’écriture de ces lignes, fin 2023. La tendance n’en reste pas moins à la conquête de nouvelles audiences non occidentales, alors que la Russie cherche à préserver sa réputation et engranger des soutiens dans les pays du « Sud global », en parallèle du conflit de haute intensité dont elle est responsable en Ukraine.

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