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Les salariés des entrepôts d'Amazon était notamment contrôlés par le temps mis entre de scans de colis. Shutterstock

Sanction contre Amazon : comment penser la surveillance des salariés sans tomber dans l’excès ?

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) vient de condamner, après quatre années de procédure, le 23 janvier dernier la filiale française d’Amazon chargée des entrepôts logistiques à une amende d’un montant de 32 millions d’euros. Cela « notamment pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performance des salariés excessivement intrusif », selon le communiqué de la commission.

Le travail, comme l’a rapporté le quotidien Les Échos, y semble en effet strictement minuté. Chaque salarié doit enregistrer les colis préparés pour les clients à l’aide d’un scanner qui enregistre les données : les managers peuvent ainsi analyser le temps de latence entre deux scans. Ils disposent par la même d’un indicateur d’inactivité. On se situe dans une stricte logique de taylorisation du travail industriel, « chronométrant chacun des éléments des divers genres de travaux et trouver ensuite le temps minimum en additionnant les temps partiels » comme l’écrivait l’ingénieur Frederick Taylor au début du XXᵉ siècle. En France, l’introduction de ce système en novembre 1912 par Louis Renault dans huit de ses ateliers généra deux grèves successives.

S’agissant ainsi d’Amazon, on se situe ainsi au cœur d’une rationalisation on ne peut plus traditionnelle du travail combinée avec une innovation structurante, le commerce en ligne. Et si certaines tâches répétitives pourraient bientôt, comme l’a annoncé la firme de Seattle, être effectuées par des robots humanoïdes, ce contrôle peut s’exercer également dans un autre contexte et sous une autre forme auprès de « cols blancs ».

Le cas nous conduit en effet à interroger cette problématique managériale contemporaine que constitue cet arbitrage entre confiance envers ses équipes et lâché-prise d’un côté, et contrôle parfois excessif de l’autre.

La surveillance et le contrôle méticuleux débordent en effet largement le cas « usinier » d’Amazon. Le déploiement du télétravail dans la période récente a pu générer des pratiques de cybersurveillance fondées sur la suspicion et la méfiance, cela même alors que sous des formes atténuées elles peuvent toutefois présenter un intérêt pour les salariés.

Les ambiguïtés de la surveillance

Chargés officiellement d’identifier les salariés en surcharge de travail de manière à mieux les soulager, ou de faire respecter les règles de sécurité, des logiciels tels Activ Trak, InterGuard, Teramind, Desk Time, InnerActiv, peuvent devenir en réalité des manières de s’assurer de la productivité des télétravailleurs en contrôlant leur activité. D’autres plates-formes enregistrent les frappes sur les claviers des employés (keyloggers), de suivre l’historique du navigateur ou les mouvements de la souris. La vérification de la présence se réalise possiblement à travers le contrôle des heures de connexion, la fréquence des conversations audio, une webcam ou des captures d’écran.

Une étude menée en 2020 révélait déjà que 45 % de salariés travaillent dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance. Une autre, un an plus tard, établissait que 63 % des entreprises françaises prévoyaient d’adopter ou ont déjà mis en œuvre des outils ayant pour objet de renforcer la supervision de leurs employés en situation de télétravail. Un manque de confiance, voire de la défiance, une forme d’infantilisation régressive ?

La surveillance qui s’effectue via du matériel fourni par l’entreprise (ordinateur et applications utilisées) demeure légale sous la condition que les télétravailleurs en aient été informés par leur employeur et qu’une déclaration soit effectuée auprès de la Cnil. Comme tout autre moyen de surveillance, il doit satisfaire des dispositions générales du Code du travail et du règlement général sur la protection des données.

Selon des conclusions récentes, peu de télétravailleurs se sentent surveillés. Et quand bien même, cette surveillance semble relativement bien acceptée : c’était le cas de 41 % des interrogés d’une enquête à la sortie des confinements qui y trouvaient même des avantages. Les salariés y voient certains avantages, en particulier le bénéfice d’une confiance mutuelle grâce aux preuves tangibles que le travail est effectivement réalisé, une motivation pour fournir des résultats ou les dépasser, et la prise en compte des heures supplémentaires. Mais pareille surveillance est assurément d’une autre nature et peut s’apparenter à un soutien managérial.

Quelles réponses managériales ?

Quatre pistes de réponse à pareilles problématiques peuvent être proposées.

Une première piste fait inévitablement référence à la « question de la confiance », laquelle a fait l’objet d’une immense littérature tant académique que professionnelle. Trois ingrédients principaux lui sont attribués : les degrés de compétence, de bienveillance (altruisme) et d’intégrité (valeurs). Dans un ouvrage de 2020, un collectif de chercheurs déclinait également le concept en trois modalités, toutes trois devant être considérées par qui veut mettre en place un management par la confiance : la confiance suscitée (comment inspirer confiance), la confiance donnée (faire confiance) et la confiance en soi. Plusieurs enquêtes soulignent un fort impact du télétravail en la matière et dressent un bilan encourageant.


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Une seconde option réside dans ce que l’on nomme le management « dialogique », inspiré par le philosophe Edgar Morin. Il articule trois notions : la confiance, le contrôle et l’autonomisation. La confiance, en effet, ne s’oppose a priori ni au contrôle ni à l’autonomie, mais en constitue le complément nécessaire. En matière managériale, il s’agit alors d’imaginer au cas par cas des formes de pilotage et de contrôle conduisant à l’autonomisation des personnes et des collectifs. Elles sont en réalité de trois natures pouvant se combiner, voire se cumuler : un contrôle par les pairs notamment dans le cadre d’activités de nature collective et collaborative, un contrôle par la culture fondé sur une intériorisation individuelle et collective des valeurs prônées par l’organisation et un contrôle plus classique par les objectifs.

Le « contrat psychologique » constitue une troisième piste. Celui-ci regroupe l’ensemble des attentes, explicites ou non, cohérentes ou non avec le contrat de travail, qu’un travailleur forme sur son entreprise. Il constitue les termes spécifiques d’un échange social potentiellement bénéfique et prometteur en termes d’autonomie et de confiance. C’est ce qu’ont relevé deux chercheurs lors d’une étude réalisée en 2021 portant sur des collaborateurs nouvellement en situation de télétravail dans un établissement d’enseignement supérieur privé. Ils mettent notamment en exergue une réponse à des « attentes réciproques » : l’employeur va au-delà de ses promesses en accordant davantage de confiance avec le télétravail ; le télétravailleur va au-delà de ses engagements en développant des comportements « hors rôle », en accroissant sa charge de travail et en augmentant son implication.

Le management de l’isolement professionnel est une quatrième voie envisageable, en ce qu’elle constitue l’un des aspects saillants potentiellement les plus sensibles du télétravail. Les dirigeants et les managers doivent être particulièrement attentifs à ce risque et à ses effets, sachant par ailleurs que les ressentis peuvent différer. Les individus, nous le savons, ne sont pas tous égaux devant ce phénomène, et n’ont notamment pas tous le même confort à domicile. Plusieurs recherches soulignent l’importance du soutien social des collègues et confirment que le soutien social constitue une aide précieuse contribuant au bien-être des télétravailleurs. Inversement, une logique de surveillance des télétravailleurs (ainsi qu’une charge de travail supplémentaire) vient compromettre ce soutien. On retiendra plus généralement qu’une approche combinant subtilement soutien, bienveillance et exigence participe, si besoin, à la construction ou au renforcement de la confiance dans la réalisation des activités et leur autonomisation.

À la lumière des enquêtes et recherches citées sous forme de pistes prometteuses et encourageantes, on peut à ce stade en effet mobiliser l’acronyme LAIM, pour « leadership managérial durablement augmenté et inclusif » afin de souligner à travers la légitimité et la confiance qui lui est associée, la largeur de la palette prometteuse qui est potentiellement suggérée aux managers au regard des leviers à actionner pour mobiliser et soutenir leurs équipes. Cet acronyme comporte au passage assurément des analogies avec celui de CARE, pour Confiance, Autonomie, Responsabilité, Engagement.

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