Le 26 février, deux jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Union européenne et ses alliés occidentaux (États-Unis, Royaume-Uni et Canada) se sont mis d’accord pour sanctionner les banques russes en les privant de leur accès à Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), une plate-forme de communication bancaire internationale.
Selon Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne :
« Cette action empêchera les banques d’effectuer la plupart de leurs transactions financières mondiales et, par conséquent, les exportations et importations russes seront bloquées ».
La veille, le ministre de l’Économie et des Finances français, Bruno Le Maire, avait qualifié une telle sanction « d’arme nucléaire financière » pour plomber l’économie russe et limiter ainsi le financement du conflit en Ukraine. Mais quelles sont les conséquences réelles que l’on peut attendre de cette exclusion de Swift ?
Un outil de simplification essentiel
La plate-forme Swift, basée à Bruxelles, est lancée en 1973 afin de faciliter les transactions financières à l’international grâce à la standardisation des messages échangés sur ce réseau. Selon son site Internet, ce service assure « à plus de 11 000 organisations bancaires et de titres, infrastructures de marché et entreprises clientes situées dans plus de 200 pays et territoires », rapidité, confidentialité et faibles coûts de transaction pour la réalisation de paiements et transferts de fonds.
Le principe est assez simple. Chaque partie prenante au sein du réseau reçoit un identifiant unique, le BIC, qui lui permet d’être immédiatement reconnu sur le réseau et qui assure ainsi l’authenticité du message. Une fois la reconnaissance effectuée, la plate-forme a pour rôle de transférer des messages, tous uniformisés, dans le but de minimiser le temps de lecture de ces derniers, mais également d’être sûr de l’ordre demandé. Ainsi, un message Swift « MT502 provenant de CEPAFRPP » correspondra toujours à un « ordre d’achat ou de vente » en provenance de la Caisse d’épargne.
L’intérêt de la plate-forme est donc multiple : elle permet d’assurer rapidement le paiement ou transfert de fonds d’une organisation vers une autre, tout cela en minimisant les coûts de transaction, grâce à l’uniformisation des messages et identifiants.
Elle joue également un rôle clé en matière de lutte contre la criminalité financière en permettant aux institutions financières de pouvoir échanger des informations financières de manière efficace. Ainsi, la plate-forme Swift est devenue un outil essentiel pour les institutions financières, surtout dans le cadre de transactions à l’échelle internationale. Comme le démontrent nos recherches, les banques ont une préférence pour les transactions domestiques considérées comme moins risquées car la collecte et l’analyse des informations sont plus faciles.
Arme à double tranchant
La Russie est un acteur majeur de cette plate-forme avec environ 300 membres, ce qui la place en deuxième position après les États-Unis. Restreindre l’accès de ces 300 institutions à la plate-forme implique nécessairement un ralentissement important des échanges financiers avec la Russie, et donc une baisse de revenus substantielle à court terme, avec de surcroît un impact économique majeur pour l’ensemble des Russes et de tous leurs partenaires commerciaux.
Si toutes les opérations ne sont pas comptabilisées via Swift (on peut citer par exemple l’Europe qui utilise le système Sepa pour ces virements), il n’empêche que les opérations internationales les plus complexes l’utilisent. L’achat d’un produit à l’étranger repose donc presque exclusivement sur cette technologie. Cela veut donc dire que si une entreprise russe souhaite faire un achat en provenance de la France, de manière rapide, confidentielle, et presque sans coût, elle doit recourir à Swift.
Cependant, cela veut aussi dire qu’une entreprise française, souhaitant faire un achat auprès d’une entreprise russe, devra également passer par ce système. L’exclusion de la Russie de l’infrastructure est donc une arme à double tranchant, car si elle freine la Russie dans son développement, elle freine également l’ensemble des institutions, financières ou non, en relation commerciale avec la Russie.
Systèmes alternatifs
On peut alors se demander si une telle sanction est vraiment efficace dans l’objectif qu’elle poursuit. Dans une économie mondialement globalisée, il est légitime de supposer que l’affaiblissement d’un acteur économique tel que la Russie peut avoir des répercussions sur ses partenaires économiques dans les secteurs clés du pays sanctionné, comme l’énergie.
De plus, une telle sanction peut aussi avoir des effets collatéraux pour les autres membres de la plate-forme, obligés de geler leurs communications avec leurs partenaires financiers russes. Ainsi, si, comme les experts occidentaux le prédisent, la Russie voit son PIB amputé de 7 % à la suite de cette exclusion, on peut également s’attendre à des conséquences sur le PIB de l’ensemble des partenaires commerciaux.
De plus, dans un tel cas de figure, les institutions financières russes peuvent toujours avoir recours aux systèmes de télécommunication alternatifs tels que le SPFS (System for Transfer of Financial Messages) développé par la Russie en 2014 à la suite des premières menaces de coupures. Ce système compte aujourd’hui plus de 400 membres en Russie, mais également quelques-uns en Biélorussie et en Chine, qui sont eux-mêmes sur le système Swift.
Ce système permettrait ainsi aux banques russes d’effectuer leurs transactions financières avec les institutions connectées sur SPFS, ces dernières passant ensuite les transactions sur le système Swift. Alors oui, l’ajout d’un intermédiaire financier à la transaction augmenterait les coûts et les délais liés à la transaction, mais cela limiterait d’autant l’efficacité de la sanction visant à limiter l’accès à des sources de financement soutenant le conflit en Ukraine.