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Une vue nocturne de la skyline de Francfort avec vue sur le quartier d'affaires
Le quartier d'affaires de Francfort-sur-le-Main. Nicoals Scheuer/Wikimedia, CC BY-SA

Sanctions internationales : comment les banques prêtent en fonction de leur localisation

Avec l’invasion de l’Ukraine en 2022 par la Russie, la question des sanctions a été de nouveau posée, et, en particulier celle des sanctions économiques et financières. Régulièrement utilisées depuis la Seconde Guerre mondiale, ces mesures – y compris les embargos sur les armes et les restrictions sur les voyages et le commerce – sont devenues des outils indispensables de la politique étrangère pour punir ou influencer le comportement de personnes ou d’organisations particulières. Cependant, nos dernières recherches montrent que même les sanctions universellement adoptées peuvent perturber le système financier mondial, faute d’être appliquées partout de la même façon.

La logique sous-tendant les sanctions financières est de cibler des acteurs particuliers – telles que les décideurs et les grandes industries – afin de décourager le pays sanctionné d’enfreindre le droit international ou d’agir de manière agressive. Le tout en limitant les conséquences négatives pour les populations civiles. Ces sanctions sont dites intelligentes puisqu’elles n’interdisent que certaines transactions avec le pays visé.

En conséquence, les institutions financières doivent examiner minutieusement les opportunités commerciales pour s’assurer qu’elles restent dans la légalité. C’est d’autant plus important que le non-respect de ces sanctions peut entraîner des pénalités considérables. En 2015, par exemple, BNP Paribas a dû payer une lourde amende pour ne pas avoir respecté les sanctions contre le Soudan, Cuba et l’Iran.

Un arbitrage coûts-bénéfices

Les sanctions imposent des coûts de mise en conformité supplémentaires à une banque, pour satisfaire à certaines obligations de déclaration. Ces institutions financières devront aussi s’assurer de la légalité des transactions, ce qui induit un coût supplémentaire de contrôle. La banque devra également intégrer les possibles frais de contentieux et le risque de réputation en cas d’échec de ces contrôles.

Comprendre comment ces coûts et ces risques modifient les décisions de prêt constitue l’objet de notre recherche. Nous avons posé l’hypothèse que la décision d’une banque de prêter dans des pays sanctionnés dépendra de l’arbitrage entre les bénéfices escomptés et les coûts de diligence raisonnable et, éventuellement, des litiges. Or, ces coûts varient considérablement d’un pays à l’autre.

En Allemagne, où le coût de la main-d’œuvre est élevé, l’embauche de personnes chargées d’effectuer les contrôles préalables est onéreuse. Les lois strictes sur la protection des données y augmentent également le coût des contrôles. Dans d’autres pays, ces dépenses peuvent être moins élevées, ou le gouvernement peut ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire respecter la conformité, ce qui réduit la probabilité des litiges.

Une question d’emplacement

Grâce aux données fournies par la banque centrale allemande, la Deutsche Bundesbank, nous avons pu étudier le comportement des banques de ce pays dans le monde entier. Les banques allemandes sont également tenues d’enregistrer le montant des prêts accordés par leurs filiales étrangères dans tous les pays. Ainsi, l’ensemble de ces données indique le montant des prêts accordés par chaque banque allemande à l’étranger entre 2002 et 2015.

Cette étude révèle des différences marquées dans la façon dont les banques allemandes ont réagi aux sanctions suivant le pays où elles se trouvent. Les banques situées outre-Rhin ont fortement réduit leurs positions dans les pays visés par les sanctions. En revanche, leurs filiales à l’étranger ont, en moyenne, augmenté leurs prêts par rapport à leurs « banques-mères » en Allemagne et, dans certains cas, en termes absolus. Le comportement des filiales variant d’un pays à l’autre, il nous fallait donc un indicateur pour classer les pays en fonction des coûts liés aux sanctions qu’ils imposent. Cela dépend de la qualité des institutions et des politiques de lutte contre la criminalité de ces pays.

Instaurer des règles du jeu justes

Fondé en 1989, le Groupe d’action financière (GAFI) est une organisation intergouvernementale qui fixe des normes internationales permettant aux autorités nationales de lutter contre les fonds illicites liés au blanchiment d’argent, au terrorisme et à d’autres menaces pour l’intégrité du système financier international. Notre analyse a montré que les banques allemandes affiliées situées en dehors du GAFI ont augmenté leurs positions dans les pays sanctionnés de 95 % en moyenne par rapport aux banques allemandes situées dans le GAFI. Ce chiffre atteint 151 % dans les pays figurant sur la liste noire des pays non conformes aux règles du GAFI.

Ces indicateurs suggèrent que les décisions de prêt dépendent in fine d’un compromis entre la saisie d’opportunités d’investissement rentables d’une part et les coûts de diligence et ceux d’éventuels litiges de l’autre. L’une des principales conclusions à en tirer est que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Les banques situées dans des pays où les normes d’intégrité sont moins strictes semblent trouver plus attrayant de prêter dans les pays sanctionnés.

Même si les régulateurs collaborent pour harmoniser les règles et les normes financières entre les pays, en vue d’aplanir toute irrégularité réglementaire pour la concurrence bancaire internationale, notre analyse montre que cela ne va pas assez loin. Pour garantir des conditions de concurrence équitables, il est essentiel de s’assurer que tous les pays respectent véritablement ces sanctions.

Ces conclusions sont probablement valables au-delà du domaine des sanctions et peuvent s’étendre à d’autres domaines de la réglementation internationale. En effet, les décideurs politiques cherchent également à harmoniser les réglementations financières des banques, par exemple dans le domaine de l’effet de levier. Nos travaux suggèrent en définitive que les décideurs politiques doivent veiller avec la même attention à ce que tous les pays appliquent ces réglementations financières dans le même sens, avec la même détermination.

This article was originally published in English

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