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Une femme d'âge mûr au long cheveux bruns prend la parole devant un micro
La vérificatrice générale Karen Hogan témoigne devant le comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, à Ottawa, le 12 février 2024. Elle est arrivée à des constats sévères quant à la gestion de l'application ArriveCan. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Scandale ArriveCan : comment éviter un tel dérapage à l’avenir ?

Le plus récent rapport de la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, a eu l'effet d'une bombe: l'application ArriveCan, qui devait coûter 80 000 dollars, a été mise à jour 177 fois, entraînant une facture qui s'élève à au moins 59,5 millions de dollars. L'entreprise derrière ce scandale, GC Stratégies, a reçu depuis moins de 10 ans plusieurs millions de dollars en contrats fédéraux.

Karen Hogan a mentionné que bien qu'il ait été justifiable d'assouplir certaines normes pour une réaction rapide du gouvernement fédéral face à la pandémie, la dérogation à l'exigence de documentation adéquate pour l'attribution des contrats liés à la création de l'application soulève des questions. ArriveCan collectait des informations concernant la santé et les coordonnées des personnes en déplacement à l'extérieur du pays durant la pandémie de COVID-19.

Son rapport dévoile une gestion éhontée des fonds publics par l’Agence des services frontaliers du Canada.

Comment cela a-t-il pu arriver ? En tant que spécialiste en certification du secteur public, je vais examiner les divers facteurs qui se sont combinés pour créer cette situation extrême.

Des mesures exceptionnelles pour une situation inédite

La pandémie, exceptionnelle et inédite, a bouleversé profondément nos vies quotidiennes et a redéfini notre perception de la normalité à l'échelle mondiale.

Elle a conduit les gouvernements à prendre des mesures tout aussi exceptionnelles, souvent sans précédent.

Ainsi, entre 2020 et 2023, des décrets d'urgence ont été établis en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, dans le but de protéger la santé publique au Canada.

Les décrets émis dans le cadre de la réponse du Canada à la pandémie ont notamment facilité l'acquisition rapide d’équipement de protection individuelle, reflétant une réponse gouvernementale adaptée à l'urgence sanitaire. Cependant, ces mesures ont également engendré des dérives, notamment avec la création de l’application ArriveCAN.

Des conflits d’intérêts

Dans le cas d’ArriveCan, la vérificatrice générale a noté plusieurs situations qui semblent démontrer l’apparence d’un conflit d’intérêts.

Elle indique notamment dans son rapport les manquements au niveau du processus d'octroi du contrat. De plus, elle souligne que des employés de l'Agence ont participé à des dîners et à d'autres événements organisés par des fournisseurs. Cependant, il n'existe pas de documentation prouvant que ces employés ont informé leur superviseur de ces interactions, comme l'exige le code de conduite de l'Agence.

Deux personnes portant des masques marchent dans un corridor désert, avec une affiche à l'avant-plan
Des passagers traversent l'aéroport Montréal-Trudeau à Montréal, le mercredi 1er décembre 2021. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Il est important de noter que les entités gouvernementales doivent respecter des normes élevées d'intégrité et d'équité dans leurs processus d'approvisionnement. Par conséquent, même si la législation ne mentionne pas explicitement l'interdiction pour une entité gouvernementale qui établit les critères d'un appel d'offres de soumissionner, il est probable que de telles actions seraient considérées comme un conflit d'intérêts et contraires aux principes d'équité et de transparence.

En effet, tout fournisseur qui désire transiger avec une entité liée au gouvernement, et en particulier le Gouvernement du Canada, doit respecter en tout temps la Directive sur les conflits d’intérêts et adhérer au code de valeurs et d’éthique du secteur public.

Préparation de l’appel d’offres et soumission

La vérificatrice générale a constaté que la société qui a reçu le contrat, GC Stratégies, était aussi impliquée dans la définition des critères utilisés pour évaluer et sélectionner l'entreprise. Cela représente une violation des principes d’équité et de transparence mis de l’avant par Services publics et Approvisionnement Canada, tout en plaçant l'entreprise dans une position de conflit d'intérêts.

Les appels d’offres liés à des instances gouvernementales doivent respecter certaines règles et lois qui imposent des obligations de transparence et de non-discrimination dans les appels d’offres publics. Les principes fondamentaux du cadre légal des appels d'offres au Canada mettent l'accent sur l'ouverture, l'équité et la transparence des processus d'approvisionnement. Cela signifie que tout processus d'appel d'offres doit être ouvert (tout le monde peut soumissionner), équitable (les soumissionnaires et les candidats potentiels sont traités de manière égale), et transparent (les règles sont connues de tous).

Cela n'a vraisemblablement pas été le cas pour ArriveCan.

Un manque d'imputabilité

Un autre élément clé réside dans la gestion du projet, où les responsabilités de chacun doivent être clairement établies. La vérificatrice générale a noté de grandes lacunes à ce niveau, précisant même qu’il n’y avait aucun accord officiel établi dans le but de préciser les rôles et responsabilités de chacune dans la création et la gestion du projet d’ArriveCan.

Or, la Directive sur la gestion de projets et programmes du Gouvernement du Canada stipule en toute lettre la nécessité d’attribuer les diverses responsabilités d’un projet afin d’en assurer l’imputabilité. Cette notion fait d’ailleurs partie du Code d’éthique et de conduite professionnelle du Project Management Institute, l’entité qui régit les gestionnaires de projets.

Ces déficiences en matière d'imputabilité et de responsabilité ont ainsi entraîné une reddition de comptes inefficace, comme l’a souligné la vérificatrice générale dans son rapport.

Un incident exceptionnel, mais pas isolé

Bien que le cas de l'application ArriveCAN soit surprenant pour les contribuables canadiens, avec des coûts passant de 80 000 $ à près de 59,5 millions $, ce n'est pas un incident isolé dans l'histoire des projets gouvernementaux canadiens.

Le scandale des commandites est un exemple éloquent. Entre 1997 à 2003, des fonds publics ont été utilisés pour financer des campagnes de relations publiques visant à contrer les efforts de souveraineté d’un parti politique provincial (le Parti québécois), sans une supervision adéquate des dépenses ou de l'efficacité de ces campagnes.

À une échelle plus locale, on peut citer l'exemple du projet pilote de Formule E, à Montréal, en juillet 2017, avec la tenue de courses de véhicules électriques dans ses rues. Dans son rapport concernant l'événement, la vérificatrice générale de la Ville de Montréal révélait, à travers les conclusions de son audit, que le projet souffrait d'une gestion inefficace, d'une attribution imprécise des rôles et responsabilités, et d'une reddition de comptes inadéquate. Plusieurs commentateurs ont alors estimé que l'affaire a coûté en partie la réélection du maire d'alors, Denis Coderre.

Des solutions pour éviter de tels scandales

Ainsi, l'affaire ArriveCAN n’est que l’exemple le plus récent de scandale impliquant l'utilisation outrancière de fonds publics. Cela souligne l'importance cruciale d'une gouvernance transparente et d'une gestion rigoureuse des fonds publics pour préserver la confiance des citoyens et l'intégrité des institutions.

Ainsi, les entités gouvernementales et paragouvernementales devraient implanter des contrôles visant à s'assurer de respecter les diverses politiques et directives gouvernementales auxquelles elles sont assujetties.

Par ailleurs, il faudrait instaurer des comités composés de membres externes à l'organisation, qui évalueraient les divers projets tout en garantissant une gestion appropriée et une reddition de comptes efficace et ponctuelle. Cela ferait en sorte que les décisions et les actions de l'organisation seraient soumises à un examen impartial et approfondi, favorisant ainsi une transparence accrue et une meilleure responsabilisation des acteurs impliqués.

Ces mesures, bien que sommaires, contribueraient néanmoins à renforcer l'imputabilité des différentes parties prenantes.

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