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Sécuriser les grands événements sportifs : que faut-il attendre des outils technologiques ?

Le fiasco de la finale de la Ligue des champions 2022 au Stade de France pèse sur les politiques de sécurisation actuelles. Shutterstock

Être responsable de la sécurité de grands événements sportifs semble une tâche ingrate. Les ratés sont retentissants, alors que l’invisibilité de la sécurisation est la marque du succès. Par ailleurs, une certaine humilité s’impose, les menaces étant plurielles : affrontements entre supporters, attentats, intrusions en tribune, mouvements de foule, délinquance d’appropriation… Les mesures prises contre un risque peuvent de surcroît en amplifier d’autres. Le drame d’Hillsborough, le 15 avril 1989, lors duquel des supporters ont perdu la vie écrasés contre les barrières anti-envahissement de terrain, est tristement resté dans les mémoires.

Quelques jours avant le début de la Coupe du monde de rugby 2023, le gouvernement français affichait sa confiance, assurant avoir tiré les leçons de la finale chaotique de Ligue des champions 2022, avec les Jeux olympiques et paralympiques 2024 en ligne de mire. Plusieurs évolutions attestent une prise de conscience des erreurs commises : anticipation du recrutement d’agents de sécurité, révision des voies d’acheminement vers le Stade de France, billetterie intégralement électronique, intensification de la lutte contre la délinquance en amont des événements puis le jour J via un recours accru aux effectifs de sécurité publique.

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Des problèmes faisant écho aux incidents de Saint-Denis sont néanmoins apparus à Bordeaux et Marseille au deuxième jour de la compétition. Ni violence ni délinquance, mais une absence de fluidité dans l’acheminement des spectateurs vers les stades, puis en tribune : panne de transports en commun, rames insuffisantes, arrivées tardives et concentrées sur certaines portes d’accès, signalétique approximative, lenteur des contrôles de sécurité, inexpérience de stadiers parfois non qualifiés, scanners défectueux… Les dizaines de milliers de fans irlandais et anglais concernés n’ont pas manqué de fustiger à nouveau « l’organisation à la française ». Des peurs relatives à de potentiels mouvements de foule ont été exprimées. L’allègement des procédures de sécurité et l’ouverture de voies d’accès initialement fermées ont finalement accéléré l’admission des spectateurs.

Jeux d’acteurs

Ces situations rappellent que, pour accueillir convenablement des dizaines de milliers de personnes en une à deux heures, le nombre de policiers déployés ou le passage à une billetterie dématérialisée importent moins que la coopération entre acteurs (opérateurs de transport, agences privées de sécurité, forces de l’ordre, collectivités locales, exploitants de stades, bénévoles, etc.). Une connaissance fine des habitudes du public (comme l’arrivée généralement tardive des fans britanniques au stade) rend aussi plus à même d’anticiper les conséquences opérationnelles liées aux pics d’affluence. C’est ce que nous observons, avec nos lunettes de sociologue, dans le cadre de nos travaux de recherche.

Deux évolutions majeures apparues depuis la finale de Ligue des champions méritent une attention particulière. La première est la création d’une nouvelle entité interministérielle, le Centre national de commandement stratégique (CNCS), censée améliorer la coordination en situation de crise. Elle permet le monitoring collectif des événements sportifs, sous l’égide du ministère de l’Intérieur : les informations de terrain sont partagées et analysées pour procéder, le cas échéant, à des ajustements du dispositif sécuritaire et de la communication. A priori, c’est une réponse pertinente aux manquements à l’origine du chaos au Stade de France identifiés dans un rapport sénatorial : hypercentralité du commandement de la police, communication partielle des informations, manque de complémentarité des actions, pluralité des postes de commandement à l’origine de flottements…

Il convient cependant de ne pas sous-estimer l’importance du dialogue en amont de l’événement, lorsque sont prises les décisions fondatrices en termes de gestion des flux de spectateurs. Or, la composition du CNCS montre que les tensions apparues pendant l’organisation de la finale de Ligue des champions 2022 perdurent : la Ville de Paris, en conflit avec la Préfecture de Police de Paris, n’y figure pas. Enfin, les attributions du CNCS et de la cellule interministérielle de crise (qui lui préexiste) semblent redondantes (diagnostic, communication, anticipation et décision), ce qui est susceptible de nuire à la lisibilité de la gestion de crise.

L’économie de la promesse en marche

L’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) constitue un virage plus radical. Elle semble porteuse de promesses : détection informatique de comportements classés comme anormaux dans l’espace public, traitement automatisé d’informations massives saturant la vidéosurveillance classique

La finale chaotique de 2022 a entraîné une accélération législative conduisant à en faire usage à titre expérimental jusqu’au printemps 2025 lors d’événements sportifs, culturels et récréatifs. L’occasion a été saisie pour rendre acceptables, voire incontournables, ces dispositifs de surveillance illégaux dans les autres pays de l’UE.

Peu de sénateurs et députés s’y sont opposés, peut-être par manque de compréhension technique mais aussi parce que plusieurs missions et rapports parlementaires ont préparé les esprits, ne laissant guère de place à la contradiction. Ils présentent la VSA comme un point de passage obligé. De puissantes actions de lobbying ont par ailleurs été entreprises d’après la Quadrature du net, association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet.

Cet emballement stimulé par des opportunités de marché (a priori réservées aux entreprises françaises et européennes) correspond au schéma de l’« économie de la promesse ». Les discours sur les apports à venir de ces solutions techniques façonnent le présent et justifient des soutiens pour innover, développer puis affiner les solutions : hausse considérable du budget sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, fléchage de fonds publics, mise à l’agenda de la recherche…

Or, s’il peut être utile, via la VSA, de constater la formation d’une foule compacte, les moyens humains déployés sur le terrain (bénévoles, forces de l’ordre, agents de sécurité…) en sont non moins capables. Surtout, cela ne fournit pas la capacité de réagir adéquatement, qui dépend ici encore des échanges entre acteurs. Dans l’urgence, ceux-ci tendent du reste à préférer les retours radio du terrain aux images de vidéosurveillance.

L’accueil de grands événements sportifs constitue souvent une fenêtre d’opportunité préalable à l’extension de ces technologies de surveillance vers d’autres domaines. L’héritage des JOP sera vraisemblablement lesté de ce lourd legs sécuritaire démultipliant la surveillance, normalisant l’usage légitime de l’espace public et déléguant en partie à des machines, fonctionnant sur la base d’algorithmes opaques et apprenants, le repérage des comportements déviants.

La VSA, qui devait initialement être testée lors de la Coupe du monde de rugby, ne sera probablement pas suffisamment au point dans 9 mois pour contribuer réellement à la sécurisation des JOP. Une des caractéristiques des promesses techno-scientifiques est la mise en avant de délais exagérément optimistes quant à leur éventuelle concrétisation, comme cela a pu être démontré à propos de l’intelligence artificielle ou de la reconnaissance faciale. On a aussi tendance à croire que les dispositifs créés seront rapidement opérationnels, puis appropriés sans délai à travers des usages conformes à ceux projetés. Or il faut du temps et des ajustements pour imbriquer des nouveautés dans des habitudes et des collectifs de travail.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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