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S’inspirer du Bauhaus, une école de design pionnière, pour gérer la transition verte

L'école du Bauhaus à Dessau associait à une école d'architecture et de design des ateliers depuis lequels cette photo est prise. Aufbacksalami / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Depuis plusieurs années, les recherches et les formations conduites en partenariat avec les acteurs socio-économiques témoignent de leur mobilisation pour œuvrer aux transitions qu’appellent notre temps, au premier rang desquelles la transition verte. Ici un fournisseur de l’aéronautique développe une nouvelle filière pour le recyclage de ses composants ; là une entreprise soutient la mobilisation collective pour réinventer les stations de ski face au changement climatique ; ailleurs le co-design permet aux acteurs de mobiliser la donnée satellitaire pour de nouveaux services à fort impact pour le développement durable. Certains travaillent à alléger radicalement la bouteille en verre pour diminuer l’impact environnemental, quand d’autres reconçoivent des socio-agro-écosystèmes avec de meilleurs couplages alimentation-agriculture-environnement.

À peine entamées, les nombreuses transitions semblent pourtant déjà à la peine. Les sciences de gestion nous indiquent que ces difficultés tiennent notamment au fait que manquent aujourd’hui les capacités à gérer collectivement l’inconnu. En effet il ne s’agit pas de suivre une trajectoire prédéfinie vers un état final bien connu, comme le laisserait penser l’origine de la notion de transition. Les transitions contemporaines sont des transitions vers l’inconnu : il s’agit d’inventer un futur soutenable face aux crises et aux limites des modes de développement passés. De la notion, on peut cependant conserver le caractère systémique : toutes les dimensions de l’action sont à réinventer.

Les transitions contemporaines appellent ainsi un renouvellement des sciences, des usages et modes de vie, des compétences, des régimes de collaboration et de solidarité, des responsabilités, des façons d’apprendre et de transmettre… Loin d’un techno-solutionisme naïf, le besoin de conception se révèle immense et sous-estimé, tant il porte sur des aspects qui dépassent les catégories usuelles de la R&D et de la technologie. Et les sciences de gestion nous alertent : gérer les efforts de conception collective pour les transitions dans l’inconnu suppose un changement de paradigme majeur pour le management.

De la destruction créatrice à la préservation créatrice ?

Longtemps le manager a été assimilé au décideur, un décideur qui ne verrait dans les transitions contemporaines que des dilemmes sacrificiels où chaque décision ne fait que des perdants, conduisant inexorablement à un durcissement des positions et des discours : l’emploi contre la biodiversité, la paix sociale contre l’environnement, la mobilité pour tous contre les motorisations décarbonées… Le manager-décideur sera ainsi tenté de trancher et d’assurer une acceptabilité sociale minimale.

Cependant face à l’inconnu, il ne s’agit pas de décider mais de concevoir. Le manager-concepteur organise l’exploration collective pour imaginer de nouvelles alternatives plus durables, plus soutenables, plus résilientes. Ceci se fait en mobilisant l’ensemble des ressources inventives sciences-arts-industries-sociétés pour dessiner les prospérités et les puissances futures.

La gestion de l’inconnu a pu se développer fortement dans les départements d’innovation apparus dans les entreprises et les organisations ces dernières années. Mais la gestion des inconnus des transitions présente deux caractéristiques singulières.

D’une part, les transitions contemporaines posent la question de la préservation tant des ressources que du vivre-ensemble, des valeurs ou des modes de vie. Le régime d’innovation ne saurait ici être une création destructrice schumpétérienne mais bien plutôt une création préservatrice.

D’autre part, les transitions impactent de très nombreux acteurs : citoyens, associations, politiques, universitaires, et, dans l’entreprise, les fonctions les plus variées. Il s’agit aujourd’hui de rendre tous ces acteurs concepteurs, bien au-delà du strict cadre des « experts de l’innovation ». En résumé, gérer les inconnus des transitions suppose une action collective qui soit une création préservatrice dans laquelle tous les acteurs peuvent être concepteurs.

S’inspirer du Bauhaus, une école de design pionnière

Ce management reste largement à inventer. Il a certes été régulièrement évoqué dans les sciences de gestion mais il manquait alors les sous-bassements théoriques rendant compte de cette rationalité dans l’inconnu à la fois génératrice et préservatrice. Les progrès de la théorie de la conception et les avancées en gouvernance de l’entreprise, ont contribué à élaborer des fondements plus solides, et ont ouvert la voie à l’exploration des formes, des méthodes, des responsabilités de ce management des inconnus des transitions.

Ces travaux ont éclairé la façon dont des collectifs pouvaient être créatifs car préservateurs en s’appuyant sur leur patrimoine de création. On entend par là un ensemble de savoirs et de règles d’action collective caractérisant ce qui est préservé pour renforcer les logiques créatives associées. Il s’agit aujourd’hui de permettre le déploiement de ces travaux, d’en assurer l’impact socio-économique et l’approfondissement scientifique.

Et si l’inspiration pour cela était puisée dans le monde des formations à la création ?

Logo du Bauhaus, créé en 1922 par Oskar Schlemmer.

Face aux transformations socio-économiques du XXe siècle, l’école allemande du Bauhaus réunissait les théoriciens, maîtres de la forme, et les praticiens de la conception, maîtres de la matière, pour développer les forces créatives en combinant les logiques de formation, de recherche et d’impact. Avant qu’elle ne soit dissoute par les nazis, voyant dans ses réalisations un « art dégénéré », et que ses membres partent en exil, elle a construit un apport décisif pour le design, l’industrie et les arts.

Inspirée par ce Bauhaus, et avec le soutien de partenaires partageant l’esprit de ce projet, Mines Paris – PSL inaugure un nouveau « Bauhaus des transitions ». Chercheurs, praticiens, dirigeants des collectifs inventifs pourront y développer les nouveaux langages (les « formes ») et les nouvelles pratiques (la « matière ») pour gérer les inconnus des transitions contemporaines, en écologie, santé, mobilité, matériaux, énergie, souveraineté industrielle ou encore espaces informationnels.

Ce Bauhaus des transitions du XXIe siècle se donne pour objectif de renouveler la culture gestionnaire en approfondissement les modèles de la générativité préservatrice et en expérimentant concrètement des projets à impact. Il se veut un espace pour des recherches-utopies sur de nouvelles formes d’action collective pour gérer l’inconnu en lien avec les autres disciplines scientifiques explorant les logiques génératives (data science, biologie, histoire, mathématiques, sciences de l’ingénieur…). Il s’inscrit dans les réseaux français, européens et mondiaux d’universités, d’entreprises et d’institutions publiques qui ont vocation à répondre aux défis posés par la gestion des inconnus des transitions.

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