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Sortie de secours pour François Hollande

François Hollande à la sortie de l'avion présidentiel, le 2 décembre 2016, à Abu Dhabi. Stépahne de Sakutin / AFP

« Il te peut en tombant écraser sous sa chute. »

Corneille, Cinna

Décidément, il n’est pas donné à tous d’aller à Corinthe. François Hollande a courageusement bu la coupe de vin amer qui était tiré sur la table de l’Élysée. Certes, de confidences débordantes en attitudes incertaines, il avait largement contribué à construire le piège qui s’est refermé sur lui : sans être de sa chute l’unique auteur, il n’en reste pas moins qu’il s’était imposé une situation en forme d’impasse. Il n’avait plus d’autre choix que de se retirer ou d’aller au combat en évitant la case des primaires partisanes : telles que celles-ci se dessinaient, elles allaient à l’inverse de la possibilité d’un rassemblement autour du président sortant.

Après hésitation, et malgré les pressions du cercle de ses amis, il a dû en passer par les fourches caudines des sondages accablants. Il l’a fait avec une élégance tragique qui n’est pas sans rappeler le final des drames antiques. Ceux-ci, après le dernier chant, se terminaient par un exode généralement dit par l’auteur, qui demandait l’indulgence du public et énonçait le dénouement. Avant de conclure par la formule : « Plaudite cives ! »

Alors, applaudissons. Il faut souvent plus de courage pour affronter la réalité que pour la nier. Nul doute que ce retrait autorisera, le calme revenu, une réévaluation de son bilan personnel. Pour l’heure, son départ annoncé, hors scrutin de désaveu, élargit la brèche ouverte dans le fonctionnement politique et institutionnel. Et, dans le camp de la droite, on gagnerait à ne pas crier trop vite victoire ou trop fort à la déliquescence du pouvoir.

D’abord, François Hollande reste pleinement Président jusqu’au mois de mai : loin de nuire à l’exercice de sa fonction, le fait d’être dégagé de toute campagne électorale garantit sa totale disponibilité et sa hauteur de vue par rapport au débat électoral. Ensuite, l’évènement pourrait bien être annonciateur de profonds bouleversements aux conséquences inattendues.

Nouvelle donne

Il y a, bien sûr, l’horizon dégagé pour cette écrasante majorité de Français qui ne voulaient pas d’un remake de l’élection de 2012. Peu de temps après l’éviction de Nicolas Sarkozy, voici François Hollande qui se retire du paysage électoral. Certes, la disparition de leur face-à-face ne fait pas disparaître la question de la triangulation des forces avec un FN toujours menaçant. Mais elle laisse augurer un renouvellement des candidats en même temps qu’elle permet de modifier les termes de leur confrontation.

Nicolas Sarkozy et François Hollande, le 11 novembre 2016. Etienne Laurent/POOL/AFP

Car l’observation des comportements politiques met en évidence une nouvelle tectonique des plaques de la droite et de la gauche. L’une et l’autre sont affectées par l’érosion de leurs frontières respectives, et traversées de cassures plus ou moins profondes, plus ou moins irrémédiables. Le durcissement vers la droite, s’il rassure une partie de l’électorat conservateur, en frustre une autre part en même temps qu’il laisse centre et centre-droit orphelins d’expression. À gauche, les fractures sont multiples et profondes, suivant des lignes parallèles plus que convergentes. Même soulagée du problème du sortant, les antagonismes cristallisés dans des candidatures préposées jettent une ombre sur la possibilité d’un véritable rassemblement. Cette même ombre portée qui a poussé François Hollande au retrait.

Le double affaiblissement, périphérique et interne, des deux vieux blocs rend incertaine leur capacité à capitaliser les forces centrifuges. C’est tout un cortège d’icebergs détachés des banquises qui flottent et s’entrechoquent sur une mer agitée, au gré de vents dont la direction varie d’un moment sur l’autre. Voilà qui revient à poser que les primaires, quel qu’en soit le résultat, ne permettront pas de trancher clairement ni de l’offre politique finale, ni encore moins de ses équilibres fermement prévisibles. Elles ne peuvent refermer l’éventail. Tout au plus en rigidifier certaines parts.

Médiatisation contre médiation

D’autant que le retrait de François Hollande constitue le dernier événement en date d’une chaîne qui confirme un phénomène lourd : l’affaiblissement des partis de gouvernement, que traduit leur difficulté à assumer leur rôle de médiation dans la production de l’offre politique et dans l’organisation de la confrontation électorale. Le déroulement des primaires et ses répliques spectaculaires pourraient bien signaler une rupture profonde dans le fonctionnement politique. Dans un mouvement qui n’affecte bien sûr pas que la France, mais qui prend chez nous un relief particulier du fait de nos traditions, on assiste à une dévitalisation des appareils partisans.

On les savait de plus en plus incapables d’arrêter une position commune sur les axes fondamentaux ou de parvenir à des synthèses admises par tous. Il leur restait la désignation de leur candidat à l’élection-mère, la présidentielle. Voici qu’elle leur échappe à son tour. Comme en témoignent les primaires, la construction des candidatures s’opère largement en dehors d’eux, dans le cadre de l’arène médiatique.

Beaucoup plus que les débats programmatiques, toujours limités par la procédure même, ce sont les sondages qui, par l’écho que leur donnent les électeurs, fabriquent les candidats et les non-candidats, quitte d’ailleurs à se tromper dans la dernière ligne droite : mais la foi dans les sondages avait préalablement balisé le champ de la compétition réelle. Ainsi, le contrôle de LR n’a pas suffi à Nicolas Sarkozy pour s’imposer. Pas plus que la garantie de soutien de l’appareil du PS n’a pu assurer à François Hollande la probabilité d’un succès.

Il y a dans cette substitution de la médiatisation à la médiation la racine d’une dévitalisation des partis. Avec toutefois une question qui risque de peser lourd dans les mois qui viennent : l’attribution des investitures aux élections législatives reste, pour l’heure, entre les mains des responsables partisans. Sans mise en cohérence avec le nouveau cours, le danger est patent d’une distorsion entre les modes de désignation des candidats à la députation et les regroupements qui se seront opérés derrière les candidats.

Mehr licht

En se retirant avec noblesse de la compétition électorale, au nom de l’intérêt supérieur de la France, François Hollande se donne, en surplomb du débat, une stature présidentielle et arbitrale. Il offre simultanément une issue de secours à ceux de ses partisans qui pensent pouvoir sauver la vieille maison des outrages de la division. Voilà plus de lumière pour le débat qui va s’ouvrir à gauche. Mais si l’éclairage définit bien la scène, il n’en détermine pas les acteurs, et encore moins leur capacité d’action.

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