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Le président soudanais Omar al-Béchir a été assigné à résidence après trois décennies au pouvoir. AHMED YOSRI/EPA

Soudan: comment les manifestants ont forcé le président à quitter le pouvoir

Après des mois de protestations et un sit-in prolongé devant l'état-major militaire de Khartoum, la capitale, le président soudanais Omar el-Béchir a été assigné à résidence aujourd'hui, le 11 avril, alors que les militaires du pays se préparaient pour un gouvernement transitoire.

Beaucoup ont décrit le soulèvement soudanais comme une « protestation du pain », soit contre une inflation galopante. En fait, le peuple soudanais est descendu dans la rue pour bien plus qu'une économie en difficulté, ou pour le prix du pain. Ils ont appelé à la liberté, à la paix, à la justice et à la chute du régime.

Et ils ont finalement gagné.

La génération à la tête du soulèvement est née et a grandi pendant les 30 ans de règne d'Al-Béchir. Les manifestants sont pour la plupart de jeunes professionnels qui ont été directement touchés par les politiques d'islamisation et d'arabisation du régime.

Ces politiques ont été particulièrement sévères à l'endroit des libertés et des droits des femmes, ce qui explique pourquoi les jeunes Soudanaises sont au cœur du soulèvement. Elles ont également entraîné plusieurs années de conflit et d'insécurité au Darfour, dans le Kordofan méridional et dans la région du Nil bleu.

Le système au pouvoir au Soudan s'est détérioré en raison d'années d'autocratie, de népotisme, de corruption et de conflit violent.

La destitution d'Al-Béchir pourrait faire tomber l'État si un successeur fort n'est pas en mesure de le remplacer. Mais à mon avis, étant donné la façon dont le Soudan a toujours été dirigé, il est peu probable que les préférences démocratiques de nombreux jeunes manifestants se concrétisent. Leurs attentes en matière de démocratie, d'élections libres et équitables et de libertés constitutionnelles ne seront satisfaites que si le prochain dirigeant du Soudan est un réformiste.

Les premières réponses d'Al-Béchir

Le régime a réagi aux protestations de trois manières.

Tout d'abord, Al-Béchir a tenté de reconsolider rapidement son pouvoir en proposant des changements constitutionnels qui lui auraient permis de se présenter à une réélection en 2020. Cela a été rapidement retiré de la table.

Il a ensuite déclaré l'état d'urgence pour une période d'un an à l'échelle nationale (https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/02/28/omar-al-bashir-declares-a-state-of-emergency-in-sudan). L'état d'urgence interdisait les rassemblements et les déplacements « non autorisés ». La violence a suivi alors que l'État a utilisé des moyens autoritaires pour disperser les protestations.

Al-Béchir a également dissous le gouvernement fédéral et les gouvernements des États, remplaçant presque tous les gouverneurs des 18 États du Soudan par des officiers de l'armée. Et il a ordonné au Parlement de retarder les délibérations sur les amendements constitutionnels proposés qui lui permettraient de se présenter pour un mandat extra-constitutionnel lors des élections de l'année prochaine.

Lorsque les protestations ne se sont pas apaisées, il a appelé à un large dialogue.

Dans une tentative de rester au pouvoir, Al-Béchir a également tendu la main à ceux qui l'avaient soutenu financièrement lors d'occasions précédentes. Il s'agit notamment des États du golfe persique, ainsi que de l'Égypte et de la Russie. Cependant, ces alliés n'ont guère fait plus que lui offrir leur soutien dans de vagues déclarations.

Il a également commencé à perdre le soutien des bailleurs de fonds occidentaux. Ces derniers ont récemment commencé à émettre de sévères réprimandes.

Les manifestations

Au moment où Al-Bashir s'est retiré, des manifestations s'étaient déjà déclarées dans plus de 35 villes à travers le pays. Les gens sont descendus dans la rue dans de plus en plus d'endroits à la suite de la première manifestation dans la ville d'Atbara, au nord du Nil.

Le soulèvement actuel a été déclenché par la décision du gouvernement de lever les subventions sur les produits de base essentiels et d'augmenter considérablement le prix du pain. En quelques semaines, la manifestation d'Atbara a atteint la capitale Khartoum, à 349 kilomètres de là.

Alors que des protestations éclataient dans tout le pays, les agents du puissant Service national de renseignement et de sécurité et la police anti-émeute ont commencé à sévir contre les manifestants. Pendant tout ce temps, cependant, l'armée s'est abstenue d'intervenir. Des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles Al-Béchir était prêt à céder le pouvoir aux forces armées. Mais cela a été rapidement rejeté par le ministre de l'Information et porte-parole du gouvernement, Hassan Ismail.

Dans les derniers jours avant le départ d'Al-Béchir, des milliers de manifestants ont atteint les locaux du ministère à Khartoum. Il abrite également la résidence d'Al-Béchir, le quartier général des services secrets et le ministère de la Défense.

Les manifestants ont ensuite augmenté la pression en essayant d'obtenir le soutien de l'armée. Ce qui a commencé à poindre, c'est que les officiers supérieurs étaient peut-être en train de s'affaiblir, ou qu'ils espéraient utiliser les protestations pour faire pression sur certaines factions au sein de l'élite au pouvoir.

Les manifestants ont utilisé un certain nombre de tactiques pour maintenir leur élan. Il s'agit notamment de l'utilisation des médias sociaux tels que Facebook, Twitter et WhatsApp. Tous ont été au coeur du soulèvement, malgré les tentatives du gouvernement de bloquer leur utilisation. Des réseaux privés virtuels ont été utilisés pour accéder au seul groupe de femmes sur Facebook appelé «Minbar Chat».

Les vidéos enregistrées par les manifestants sont devenus importantes pour documenter les crimes perpétrés par les forces de sécurité pendant les manifestations pacifiques. Elles sont également devenues le principal moyen d'informer le peuple soudanais et la communauté internationale de la brutalité du régime d'Al-Béchir.

Maintenant qu'Al-Béchir a démissionné, il sera probablement obligé de quitter le pays en acceptant un passage sûr vers un État ami, peut-être l'Égypte ou le Qatar. Il ne peut rester au Soudan que s'il a obtenu l'accord préalable de l'armée pour assurer sa sécurité. Il est possible que les nouveaux généraux qu'il a nommés après la déclaration de l'état d'urgence soient de son côté.

Leur soutien aurait pu être l'une des raisons pour lesquelles il a senti qu'il pouvait démissionner. Pour l'avenir, avec ou sans Béchir, il est également possible que les manifestations se poursuivent si le peuple soudanais a le sentiment que le ménage n'a pas été fait et que subsistent au sein du gouvernement des dirigeants oppressifs du régime.

This article was originally published in English

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