Menu Close

Stimuler autrement la responsabilité sociétale des entreprises

Partages. Pixabay

Lorsqu’il s’agit de responsabilité sociale ou environnementale des entreprises, l’autorégulation a mauvaise réputation. Le laissez-faire, c’est le loup dans la bergerie, le renard dans le poulailler. Doit-on vraiment désespérer de la bonne volonté des entreprises ? Peut-être pas. Je veux défendre ici l’idée que laisser s’organiser les entreprises n’est pas aussi absurde qu’il y paraît. À condition d’avoir les bonnes institutions.

Communs et communs artificiels

Pour comprendre ce que pourraient être ces institutions, on peut revenir sur une notion très en cour : celle de « communs ».

Prenez un jardin bucolique. Faites que chacun puisse y vaquer librement. C’est un commun. Bien vite les égoïsmes individuels ont raison des fleurs parfumées et de l’herbe verte, et le jardin charmant n’est plus qu’un bout de terrain poussiéreux, et chacun est bien affligé. C’est une tragédie qui porte un nom : la « tragédie des communs ».

Mais l’histoire n’est pas toujours tragique. Les économistes commencent à mieux comprendre comment des groupes d’individus, ni plus ni moins sages que vous et moi, peuvent intelligemment partager l’usage d’un jardin, ou d’une pêcherie, ou de beaucoup d’autres ressources collectives. Et cela sans que l’on vienne leur dire comment faire, du haut d’un trône ou du fond d’un palais républicain. C’est notamment Elinor Ostrom qui montre comment ces ressources collectives peuvent, sous certaines conditions, susciter ces surprenants comportements vertueux.

Le problème qui occupe les économistes, c’est de préciser les formes des organisations collectives permettant de ne pas accabler les fleurs parfumées et l’herbe verte. Comment préserver les communs ? Mais ce n’est pas le problème qui m’occupe. Renversons les termes de la question : quels communs permettent de susciter des comportements collectifs vertueux ?

C’est cela que je retiens donc des travaux d’Ostrom : la possibilité qu’ont les ressources collectives de susciter des comportements vertueux contre-intuitifs. Je propose alors d’envisager les communs non plus comme une fin, mais comme un moyen pour susciter ces comportements vertueux. J’ai appliqué une idée analogue au problème de l’entrepreneuriat social. Je montre que l’on pourrait, en créant des « communs artificiels » (je n’emploie pas ce terme, mais c’est l’idée), encourager les entrepreneurs à adopter des comportements désirables. Cela devrait pouvoir s’appliquer à d’autres problèmes, dont la RSE.

Comment ?

La logique du partage

Organisez une fête. Qui veut venir vient. Placez un gros gâteau sur une table. Faites entrer les convives pour le partager. On peut s’attendre à ce qu’il soit découpé en parts égales. Le convive qui aurait l’idée de céder à une trop grande gourmandise sait ce qu’il risque : l’opprobre de tous les autres, qui n’accepteraient pas l’injustice qui leur serait faite. Il va alors sans doute s’abstenir, et contribuer à un juste partage. L’économie expérimentale conforte cette idée que le rejet de l’injustice l’emporte souvent sur les intérêts matériels (on préfère ne pas avoir de gâteau du tout plutôt qu’une part trop petite).

Compliquons un peu le jeu. Supposons que l’on dise que le gâteau est là pour récompenser les plus philanthropes. On donne un critère de philanthropie. On ajoute que le gâteau ne doit être partagé que lorsque tout le monde sera d’accord sur la manière de le partager. Et on laisse les convives décider de cette manière (ceux qui ne veulent plus jouer peuvent partir, sans part de gâteau bien sûr). Pour les mêmes raisons, on peut s’attendre à un juste partage : les plus philanthropes auront les plus grandes parts. Sinon ils refuseraient cette injustice, et personne n’aurait de gâteau.

Compliquons encore un peu le jeu. Supposons maintenant que l’on dise que le gâteau est là pour récompenser la philanthropie. Pas les plus philanthropes, juste la philanthropie. Et on ne donne pas de critère. À quoi peut-on s’attendre ? A nouveau, il y a de bonnes raisons de penser que les convives finiront par se mettre d’accord sur des critères de philanthropie qui ne seront pas absurdes ni injustes. Puis, à partir de là, par se mettre d’accord sur un partage qui sera également juste, et récompensera les plus philanthropes.

Dans le cas des entreprises, remplacez le gâteau par une somme d’argent suffisamment importante, et la philanthropie par un souci pour les conséquences de leur activité sur la société (conséquences sociales, environnementales, mais aussi pourquoi pas morales, épistémiques, esthétiques…). Il y a des raisons de penser qu’en suivant la même logique, on pourra récompenser des comportements vertueux. Et par conséquent les encourager. Et donc, peut-on finalement espérer, les susciter.

Bien sûr, il y a beaucoup de complications à considérer. Mais l’idée est là.

Que faudrait-il faire, concrètement, pour commencer à réaliser cette idée ? D’où viendrait le gâteau ?

La fabrication des communs

On peut envisager plusieurs manières de faire. J’en évoquerai deux.

Une première manière de faire consisterait à confier aux entreprises le soin de redistribuer entre elles une partie de leurs impôts. Ce serait une sorte de fiscalité horizontale. Bien sûr, cette possible redistribution ne serait offerte qu’aux entreprises acceptant de suivre la logique du partage.

Cela conviendrait sans doute aux entreprises. Mais les pouvoirs publics, qui devraient sacrifier une part de leurs revenus, verraient cela d’un mauvais œil. Il y a peut-être un moyen d’arranger tout le monde : en faisant surgir le gâteau de nulle part. Ce n’est pas magique, c’est juste juridiquement compliqué, mais semble-t-il pas impossible. Certains, pas des moindres, en parlent. Ils parlent plutôt de l’idée de « monnaie hélicoptère », créée ex-nihilo par les banques centrales et qui irait directement dans la poche des consommateurs. Mais cela montre qu’il est juridiquement et économiquement envisageable que la monnaie créée par les banques centrales puisse aller ailleurs que dans les banques. Pourquoi pas, alors, dans l’abondement de communs artificiels, à la demande de collectifs d’entrepreneurs ?

Je propose de donner aux entreprises cette nouvelle liberté de créer un commun artificiel. Cette liberté, assortie du respect des règles du jeu que j’ai présentées, les conduirait à s’auto-organiser pour mieux soutenir leur responsabilité sociétale. Et à se réconcilier finalement avec le poulailler et la bergerie.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,500 academics and researchers from 4,943 institutions.

Register now