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Mahamat Idriss Déby, président de la République élu du Tchad. Photo: DENIS SASSOU GUEIPEUR/AFP via Getty Images

Tchad : l'élection controversée de Mahamat Déby entérine le putsch de 2021

Le Conseil constitutionnel du Tchad a confirmé la victoire de Mahamat Déby à l'élection présidentielle du 6 mai, consolidant ainsi le règne de la famille Déby sur le pays depuis 34 ans. Cette confirmation intervient malgré les contestations de deux candidats perdants. Déby, qui a pris le pouvoir après l'assassinat de son père en 2021, a officiellement remporté l'élection avec une large avance obtenant 61 % des voix, tandis que son Premier ministre et rival, Succès Masra, n'a recueili que 18,54 %. Dans cet entretien avec The Conversation Africa , Bourdjolbo Tchoudiba, chercheur qui a étudié l'évolution de l'Etat tchadien depuis son indépendance en 1960, apporte un éclairage sur les enjeux démocratiques de cette élection et les défis auxquels la présidence de Déby devra faire face dans les années à venir.

Quels sont les principaux enseignements de cette élection ?

Cette 7ème élection présidentielle de l’histoire politique du Tchad depuis l’avènement de la démocratie en 1990 sous Déby-père ou plutôt du pluripartisme, montre que le chemin est encore long pour atteindre un minimum démocratique dans lequel l’organisation des élections libres et transparentes sera possible. L’analyse croisée et approfondie des différentes phases de cette élection présidentielle montre qu’elle a été biaisée à l’avance, en faveur du régime en place qui avait la mainmise sur l’organe chargé des élections. Et dans de telles conditions, la voie des urnes ne peut être assurée, comme nous l'avons constaté. En revanche, nous avons vu l’engouement de la population autour de cette élection, avec un taux de participation de 75,89 %. Une fois de plus, c’est une élection qui a été entachée d’irrégularités, boycottée et dont les résultats ont été contestés par l’opposant principal Succès Masra, les rendant moins crédibles aux yeux de la population et de la communauté internationale. Tout cela met en évidence la place importante qu'occupe le manque de volonté du gouvernement d'organiser des élections libres et transparentes.

Quelles sont, selon vous, les conséquences les plus importantes de la victoire de Mahamat Déby ?

Elles se déclinent à plusieurs niveaux (international, régional et national) et sur plusieurs plans (socio-économique, politique, sécuritaire, etc.).

Tout d'abord, il faut mentionner le fait que les principaux partenaires du Tchad comme la France, les États-Unis, l’ONU, l’UE, l'UA, etc. ne sont pas satisfaits du déroulement de cette élection. Le silence des uns et les mots forts des autres en disent long sur les conditions de ce scrutin et montrent clairement les tensions en interne qui pourront entraîner des conséquences diplomatiques à long terme.

La prise de pouvoir de Mahamat Déby à la tête du Conseil militaire de transition (CMT) en 2021 après la disparition tragique de son père, considérée comme un coup d’Etat constitutionnel par l'opposition tchadienne et certains leaders d'opinion africains, a renforcé la position des putschistes à la tête du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et du Niger. Cette victoire de Déby, qui a pris l’allure d’une dévolution dynastique, pourrait encore servir d’exemple à ces militaires putschistes pour tenter de se maintenir au pouvoir par la voie des urnes. Mais surtout, cette victoire qui vient légitimer Déby, pourrait le pousser à tourner le dos à son principal allié, la France, en faveur de la Russie avec qui des contacts ont été établis ce dernier temps. Cette perspective, si elle se confirme, présage un grand conflit d'intérêt qui pourrait plonger le pays dans une autre phase de crise.

Sur le plan intérieur, cette victoire vient entériner la continuité du régime des Déby à laquelle une grande partie des Tchadiens s’oppose. Ce qui pourrait provoquer un nouveau cycle de violences en lien avec des cellules dormantes des mouvements politico-militaires qui sont les principaux pourfendeurs de ce régime et qui ont préféré garder le silence pendant la période de la transition afin de voir le résultat.

Sur le plan socio-économique, la victoire de Déby, perçue comme un choc chez une importante partie de la population et surtout lors des campagnes, marquées par la montée de la propagande de haine inter-communautaire, pourrait provoquer le repli identitaire et communautaire avec des conséquences économiques sévères.

Sur le plan politique, la victoire de Déby, portée par une coalition de plus de 300 partis politiques vient de redessiner la carte de la lutte politique avec des répercussions sur ces différents partis à l'approche des nouvelles écheances électorales (législatives, régionales et locales). Des partis qui auront des difficultés à retrouver leur légitimité d'avant, surtout si on tient compte du fait qu'ils vont aider Déby dans la réalisation de son projet de société.

Dans un avenir proche, quels sont les principaux défis et opportunités auxquels la présidence de Déby devra faire face ?

La présidence de Déby a un grand chantier à bâtir devant elle dans l’un des pays les plus pauvres et conflictuels au monde. Les défis les plus immédiats seront de remettre le pays en marche, surtout sur le plan social, éducatif, sanitaire, économique, etc. Le système éducatif et sanitaire insuffisants, sont paralysés par des grèves et l'économie est en crise sans oublier la situation sociale très chaotique qui nécessitent des réponses urgentes et de tailles.

Le Tchad est classé 187ème mondial sur 189 pays à l'Indice de développement humain (IDH) en 2023. Il fait face à un sérieux problème d’énergie avec un taux d'accès à l'électricité de 6,7 %, l'un des plus faibles au monde, de manque d’eau potable avec 60 % de taux d'accès, de la cherté de la vie avec un taux d’inflation sur les céréales de 18,4 % en 2022, un PIB total estimé à 11,3 % en 2022, etc.

L’un des grands défis demeure la question sécuritaire et conflictuelle. Le Tchad est en proie à une situation sécuritaire désastreuse en lien avec les conflits politico-militaires dans les pays voisins et aussi des conflits intercommunautaires entre les groupes d’agriculteurs et éleveurs.

L'un des chantiers à bâtir est le processus de la réconciliation en cours qui doit aboutir. Ce qui pourrait contribuer à la cohésion sociale et la recherche de la paix, condition sine qua none de la reconstruction du Tchad.

Les préoccupations actuelles des Tchadiens ne sont pas le remplacement du père par le fils, mais l’amélioration de leurs conditions de vie. C’est sur ce point que le gouvernement de Déby peut miser durant ce premier quinquennat en se mettant véritablement au travail pour le développement, la lutte contre la corruption, le népotisme, le clientélisme, etc. qui sont les fléaux qui gangrènent le Tchad.

Bref, c’est sur la base de son engagement pour le développement que le peuple évaluera le nouveau président, tout en sachant que les régimes des Déby ne comptent pas sur le peuple pour gagner les élections, mais sur un réseau tentaculaire autour des personnes qui sont à la tête des grandes institutions du pays.

Cette élection s'est déroulée dans le calme, y compris après la proclamation des résultats. Comment expliquez-vous l'attitude globale de la population tchadienne ?

Hormis quelques cas isolés, cette élection s'est déroulée dans le calme ceci jusqu'à la proclamation des résultats. À première vue, on peut dire que cela est du à la méthode d'intimidation et la démonstration de force, par l'armée du régime, ce qui n'est pas faux. Toute de même, il faut retenir les signes d'une certaine maturité pendant cette élection. Les conséquences des malheureux évenements répétitifs qui ont coûté la vie à des centaine d'innocents auraient servi à quelque chose.

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