Menu Close
L'opposant Succès Masra, nouveau Premier ministre du Tchad, depuis 1er janvier 2024. Photo: ISSOUF SANOGO/AFP via Getty Images

Tchad: les défis qui attendent le Premier ministre Succès Masra

Le 1er janvier 2024, l'opposant et président du parti Les Transformateurs, Succès Masra, a été nommé Premier ministre par Mahamat Idriss Déby Itno, le président de transition en remplacement de Saleh Kebzabo, ex-opposant lui aussi au régime des Déby. Kebzabo est l’un des artisans de l’accord de Doha dont la nomination au poste de Premier ministre avait été perçue comme une récompense pour services rendus au régime.

Le discours de cet ancien opposant tchadien a objectivement changé dès son retour d’exil. Un changement de stratégie qui n’a pas plu à une grande partie de ses alliés qui ont préféré garder leur position. A titre d’exemple, pendant les derniers jours de la campagne référendaire du 17 décembre 2023, Succès Masra a appelé ses partisans à voter oui. Pourtant, il a boycotté le dialogue national qu'il a qualifié de monologue. Aujourd'hui, il doit appliquer les conclusions de ce même dialogue. C'est d'ailleurs ce paradoxe qui caractérise sa nouvelle approche politique.

L'exil de Masra faisait suite à la chasse aux sorcières lancée par le régime en place contre les hauts cadres de son parti politique ainsi que les autres organisateurs (société civile, Wakit Tama) suite à la manifestation sanglante du 20 octobre 2022 contre la prorogation de la transition pour une période supplémentaire de 18 mois. L'opposant avait alors qualifié cette décision de processus de la succession dynastique au sommet du pouvoir.

Tout compte fait, cette nomination est un virage à 180 degrés pour celui qui était devenu, depuis quelques temps, l’opposant farouche des Déby. Cette nomination oscille entre réalisme politique de l’un et un coup de poker de l’autre. Elle ressemble à un pari difficile à l’approche de la présidentielle à haut risque et avec plusieurs enjeux et défis. Elle suscite en même temps des critiques au sein de son propre parti, au sein de l'opinion tchadienne, surtout dans la classe politique, mais aussi au niveau africain et de la diaspora.

Cette nomination intervient à moins de 8 mois de l’élection présidentielle qui devrait mettre fin à la transition entamée en avril 2021 après le décès brutal d'Idriss Déby Itno (père du président de Transition), selon le calendrier issu du dialogue national. Elle fait également suite au retour d’exil de Succès Masra, le 3 novembre 2023, après l’accord de réconciliation de Kinshasa du 31 octobre.

De l'opposition à l'exil

Visé par un mandat d’arrêt international, Succès Masra a réussi à nouer des contacts avec plusieurs partenaires du Tchad qui œuvrent pour la résolution de cette crise interne. Il s'est s’attaché les services de cabinets de lobbying occidentaux afin de plaider sa cause à Washington, Paris, Kinshasa, Bruxelles, etc. Sa stratégie a été payante. Elle a joué fortement en faveur de son retour au pays. En même temps, elle a crédibilisé les autorités de la Transition auprès de la communauté internationale qui serait favorable au financement de l'élection présidentielle dans le sens où, ce retour vient légitimer le caractère inclusif de la transition et parfaire le processus de la réconciliation nationale.

La reconnaissance de l’actuel régime par les bailleurs de fonds est l’un des objectifs des autorités de transition sous pression mais qui en même temps avaient réussi à bloquer en exil Succès Masra qui était devenu leur plus grand problème. L'exil n'était pas avantageux pour Succès Masra dont l’objectif principal était de participer à la présidentielle. Il n’avait pas d’autre choix que de saisir cette occasion qui va à contresens de son idéologie politique de départ. Mais cela devrait lui permettre de garder sa place de leader après un an d'absence sur le terrain politique en perpétuelle mutation.

Les premières décisions

Ceci étant, cette nomination acte un changement de paradigme qui n'a pas été accueilli comme une surprise par de nombreux Tchadiens parmi lesquels les partisans du parti les Transformateurs qui étaient conscients du climat politique en défaveur de Masra après les évenements du 20 octobre 2022. Elle a été plutôt perçue comme une décision imposée par la communauté internationale en général et la France en particulier, selon les avis de certains Tchadiens.

Entre trahison, rétropédalage, changement de paradigme, coup de poker, Succès Masra n’a pas, cette fois-ci, lancé la consultation de sa base - qui lui voue une allégeance sans faille - avant d’accepter d’être nommé Premier ministre. Le soutien aveugle de ses partisans est l’une des principales forces sur laquelle il compte pour réussir sa mission de chef du gouvernement.

Par contre, Succès Masra va devoir faire face à des adversaires politiques qui sont constitués en grande partie de certains membres du gouvernement et de hauts cadres du pays qu'il tenaient par des mots forts pour responsables de la situation catastrophique du pays.

Les grands défis du nouveau Premier ministre, sont, entre autres, la grève des enseignants, l’organisation d'une élection présidentielle libre et transparente. A cela s'ajoutent la résolution des problèmes courants à l'image du problème de l’énergie, de la cherté de vie, de la santé, de l’eau, l’insécurité, la corruption, de la corruption, etc.

Tout compte fait, le nouveau Premier ministre a réussi son baptême du feu en convaincant les syndicats d'enseignants de lever la grève en vigueur depuis deux mois. Il a également renoncé entièrement à son salaire de Premier ministre, lancé une opération de recrutement des membres de son cabinet par voie de candidature, etc.

Des actes salués par une grande partie de la population et qui lui ont permis de glaner de nouveaux partisans et sympathisants. Mais les grands défis restent à venir parmi lesquels, l’organisation de l’élection présidentielle.

Cap sur la présidentielle

Si Succès Masra a tout fait pour rentrer au pays afin d’être au centre des grands événements politiques, c’est pour un objectif bien déterminé, celui d’avoir toutes les chances de participer à l’élection présidentielle qui se profile à l'horizon. Il a choisi de briguer la magistrature suprême par la voie des urnes et semble pouvoir profiter de son statut de Premier ministre et de la position de son équipe qui a glané quelques portefeuilles ministériels afin d’organiser une élection présidentielle transparente et crédible.

Mais toute la question est de savoir s'il pourra atteindre son objectif face à un régime qui a su mettre en place des stratégies pour engloutir tous ses opposants les plus farouches. Le président Mahamat Idriss Déby Itno semble être le grand gagnant de cette nomination qui marque un tournant décisif dans le processus de la réconciliation nationale et une avancée notable dans sa conquête du pouvoir par les urnes. il vient d'être investi comme candidat du Mouvement patriotique du salut (MPS) pour la présidentielle. Pourra-t-il réduire l’influence de l’actuel Premier ministre en lui faisant goûter à l’une des fonctions politiques les plus élevées du pays ?

Risque d'embrasement

Il faut rappeler que Masra hérite d’un gouvernement en crise qui traverse une zone de turbulences, un volcan qui menace d'exploser. Bref, cette troisième phase de la transition est la dernière et vient compléter la première ayant conduit à l'accord de Doha entre le gouvernement et les politico-militaires suite au dialogue national et la deuxième dont l'aboutissement a été l'organisation du référendum et la mise en place d'une nouvelle Constitution. Elle pourrait aller dans tous les sens en cas de rupture de l’accord de Kinshasa dont on ne connaît pas tous les contours.

Le signe d’un bras de fer au niveau de l’État menace avec une sorte de bicéphalisme. Il y a un risque d’embrasement futur si l’élection présidentielle ne se passe pas de façon régulière. Le non-respect de l’accord de Kinshasa par par une partie pourrait déboucher sur une crise qui peut plonger tout le pays dans un nouveau cycle la violence dont les signes sont visibles. Le climat d'insécurité et de tensions socio-politiques dans lequel se trouve actuellement le pays et surtout la position du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), le mouvement politico-militaire tenu pour responsable de la mort de Déby, de pas participer au processus de transition, montrent à suffisance le risque que comporte cette dernière phase.

Les deux hommes les plus forts du pays aujourd’hui visent la magistrature suprême tout en sachant que le code électoral n’est pas encore établi pour déterminer les règles du jeu, y compris la mise en place de l'Agence nationale de gestion des élections (Ange), l’organe qui va s’occuper de l’élection présidentielle. Telles sont les sujets sur lesquels des dissensions peuvent surgir et mettre à mal le processus électoral tout entier.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now