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Tesco-Carrefour, ou la fin d’un certain modèle pour la distribution

Le modèle de l'hypermarché fondé une stratégie d'économies d'échelle a vécu. Bernard Hermant/Unsplash

Le bal des alliances internationales dans la distribution a été relancé au cours du premier semestre 2018 par deux opérations auxquelles participent de grands groupes français.

La première annonce a été faite par Auchan, qui s’est allié à Casino et à l’allemand Metro avec trois objectifs : négocier à l’international avec les multinationales du secteur PGC (Produit de grande consommation), développer des marques propres, acheter des produits de consommation et probablement des équipements pour les magasins (meubles, caisses, informatique…).

Quelques semaines après, Carrefour a annoncé un accord avec son grand concurrent britannique Tesco, même si on ne connaît pas encore tous les détails de celui-ci. Ils doivent être définis par les deux entreprises avant le démarrage des négociations avec les fournisseurs prévues pour l’année prochaine.

Un air de déjà-vu

La stratégie des alliances, nationales et internationales, est loin d’être une nouveauté dans la grande distribution alimentaire. Les dernières annonces laissent d’ailleurs penser à une stratégie défensive qui aurait un goût de déjà-vu, bien loin des innovations indispensables pour tout distributeur face à la montée en puissance des ventes sur Internet et aux changements dans les comportements des consommateurs.

Au moins trois raisons expliquent ces impressions négatives :

  • La première est la guerre des prix qui fait rage en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, et dans plusieurs autres pays. Cette guerre passe évidemment par des réductions sur les grandes marques, ce qui implique des marges plus faibles pour tous les distributeurs. De nouvelles alliances pourraient amener à des prix d’achat encore plus bas. Elles ne serviront donc probablement pas à améliorer la marge des entreprises, mais le pouvoir de négociation accru sera transféré sur les prix aux consommateurs pour gagner quelques décimales de part de marché. Sans compter que, si ces alliances aboutissent à des avantages réels, d’autres distributeurs créeront des nouvelles centrales pour revenir à égalité.

  • La deuxième raison est que ces avantages éventuels risquent de masquer les problèmes réels de certaines entreprises. En conséquence, des décisions stratégiques pourtant extrêmement importantes peuvent être repoussées. Dans les cas d’Auchan et Carrefour, par exemple, la crise de leur format phare, l’hypermarché, ne fait plus aucun doute. Des décisions parfois douloureuses seront nécessaires, mais les entreprises ne semblent pas en avoir conscience. À moins qu’elles temporisent pour ne pas effrayer le marché (dans le cas de Carrefour) et les partenaires sociaux. Carrefour apparaît en effet sérieusement en retard sur le plan des structures logistiques, encore trop dispersées, segmentées par canal (hypermarchés, supermarchés, proximité) et pas suffisamment automatisées. Même constat en matière d’e-commerce, ce qui est peut-être surprenant puisque c’est Auchan qui avait lancé le premier modèle de drive en… 2000 ! Dans les prochaines années, des investissements très importants seront donc nécessaires et les alliances à l’achat ne représentent qu’une goutte d’eau dans la mer des décisions stratégiques indispensables.

  • Plus globalement, ces alliances apparaissent comme une tentative pour perpétuer le business model fondé sur les économies d’échelle : les distributeurs s’assurent des volumes de vente importants grâce à des prix bas et à un pouvoir de négociation croissant envers les fournisseurs. Or, ce modèle dominant dans la distribution alimentaire depuis des décennies semble désormais largement dépassé.

Une autre composante fondamentale du modèle est la standardisation des assortiments, indispensable pour obtenir des volumes de ventes toujours croissants. Enfin, le fameux concept illustré par Bernard Trujillo : « un îlot de perte dans un océan de profit », constitue une dernière composante. Autrement dit, la possibilité pour les grandes surfaces de vendre une partie de l’assortiment à marge très faible, voire à perte, tout en réalisant la marge indispensable sur d’autres produits moins sensibles pour les consommateurs, à l’instar des marques de distributeurs, les fameuses MDD.

La stratégie des économies d’échelle mise à mal

Presque tous ces fondamentaux sont remis en cause depuis quelques années. Commençons par le dernier point : les entreprises de la distribution doivent aujourd’hui faire face à des concurrents comme Amazon, Alibaba et JD.com, qui réalisent une grande partie de leurs profits en dehors de la distribution. Ces acteurs peuvent donc imposer des prix et un niveau de service dans leurs activités retail que les distributeurs traditionnels ne peuvent pas atteindre. Il suffit de regarder les derniers chiffres publiés par Amazon pour se rendre compte des profits réalisés par sa division « services » (Cloud, CRM, autres services aux entreprises…). C’est là la vraie clé de voûte de la rentabilité du géant du Seattle, même si la grande majorité du chiffre d’affaires se réalise dans la distribution et sur le marketplace.

Deuxième changement majeur : la recherche de personnalisation de la part du consommateur, soit tout le contraire de la massification recherchée pendant plusieurs décennies. On peut ajouter, enfin, que le développement de la grande distribution passe par des formats de petite dimension, avec en conséquence des assortiments limités, et fortement personnalisés en fonction de la localisation de la clientèle. Une nouvelle une fois, la stratégie des économies d’échelle apparaît mise à mal.

Pour toutes ces raisons, on devrait s’attendre une stratégie beaucoup plus offensive et innovante de la part de leaders comme Auchan, Tesco et Carrefour. Surtout si ces entreprises cherchent à consolider leurs positions sur le marché français et les autres pays avancés.

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