Menu Close
Une jeune femme au premier plan flotte en impesanteur dans un avion Zéro G. Un homme est en arrière plan.
À bord d’un avion Zéro G, les expérimentateurs de l’expérience ICE peuvent simuler les conditions de l’impesanteur spatiale, pour préparer les futures expériences. Novespace

Tester la relativité d’Einstein depuis l’espace grâce à la physique quantique

Bien que nous en expérimentions tous les jours les conséquences, depuis la chute tragique d’un téléphone sur le carrelage au mouvement des planètes autour du Soleil, la gravité demeure une force mystérieuse. Qui, du marteau ou de la plume, chutera le plus rapidement dans le vide ? Cette interrogation cache en réalité un principe ancien, formulé dès l’époque de Galilée, et devenu la pierre angulaire de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein : le principe d’équivalence. Les deux physiciens s’accordent : quelles que soient leur nature et leur masse, tous les corps chutent de manière identique !

Cependant, dans la quête de nouvelles théories pour appréhender notre univers, ce principe pourrait être remis en question. Le défi est lancé pour la physique expérimentale : tester ce principe avec une précision toujours accrue, en utilisant des objets de masses et de compositions variées. Le développement de technologies quantiques nous permet aujourd’hui d’imaginer un test de ce principe dans l’espace, à bord d’un satellite, en utilisant des nuages d’atomes refroidis à des températures proches du zéro absolu. L’expérience ICE sert de démonstrateur terrestre pour ces futures missions spatiales.

Le principe d’équivalence, de Galilée à Einstein

Au début du XVIIe siècle, le savant Galilée imagine la chute de deux corps de masse différente dans un milieu sans frottements. À son époque, l’idée prédominante voulait que les corps lourds soient plus attirés par la Terre que les corps légers. Cependant, il constate un paradoxe : si on relie ces deux corps par une cordelette, le corps plus lourd devrait accélérer la chute du corps plus léger. L’ensemble devrait donc chuter plus vite que le corps léger seul. On peut aussi supposer que le corps plus léger ralentisse la chute du deuxième, rendant ainsi le système plus lent. La chute serait donc à la fois accélérée et ralentie ?

La seule solution qui semble raisonnable se trouve dans une égalité. Bien que l’on aime à imaginer le physicien italien testant son principe depuis le sommet de la célèbre tour de Pise, ses premiers essais du principe d’équivalence ont en réalité eu lieu sur des plans inclinés dans son laboratoire.

Plus de 400 ans plus tard, Albert Einstein exploite ce principe dans sa théorie de la relativité générale, concluant à une équivalence entre tous les référentiels. Cette équivalence se traduit par l’impossibilité pour un observateur placé dans un ascenseur accéléré de différencier une chute due à la gravité d’une accélération d’une autre nature. Les prédictions de la relativité générale ont depuis été vérifiées expérimentalement avec succès, notamment avec l’observation directe des ondes gravitationnelles en 2015.

Cependant, la relativité générale n’est pas la seule théorie triomphante du siècle dernier. La mécanique quantique, qui explore le monde à l’échelle des atomes, a également révolutionné notre compréhension de l’Univers. Bien que ces théories ne soient pas en concurrence, leur formalisme est fondamentalement différent et l’idée de les unifier dans un cadre commun persiste. Certains modèles envisagés prédisent cependant une violation du principe d’équivalence, ce qui souligne l’importance de mener des expériences toujours plus précises pour confirmer – ou infirmer ! – cette possibilité.

Des technologies quantiques pour tester le principe d’équivalence

Pour tester précisément ce principe, il est nécessaire de disposer de très longs temps de chute et d’un environnement pur que seul l’espace peut offrir. En comparant l’accélération subie par des masses de test en titane et en platine, en chute libre dans un satellite pendant plusieurs mois, la mission spatiale Microscope (2016-2018) a permis de vérifier l’universalité de la chute libre avec une précision record de 15 chiffres après la virgule. Après ces masses « classiques », c’est avec des nuages d’atomes que l’équipe de l’expérience ICE réalise ce test, en comparant leur accélération. L’utilisation de ces atomes permet d’augmenter la sensibilité de la mesure, notamment en tirant profit du caractère absolu de la mesure quantique : les atomes permettent une mesure sans dérive de l’accélération au cours du temps.

Schéma d’un interféromètre quantique
Un gaz d’atomes est piégé et refroidi à l’aide de 6 lasers avant d’être envoyé dans l’interféromètre atomique. Le faisceau laser d’interrogation éclaire ensuite les atomes en 3 points de leur trajectoire pour mesurer l’accélération qu’ils ont expérimenté. LP2N/ESA

Pour ce faire, un vide très poussé (moins d’un millionième de la pression atmosphérique !) est créé dans la chambre d’expérience. Des atomes de rubidium et de potassium sont relâchés dans cet environnement isolé des perturbations extérieures et piégés à l’aide de la lumière de lasers dont la longueur d’onde est contrôlée avec grande précision. Grâce à la connaissance de l’interaction entre la lumière et les atomes, l’agitation thermique au sein du nuage d’atomes piégés peut être réduite jusqu’à atteindre des températures équivalentes à seulement quelques dizaines de nanokelvins, très proches du zéro absolu. Une fois relâchés, leur chute peut être étudiée par des accéléromètres utilisant des méthodes dites d’interférométrie atomique.

À basse température, la matière se comporte comme une onde : on peut conceptualiser cela comme des vagues à la surface de l’océan. Lorsque deux paquets d’ondes se rencontrent, ils interfèrent et produisent un motif périodique, où les vagues s’annulent ou s’additionnent. Les caractéristiques de ces motifs dépendent fortement du chemin parcouru par les deux ondes avant leur rencontre, ce qui en fait une méthode de mesure très précise. Les atomes nous fournissent ainsi une méthode précise et absolue pour mesurer l’accélération.

CARIOQA : une mission spatiale quantique pour l’étude de la gravité

Pour montrer la faisabilité de ce type de dispositif expérimental dans l’espace, des campagnes de mesures sont réalisées à bord d’avion Zéro G : un véritable laboratoire volant qui permet de produire 22 secondes d’impesanteur en réalisant des trajectoires paraboliques dans le ciel. Cette plate-forme unique en Europe a permis de développer ces accéléromètres atomiques avec une mesure simultanée pour les deux espèces d’atomes et de prouver l’embarquabilité dans l’espace de ces technologies.

Un objectif à long terme se dessine : emmener ces capteurs quantiques à bord d’un satellite pour réaliser une version quantique de l’expérience Microscope. Dans un premier temps, un premier accéléromètre atomique utilisant une seule espèce doit être développé et testé en orbite. C’est l’objectif de la mission Carioqa dont le but est de démontrer la viabilité de la technologie. Cette nouvelle boîte à outils quantiques permet également d’imaginer des missions de cartographie plus précise de la gravité, donnée précieuse pour les climatologues. Ces derniers utilisent en effet des données de gravimétrie pour étudier la répartition des masses d’eau sur Terre et suivre le niveau des mers, la fonte des glaciers, les flux hydrologiques, etc.

Ces outils, issus des révolutions quantiques, ne se limitent en effet pas à dévoiler les secrets des lois fondamentales de l’Univers. Ils sont également des alliés essentiels pour affronter les défis colossaux des décennies à venir.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,400 academics and researchers from 4,982 institutions.

Register now