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TGV Max : la stratégie marketing de la SNCF est-elle sur de bons rails ?

Un TGV route la nuit. Ralf Wimmer/Flickr, CC BY-SA

Fin janvier 2017, la SNCF a présenté les contours de sa nouvelle offre destinée aux jeunes de 16 à 27 ans. Cet abonnement permet de réserver des trajets sur les lignes TGV ou Intercités pour un coût mensuel fixe de 79 euros. L’offre est donc présentée comme étant « à volonté » mais les conditions générales de vente (CGV) égrènent les limitations.

Par exemple, l’abonné ne peut pas effectuer de réservations de trajets plus de 30 jours à l’avance, ni en réaliser plus de six, simultanément. La SNCF annonce également qu’un « quota » de places (non précisé) accessibles aux abonnés est fixé pour chaque train. Au-delà de ce quota, la réservation via TGV Max n’est plus possible. Les commentaires laissés par les internautes sur Twitter, l’espace de co-construction de l’offre et l’espace relation client informent sur leurs retours d’expérience, bons ou mauvais, et indiquent que l’offre sur certaines lignes fortement empruntées semble atteindre rapidement saturation.

Le client qui souscrit à cette offre comprend rapidement que TGV Max n’est pas, à proprement parler, une offre « illimitée ». Pourquoi la SNCF a-t-elle misé sur un telle stratégie marketing ?

Pérenniser la compétitivité du train

Cette offre apparaît dans un contexte particulier pour l’opérateur. L’année 2016 a vu une baisse du chiffre d’affaires du transport ferroviaire des voyageurs (moins 4,5 % par rapport à 2015), particulièrement sur les lignes Intercités et TER, concurrencées directement par d’autres modes de transports, dont le covoiturage et les liaisons par autocars développées suite à la loi « Macron » du 6 août 2015. De plus, un accord passé entre le Parlement et le Conseil européen ont récemment entériné une ouverture du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence pour 2020, annonçant la fin inéluctable du monopole de la SNCF sur ce marché.

TGV. Jorge Díaz/Flickr, CC BY-SA

L’opérateur historique cherche donc à élargir son offre à destination des jeunes voyageant pour les loisirs, à l’heure où ceux-ci substituent des modes de transport alternatifs (autocars, covoiturage) au train. En fidélisant une clientèle particulièrement volage par le biais d’un abonnement à prix modéré, la SNCF entend faire en sorte que le train ancre durablement sa présence dans les combinaisons intermodales des jeunes voyageurs.

En tant que premier fournisseur d’un tel service, la SNCF bénéficiera d’un avantage sur les futurs nouveaux entrants du secteur de par sa connaissance des désirs des consommateurs. Le choix du terme « illimité » et le design de l’offre commerciale ne sont donc pas innocents : ils sont directement orientés vers le segment ciblé des voyageurs loisirs de 16 à 27 ans.

Tout d’abord, cette tranche d’âge particulièrement sensible aux prix a pu être séduite par cette offre par abonnement où le tarif ne varie pas suivant la quantité de bien consommée. La décorrélation des deux facteurs permet de réduire la perception du TGV comme d’un moyen de transport onéreux. Le train revient ainsi dans l’éventail des « options acceptables », à l’heure où les trajets en autocars ou en covoiturage pratiquent des tarifs plus avantageux.

Sur le quai. patrick janicek/Flickr, CC BY

La dépense préengagée que constitue l’offre – l’abonnement est payé tous les mois, quelle que soit la consommation – et l’absence de prix unitaire pour chaque trajet rendent plus difficile la comparaison avec d’autres moyens de transport. Cela contribue à faire en sorte que les usagers de TGV Max se tournent prioritairement vers le train dans la composition de leurs trajets.

À noter que cette offre vient compléter une offre commerciale existante qui tend vers le même objectif, la carte Jeune (30 % de réduction garantie sur tous les trajets nationaux) et les TGV Ouigo en tarif low-cost visant déjà à atténuer l’image du train comme étant un moyen de transport cher. L’avantage concurrentiel du train joue également en faveur de l’offre, en mettant en avant un marketing basé sur des éléments de compétitivité hors-prix. La rapidité et le confort du TGV se distinguent ainsi du caractère spartiate et fastidieux du transport en bus ou en voiture et peuvent fidéliser, à long terme, une clientèle « hédoniste ».

L’illimité : une promesse marketing intenable

Ce choix d’une « offre illimitée » s’inscrit dans un contexte culturel et économique particulier, celui de la primauté de l’accès sur la propriété. Les consommateurs de la tranche d’âge ciblée par TGV Max sont nés et ont grandi avec la pratique commerciale des forfaits, où la capacité illimitée d’accès surpasse l’exclusivité de la jouissance.

Illimité ? Alper Çuğun/Flickr, CC BY

De nos jours, qui accepterait de payer à l’unité, par exemple, une heure d’accès à Internet par ADSL ou un titre musical en format numérique ? Dès lors, il n’apparaît pas opportun pour la SNCF de faire du TGV un bien de luxe, dont l’excellence technologique justifierait une tarification plus élevée excluant les jeunes voyageurs. Les consommateurs d’aujourd’hui veulent accès à « tout, tout de suite, tout le temps » et l’offre commerciale doit se plier à ce paradigme s’il elle veut conserver son avantage concurrentiel.

La transition numérique des industries culturelles a accéléré cette tendance à l’illimité, par le déploiement d’offres en ligne (exemple de Deezer pour la musique ou de Netflix pour les vidéos) rapidement adoptées par les jeunes générations. Mais ces biens dématérialisés n’ont pas les mêmes caractéristiques que le bien que constitue un trajet en train. Ils sont notamment dits « non-rivaux » (la consommation du bien ne réduit pas la capacité de consommation par d’autres) et ont un coût marginal de production négligeable (la production d’une unité supplémentaire représente un coût infime).

Procurer un accès illimité à ces biens n’engendre donc pas de coût supplémentaire pour le producteur, ce qui rend ces offres économiquement viables. Dans le cas d’un voyage en train, l’utilisation d’une place dans un wagon est restrictive, et la SNCF ne peut pas augmenter facilement le nombre de wagons sans subir de coûts importants. Une offre de trajets réellement illimitée serait donc illusoire.

Jon Worth/Flickr, CC BY

La stratégie marketing de l’offre TGV Max apparaît donc contre-productive à deux égards. D’une part, sa formulation créée la promesse d’un accès illimité au transport ferroviaire parmi les plus performants d’Europe. Mais ce fantasme d’évasion se heurte aux contraintes liées à la rareté des places disponibles.

Le consommateur qui perçoit la différence entre l’abondance promise et la pénurie de l’offre s’engage alors dans une dynamique de contestation, tel que cela s’observe sur les espaces de réclamation. Par ailleurs, la stratégie mise sur une rhétorique infondée, alors qu’elle s’adresse à une clientèle informée, rompue à l’intermodalité et experte en benchmarking.

Les nombreux clients séduits par l’offre TGV Max en font un usage avisé et réfléchi : ils mettent en balance le prix de l’abonnement avec celui des billets à l’unité, organisent leurs trajets en heures creuses pour être sûrs d’avoir des places, guettent l’ouverture des réservations à J-30 pour être les premiers et cumulent les autres cartes ou tarifs réduits pour choisir entre les différents avantages potentiels.

Bref, ils aiment le choix… illimité.

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