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Théories du complot : comment les réseaux sociaux les propagent et permettent une escalade vers la violence 

Attaque du Capitole le 6 janvier 2021
Les fausses déclarations répétées de l'ancien président américain Donald Trump selon lesquelles l'élection de 2020 lui aurait été “volée” ont finalement conduit ses partisans à attaquer le Capitole américain le 6 janvier 2021. TapTheForwardAssist / Wikimedia, CC BY-NC

Bien que les théories du complot, et plus largement la désinformation, reposent sur des bases infondées, elles ne sont pas dénuées d’effets nuisibles concrets. Elles déclenchent un éventail de conséquences préjudiciables dans la réalité : propagation de fausses informations, ébranlement de la confiance dans les médias et les institutions gouvernementales, incitation à des comportements violents, voire extrémistes.

Par exemple, certaines théories du complot prétendent que la pandémie de Covid-19 est un canular ou un complot ourdi par un groupe secret visant à contrôler la population mondiale. De telles croyances peuvent conduire au rejet de mesures de santé publique essentielles, telles que le port de masques ou la vaccination, et mettre ainsi la population en danger. Ces théories peuvent même éroder la crédibilité et l’autorité des institutions scientifiques et politiques, telles que l’Organisation mondiale de la santé ou les Nations unies, et favoriser la méfiance et la polarisation des opinions.

Poussées à l’extrême, les théories du complot peuvent également inciter certains individus ou groupes à recourir à la violence. Des récits mensongers selon lesquels l’élection présidentielle américaine de 2020 aurait été « volée » ont été à l’origine de l’attaque du Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021. Un autre exemple est l’incident du « Pizzagate » en 2016 : en croyant à tort qu’une pizzeria de Washington était une couverture pour un réseau pédophile impliquant des démocrates de haut rang, un homme de Caroline du Sud s’est rendu en voiture dans la capitale, est entré dans le restaurant avec un fusil d’assaut et a terrifié les employés et les clients en cherchant des preuves inexistantes d’un crime qui n’a jamais eu lieu.

Ces deux exemples montrent que les théories du complot et la désinformation en ligne ne sont pas des conversations anodines. Au contraire, elles peuvent constituer une menace sérieuse pour la sécurité individuelle et collective, la cohésion sociale et même la stabilité démocratique.

En dépit des faits, des conspirationnistes ont prétendu que Comet Ping Pong, une pizzeria de Washington, servait de couverture à un réseau pédophile.

Les communautés qui adhèrent à ces théories se développent et se propagent en ligne. Les réseaux sociaux, y compris les forums, permettent à ces groupes de se former, d’avoir un accès continu et répété à des informations qui renforcent leurs croyances et se forger un sentiment d’identité commune. Face aux preuves qui contredisent leurs croyances, ces groupes ne s’affaiblissent pas : ils choisissent souvent de renforcer leur engagement, ce qui entraîne parfois une radicalisation. Pour beaucoup, l’idée d’abandonner ces illusions est tout simplement impensable – ils sont trop profondément investis.

Cette identification est la raison pour laquelle les stratégies courantes pour lutter contre la désinformation ou les théories du complot (vérification des faits, réfutation détaillée, présentation de points de vue alternatifs…) échouent et peuvent même contribuer à pousser ces communautés à se montrer encore plus déterminées.

Pourquoi et comment les théories du complot se développent-elles ?

Dans notre récente étude, nous avons cherché à comprendre pourquoi et comment les théories du complot persistent et persévèrent dans le temps sur les réseaux sociaux.

Nous avons constaté que les médias sociaux peuvent contribuer à forger une identité commune propice à la radicalisation par les théories du complot. En effet, ils agissent comme une chambre d’écho pour de telles croyances – les caractéristiques principales des médias sociaux jouent un rôle crucial dans la construction et le renforcement de chambres d’écho identitaires.

Par exemple, ils facilitent le processus d’adhésion croissante en de telles théories en offrant un accès facile et persistant à du contenu qui alimente les croyances déformées des individus. Ces personnes se voient comme des « enquêteurs de la vie réelle », tout en cherchant sur Internet uniquement des informations qui confirment leurs croyances préexistantes.

Les réseaux en ligne permettent également aux individus de dupliquer facilement les théories du complot en partageant du contenu ou en le copiant/collant. Ces informations sont donc rapidement visibles pour les abonnés ou les membres d’un forum, puis par le biais de hashtags et d’algorithmes utilisés par certaines plates-formes. Notre étude identifie quatre étapes clés dans l’escalade de ces croyances complotistes.

  1. Confirmation de l’identité : Les utilisateurs consultent et visionnent différents types de contenus (via les forums, les médias grand public et les médias sociaux) pour vérifier et confirmer activement leurs propres opinions.

  2. Affirmation de l’identité : Les informations provenant des sources susmentionnées sont sélectionnées en fonction des préférences et dissociées de leur contexte par les individus. Dans le cas du « Pizzagate », des personnes enclines aux théories du complot ont pris des photos du travail de la Fondation Clinton en Haïti, ont créé des documents visuels étayant des liens supposés avec un réseau de trafic sexuel, puis les ont publiés sur Reddit et 4chan. Bien que manifestement modifiées et sorties de leur contexte, les images ont été largement partagées pour promouvoir la théorie du complot.

  3. Protection de l’identité : Les individus protègent leur « environnement informationnel » en cherchant activement à discréditer les personnes ou les organisations qui présentent des preuves contradictoires, par exemple par des publications ou des commentaires antagonistes ou négatifs.

  4. Réalisation de l’identité : Les individus cherchent à obtenir l’approbation sociale d’un public plus large. Cela peut conduire à des efforts pour recruter davantage de personnes et appeler à des actions violentes, en s’appuyant sur la base d’utilisateurs de la communauté.

Ces étapes constituent une spirale, sorte de cercle vicieux renforçant une identité sociale complotiste partagée et permettant une escalade potentielle vers la radicalisation.

De la prévention, et non des faits

Nos résultats soulignent la nécessité de repenser certaines approches actuelles dont la stratégie est de contrer la désinformation par les faits. Non seulement celles-ci se révèlent inefficaces, mais elles alimentent même les croyances conspirationnistes. Nous encourageons donc les organes politiques à se concentrer sur la prévention et à soutenir l’éducation.

Développer la culture médiatique et le discernement critique des citoyens est devenu un impératif majeur pour les aider à évaluer la crédibilité et la validité des sources d’information en ligne. Parmi les compétences à renforcer figurent l’analyse, la synthèse, la confrontation d’éléments de preuves et d’options pour déceler les faiblesses et les incohérences.

Il est également important de s’attaquer aux problèmes sociaux sous-jacents qui peuvent contribuer à la propagation des théories du complot. Les communautés adeptes des théories du complot sont souvent constituées de personnes marginalisées dans notre société – l’existence de ces communautés est rendue possible par l’exclusion sociale. S’attaquer à l’exclusion sociale et promouvoir des valeurs collectives peuvent également contribuer à combattre la propagation des théories du complot.

This article was originally published in English

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