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Une étude récente a révélé une variété de façons surprenantes dont les gens utilisaient Tinder dans leur vie. Shutterstock

Tinder est bien plus qu’une appli de rencontre

Récemment, les concepteurs de l’application de rencontre Tinder ont annoncé que de nouvelles fonctionnalités de sécurité seraient ajoutées au fil de l’année 2020. Outre l’ajout de renseignements de sécurité supplémentaires, ces mises à niveau comprennent l’intégration d’une caractéristique permettant aux utilisateurs de contacter les services d’urgence au moyen de l’application lorsqu’ils se sentent mal à l’aise ou ont besoin d’aide.

Étant donné que de nombreux utilisateurs, en particulier les utilisatrices, subissent du harcèlement, du sexisme et des comportements menaçants sur Tinder, ces mesures destinées à contrer de tels problèmes sont plutôt bien vues.

L’équipe de Tinder a en outre mentionné dans son blogue que les mises à niveau incorporeraient une technologie d’intelligence artificielle (IA) pour valider les photos de profil :

La fonctionnalité permet aux membres de s’autoauthentifier via une série de poses prises en selfie en temps réel, qui sont ensuite comparées aux photos existantes du profil via une technologie d’intelligence artificielle assistée par l’humain.

Alors qu’auparavant, la connexion de Tinder à Facebook servait à valider l’identité des utilisateurs, l’appli permet dorénavant à ces derniers de s’inscrire sans avoir à lier leur compte Tinder à Facebook. Les nouvelles fonctionnalités – notamment la validation des photos au moyen d’une technologie d’IA – visent à accroître la confiance des utilisateurs quant à l’identité de leur vis-à-vis.

Authentification des utilisateurs

Nous savons déjà que les gens ont tendance à tricher un peu dans la description qu’ils donnent d’eux-mêmes dans les applis de rencontre, et ce, afin de contrer les perceptions idéalisées quant à l’âge, à la taille et au poids d’un partenaire potentiel. De plus, les utilisateurs choisissent de livrer certains détails ou éléments concernant leur apparence, et d’en omettre d’autres afin d’éviter le racisme, le sexisme ou l’homophobie.

Depuis longtemps, les gens s’approprient les technologies de manière à les intégrer dans leur vie. Appelé « domestication », ce processus atteint son résultat au moment où l’on ne se rend plus compte de la présence de la technologie, parce que l’on fonctionne en complète symbiose avec elle. Par exemple, après avoir programmé un haut-parleur intelligent pour faire jouer vos chansons favorites après le travail, il se peut que vous ne remarquiez plus du tout la présence de l’appareil au moment d’arriver à la maison et de commencer à chantonner.

Dans notre étude dont nous avons récemment publié le compte rendu, nous avons découvert que les gens utilisent Tinder de toutes sortes de façons étonnantes dans leur quotidien. Toutefois, les plates-formes et les applis comme Tinder sont avant tout des technologies sociales. Et quand des membres s’en servent d’une manière inattendue, les autres utilisateurs le remarquent. Or, les mises à niveau ou les nouvelles fonctionnalités de Tinder peuvent rendre plus difficiles, voire impossibles, certaines de ces utilisations innovantes.

Au-delà des rencontres, notre étude a révélé qu’il existe un équilibre fragile entre la façon dont les applis orientent le comportement des utilisateurs et la manière avec laquelle les gens rendent cette technologie efficace à différentes fins.

Des directives propres à chaque appli

Quand un médecin prescrit un médicament, celui-ci est accompagné d’une monographie et de directives d’utilisation. De façon similaire, beaucoup d’applis sont assorties d’un objectif déclaré. Dans le magasin d’applications Apple, Tinder est décrite comme une application destinée à « faire de nouvelles rencontres ». Cette autodescription est en quelque sorte la notice d’utilisation de l’application.

Dans la couverture que font les grands médias de Tinder depuis son lancement comme dans son utilisation quotidienne, les gens ont plutôt tendance à voir l’appli comme un moyen d’organiser des rendez-vous galants et des rencontres sexuelles occasionnelles. C’est l’utilisation à laquelle Tinder s’attend de ses abonnés.

Parfois, les gens utilisent un médicament pour autre chose que ce qui est inscrit sur l’étiquette. C’est ce que les pharmacologistes appellent un « usage non indiqué » (en anglais, « off-label use ») c’est-à-dire non conforme à la monographie du produit. C’est un terme accrocheur. D’ailleurs, le journaliste Jeff Bercovici a transposé une première fois ce terme dans le monde des technologies lorsqu’il faisait état, dans un article, des utilisations méconnues que l’on fait des plates-formes.

Facebook et Twitter hébergent une vaste gamme d’activités utilisateurs. Or, dans notre étude, nous nous interrogeons sur ce à quoi ressemble un « usage non indiqué » dans une appli comme Tinder, dont les objectifs sont clairement exposés. Et puis, comment se présente un usage non indiqué lorsque d’autres utilisateurs s’attendent à ce que l’application réponde à des besoins fixés d’avance ?

« Faire glisser » pour sensibiliser, politiser ou s’enrichir

Nous avons examiné une série d’articles d’actualité où il est question de la façon dont les gens utilisent Tinder à des fins autres que les rencontres, avec ou sans lendemain. Dès le début de nos travaux en 2016, nous avons repéré plusieurs articles sur des gens qui faisaient campagne au nom de politiciens à l’approche des élections présidentielles américaines.

Nous avons également mis au jour plusieurs campagnes de sensibilisation, notamment en matière de santé, des petites annonces, des textes promotionnels sur des spectacles locaux, des textes d’humour et même des œuvres d’art subversives.

Dans le cadre d’entrevues choisies avec des adeptes d’usages non indiqués sur Tinder, nous avons constaté que ces derniers offrent souvent un contenu qui vient enrichir l’usage auquel on s’attend – c’est-à-dire pour les rencontres et les rapports sexuels. Par exemple, dans une campagne antitabac, on avait décidé d’axer le message sur l’idée que le tabac est peu séduisant. On y mettait en scène deux profils différents de la même personne, l’un où on voyait la personne fumer, et l’autre, où elle ne fumait pas. On arguait que les utilisateurs faisaient glisser vers la droite (c’est-à-dire « aimaient ») beaucoup plus souvent le profil non-fumeur que fumeur.

Les gens ont aussi trouvé des façons créatives d’utiliser certaines fonctionnalités de Tinder. Le responsable d’une campagne contre le trafic du sexe a construit des profils où l’on demande aux utilisateurs de rester à l’affût de signes qui pourrait évoquer des activités sexuelles non consensuelles. Dans cette campagne, on recontextualisait la fonctionnalité des photos pour l’adapter à un mode de récit, afin de faire passer le message. Or cette approche risque fort d’être détectée et interdite par le nouveau logiciel de validation de photos de Tinder.

Toutefois, ce ne sont pas tous les membres de Tinder qui se réjouissent de ces usages non indiqués. Plusieurs utilisateurs ont interpellé une organisatrice de campagne de Bernie Sanders, lui faisant remarquer qu’elle utilisait l’appli de la mauvaise façon, et la menaçant de la signaler. L’organisatrice de campagne, de même qu’une femme qui vend des suppléments nutritionnels ont affirmé avoir souvent reçu des messages hostiles d’hommes frustrés de constater qu’elles n’étaient pas à la recherche d’un partenaire pour une soirée romantique ou une relation sexuelle.

Un équilibre fragile entre utilisateurs et applications

Bien que Tinder semble faire peu de cas de ces usages non indiqués, les développeurs ont apporté au fil du temps des mises à jour afin de gérer le volume élevé d’activités disruptives. Pour contrer les robots pourrielleurs – des profils trompeurs voués à l’escroquerie par hameçonnage –, Tinder a introduit un mécanisme de signalement. L’entreprise a également instauré une « limite de sélection par glissement », soit une contrainte sur le nombre de profils qu’un utilisateur peut faire glisser vers la droite (ou « aimer ») au cours d’une période donnée, ce qui a contribué à diminuer l’occurrence de robots pourrielleurs.

Ces changements ont aussi une incidence sur l’apparition d’usages non indiqués. Une limite de glissement qui ne peut être excédée qu’en optant pour un abonnement payant pose un obstacle financier aux organismes sans but lucratif, comme ceux qui mènent des campagnes de sensibilisation, notamment en matière de santé.

Dans une même optique, la personne qui cherche à vendre un produit ou encore, celle qui souhaite promouvoir sa musique, son art ou un politicien favori aura peut-être à composer avec des signalements plus fréquents de ses activités, maintenant que Tinder impose des restrictions exhaustives en matière d’activité commerciale, et ne permet que des publicités officiellement approuvées.

De telles modifications de la plate-forme peuvent être rassurantes pour ceux et celles qui ne souhaitent utiliser l’application que pour faire des rencontres ou trouver des partenaires sexuels. Toutefois, la gamme d’usages que nous avons mise au jour révèle que Tinder est un écosystème social où coexistent de multiples activités.

Ce constat fait écho aux résultats des travaux de l’historien Andrew DJ Shield, lesquels révèlent que certains utilisateurs de Grindr se servent de l’application pour se bâtir un réseau d’amis ou encore, trouver un logement ou un emploi, et ce, tout en y repérant des partenaires potentiels. Il semble que la frontière entre ces objectifs n’est pas clairement définie et ne correspond pas toujours à l’idée que l’on se fait généralement d’une appli de rencontre.

Les utilisateurs de Tinder prêtent attention à ce que font les autres membres de la communauté. Cela ouvre une porte à d’autres activités – politiques, économiques et sociales – au-delà des simples rencontres. Bien que l’attention qu’accorde Tinder à la sécurité soit une nécessité absolue, l’entreprise devrait s’assurer que ses nouvelles fonctionnalités ne restreignent pas les usages créatifs, productifs et de protection individuelle qui rendent cette application pertinente dans la vie quotidienne de nombreuses personnes.

This article was originally published in English

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