PyongCheang 2018, Tokyo 2020, Beijing 2022 : au tournant de la décennie en cours, l’Asie de l’Est est l’épicentre des Jeux olympiques. La région est représentée par trois pays organisateurs, incidemment ses trois plus grandes puissances économiques selon leur Produit intérieur brut (PIB).
Le Comité international olympique (CIO), qui attribue l’organisation des Jeux, a toujours nié défendre des considérations mercantiles. De plus, il rejette toute forme d’instrumentalisation politique de l’événement, une posture clairement énoncée dans la règle 50, article 2 de sa charte olympique. Le texte de cet article stipule en effet qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Les athlètes en ont parfois fait les frais, comme les Américains Tommie Smith et John Carlos, ces deux sprinteurs sévèrement punis pour leurs poings tendus sur le podium du 200 mètres des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Ce geste de protestation visait (déjà) la ségrégation raciale aux États-Unis.
Par contre, les saluts nazis de l’Allemagne hitlérienne de 1936 ou la récupération politique par la Russie de Poutine des Jeux de Sotchi en 2014 – n’ont entraîné ni sanctions, ni commentaires de la part du CIO.
Mais ce serait une erreur de supposer que ce qu’il faut bien appeler une récupération politique de la part des États – ou à tout le moins une certaine promotion de l’image du pays – est exclusivement le fait des régimes autoritaires.
Pascal Gillon, spécialiste de la géopolitique du sport et de l’olympisme, souligne que le CIO est en partie responsable de cette situation du fait du rôle de « gouvernement mondial du sport » qu’il a fini par se tailler. De plus, il note que le Comité ne s’est pas privé de mener lui-même certaines actions à saveur politique, comme l’établissement « de la trêve olympique et le défilé des deux Corée » (à PyongCheang).
Sauver la face
Pour le Japon et sa capitale Tokyo, qui accueille les prochains JO, l’enjeu est énorme. Il est d’abord économique puisque le budget des Jeux est évalué à 20 milliards de dollars canadiens. Il s’agit en fait des jeux d’été les plus onéreux de l’histoire, et ce malgré la contribution de 1 milliard de dollars de la part de l’organisation à but non lucratif qu’est le CIO.
Le report d’un an pour cause de pandémie a déjà coûté 2,8 milliards de dollars. À l’heure actuelle, il est difficile d’évaluer avec précision les coûts supplémentaires que l’absence de spectateurs à la plupart des épreuves pour cause de huis clos sanitaire va engendrer. Les revenus des billetteries vont certainement manquer dans le bilan financier de manière significative, tout comme le coût des mesures sanitaires va venir s’ajouter dans l’autre colonne comptable.
Mais la question économique n’est pas le seul élément du casse-tête auquel sont confrontées les autorités japonaises et le comité organisateur des Jeux. Hormis la pandémie, plusieurs éléments sont venus ternir cette fameuse image que le pays du Soleil levant comptait projeter à travers des jeux réussis.
Plusieurs scandales sexistes avaient déjà mené à des bouleversements, le premier ayant coûté son poste au président du comité organisateur, Yoshiro Mori, en février 2021, le second entraînant la démission du directeur artistique Hiroshi Sasaki le mois suivant.
Les forts mouvements de contestation interne exprimés par une partie de la population japonaise à travers des manifestations et différents sondages depuis le début de 2021 – dont l’un en mai 2021 indiquant que 80 % des personnes interrogées étaient opposées aux JO - n’ont pas contribué à améliorer la situation, et ce, même si à aucun moment le comité organisateur ou le CIO n’ont évoqué la possibilité d’un autre report ou d’une annulation.
Dans la dernière ligne droite, après l’annonce en mars du fait que les spectateurs étrangers ne seraient pas admis sur le territoire nippon, l’état d’urgence sanitaire décrété début juillet dans la région de Tokyo a mené à l’annonce que les épreuves se déroulant dans cette région auront lieu à huis clos.
Les circonstances sont donc loin d’être favorables et la fête semble d’ores et déjà gâchée. En effet, l’ambiance créée par des milliers de spectateurs pendant les épreuves et les cérémonies d’ouverture, de clôture et de remise des médailles fait partie intégrante de l’expérience olympique. En leur absence, les stades risquent de sonner creux et l’ambiance sonore prévue par les organisateurs semblera factice.
Pourquoi alors le Japon s’entête-t-il à tenir des Jeux dans de telles conditions ? Outre l’argument économique déjà évoqué, le désir de sauver la face était sans doute au sommet de l’échelle de ses priorités. Il aurait été possible de renoncer comme l’avait fait Denver en 1972, alors qu’elle devait organiser les Jeux d’hiver de 1976, laissant finalement la place à Innsbruck.
Mais la capitale de Colorado s’était désistée quatre ans avant la date des Jeux, et il aurait sans doute été impossible de trouver une alternative dans un délai aussi court. Les conséquences auraient alors été catastrophiques pour l’image du Japon.
Un constat d’échec ?
En effet, renoncer aux Jeux après tous ces efforts et en dépit du fait que le pays n’est pas responsable de la pandémie serait perçu comme un constat d’échec. Et ce, autant au Japon et qu’à l’étranger. Entre les Jeux coréens et chinois, ceux de Tokyo étaient une manière de marquer des points à l’échelle internationale, surtout face aux voisins et rivaux régionaux.
Cette rivalité se nourrit d’une histoire tourmentée et souvent violente avec la Corée, mais surtout avec la Chine. Une rivalité qui a aussi été ravivée par les souvenirs d’une guerre sino-japonaise à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit a notamment donné lieu au massacre de civils chinois par les troupes nippones à Nanking en 1937-1938, tragique évènement qui ternit encore les relations entre les deux pays.
Cette tension rivale s’est étendue au domaine économique et politique, la Chine étant très active au plan international en particulier avec ses Nouvelles Routes de la Soie, supplantant de plus en plus le Japon notamment en tant que grande puissance régionale.
Au moment où s’ouvrent les Jeux de Tokyo, dans un contexte unique et sans l’effervescence festive habituellement propre au plus grand évènement sportif de la planète, le constat est d’autant plus amer qu’il souligne une certaine incapacité du Japon à vraiment maîtriser le virus
Tokyo 2020 se tiendra quelques mois avant la tenue des Jeux d’hiver en Chine, où la crise sanitaire a officiellement été surmontée. La comparaison entre les deux grandes puissances asiatiques, même si elle n’est pas officiellement affichée, se jouera donc dans la manière donc elles géreront leurs Jeux respectifs.
Envers et contre tous, le Japon arrivera-t-il à sauver la face et à transformer l’adversité en succès aux yeux du monde ? Réponse à l’issue des Jeux, et en fonction de leur impact sur la santé des athlètes et de la population locale.
Il faut pour cela qu’aucun incident majeur ne survienne, que le passage de milliers d’athlètes et de leurs accompagnateurs n’entraîne aucune éclosion importante ou une dégradation marquée de la situation sanitaire japonaise.
Mais tout peut encore arriver : à quelques heures de l’ouverture des Jeux olympiques, alors que des cas de Covid-19 se déclaraient déjà dans le village olympique, le directeur général de Tokyo 2020, Toshiro Muto, n’écartait pas la possibilité d’annuler l’événement, s’il devait y avoir une flambée de cas.
Reste que si les étoiles s’alignent en faveur d’un déroulement harmonieux, les organisateurs pourront se dire que le pays aura mené à bien une tâche immense. Ils auront surmonté ces défis et le pays du Soleil levant pourrait en sortir grandi.