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Toujours plus de CO₂ dans les eaux perturbe l’odorat et le comportement des poissons

Un bar géant à l’Académie des sciences de Californie. L’odorat des poissons est très affecté par un niveau élevé de CO2 dans l'océan. Togabi/Wikimedia, CC BY-ND

Pourquoi certains poissons-clowns s’aventurent-ils à nager près d’une rascasse, leur prédateur naturel ? Et comment expliquer qu’ils peinent parfois à retrouver leur anémone de mer, cet animal avec qui ils vivent en étonnante symbiose ? Une menace invisible semble peser sur l’odorat des poissons, cet odorat qui constitue leur principal moyen de défense

Les poissons appréhendent l’environnement à l’aide de capteurs situés dans leur cavité nasale, assez semblables à ceux dont les êtres humains sont dotés. Ces capteurs détectent les odeurs présentes dans l’eau et transmettent les informations relatives au cerveau via le système nerveux.

On note parallèlement que la quantité de CO2 contenue dans l’atmosphère augmente régulièrement. Les océans en absorbent environ un quart, atténuant ainsi ses effets sur le changement climatique, mais ce mécanisme accroît leur acidité.

Des études ont montré que ces altérations de la composition chimique de l’océan impactent le comportement de certains poissons, allant même jusqu’à être attirés par l’odeur de leurs prédateurs.

Le système olfactif du poisson. Cosima Porteus, Author provided

L’exemple du bar

Ce changement de comportement chez certains poissons pourrait avoir de graves répercussions sur des populations entières, menaçant l’environnement et des sources de nourriture. Mais comment la hausse des taux de CO2 affecte-t-elle le comportement des poissons ?

Dans le cadre de notre dernière étude, nous nous sommes penchés sur cette question en prenant l’exemple du bar commun, une espèce au poids économique fort puisque plus de 150 000 tonnes de bar sont vendues en Europe chaque année. Ce poisson donne souvent du fil à retordre aux pêcheurs, en se débattant vivement dans les filets.

Un étrange comportement

Nos travaux visaient d’abord à déterminer si la présence de grandes quantités de CO2 avait le même impact sur le comportement des bars que sur d’autres espèces de poissons.

De jeunes bars ont donc été placés dans de l’eau de mer : un groupe témoin présentait des taux actuels de CO2 ; un autre groupe, les valeurs estimées pour la fin du siècle. Nous avons réussi à répliquer les modifications attendues des taux de CO2 et de l’acidité de l’eau mesurée par le pH en ajoutant de petites bulles de CO2 à l’eau de mer. Les réponses comportementales des bars ont ensuite été analysées en introduisant une odeur de prédateur après 2, 7 et 14 jours d’exposition à ces conditions.

Notre expérience montre que plus les bars sont exposés à de forts taux de CO2, plus leur comportement diffère de celui des poissons placés dans les conditions actuelles. Ils sont également moins enclins à réagir à une odeur de prédateur, nagent moins et ont tendance à s’immobiliser davantage que leurs congénères du groupe témoin, ce qui est un signe d’anxiété.

Comportement de jeunes bars communs exposés à différents taux de CO₂, avant et après l’introduction d’une odeur de prédateur.

Un odorat altéré par le CO2

Nous avons ainsi supposé que l’acidité croissante de l’eau de mer causée par l’augmentation des taux de CO2 pouvait altérer l’odorat des poissons, et donc la perception de ce qui les entoure.

Pour cela, nous avons testé différentes odeurs permettant aux poissons de détecter la nourriture, leurs congénères, les dangers et les prédateurs, avec les valeurs de CO2 actuelles et des taux plus élevés. Or les poissons exposés à de fortes quantités de CO2 se montraient moins aptes à détecter huit des dix odeurs introduites. Leur sens de l’odorat était réduit de moitié : il a fallu multiplier par cinq la concentration de certaines odeurs avant qu’ils ne parviennent à les détecter.

Cette perte d’odorat peut-elle avoir une influence majeure sur la capacité des poissons à percevoir leur environnement ? Selon nos calculs, la distance de détection des odeurs – y compris de la nourriture – est réduite de 42 % chez les poissons exposés à de forts taux de CO2.

Une perte généralisée de leurs sens

Les animaux – humains compris – sont capables de répondre à des changements d’environnement en modifiant le type de protéines qu’ils fabriquent via leurs cellules, et en désactivant ou en activant certains gènes grâce à un processus appelé l’expression génétique.

Ces expériences ayant été conduites sur de brèves périodes (une à deux heures), nous avons souhaité savoir si les poissons pouvaient compenser une perte d’odorat sur plusieurs jours.

Pour ce faire, nous avons mesuré la concentration de gènes contenus dans leur nez et leur lobe olfactif, la partie du cerveau qui reçoit directement les informations transmises par le nez.

Des poissons-clowns dans le récif de corail d’Andaman. La concentration en CO₂ des eaux a un effet sur leur comportement. Ritiks/Wikimedia, CC BY-ND

Au lieu de fabriquer des récepteurs plus efficaces en cas d’augmentation du taux de CO2 ou de la baisse du pH, les bars se fient moins à leur odorat et utilisent généralement moins de récepteurs. Dans leur cerveau, les modifications des gènes exprimés indiquent que les neurones sont également moins sensibles aux informations reçues.

Nous savons aussi que l’augmentation des taux de CO2 affecte la vue des poissons et la manière dont ils réagissent aux sons. Il apparaît dès lors peu probable que leurs autres sens leur permettent de compenser la perte d’odorat.

C’est d’ailleurs l’inverse qui se produit. Les poissons perdent leurs capacités à interagir avec leur environnement, ces résultats concordant avec nos observations comportementales.

Certains poissons qui sollicitent davantage leur odorat que d’autres, se voient donc plus particulièrement affectés par l’acidification des océans. Ces observations montrent que si nous ne freinons pas nos émissions de CO2, ils pourraient disparaître plus rapidement que nous ne le pensons.

L’acidité des océans provoque une perte d’odorat chez les poissons, un film du Dr Porteus.

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This article was originally published in English

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