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Photo du navire le « Commandant Charcot » au large du Groenland.
Le « Commandant Charcot » au large du Groenland. Studio Ponant

Tourisme polaire : comment les compagnies tentent de répondre aux enjeux de durabilité

En octobre 2021, la compagnie du Ponant mettait à l’eau le Commandant-Charcot, un nouveau navire polaire de 28m de large, 150m de long, 9 ponts et une capacité jusqu’à 245 passagers. Dans la foulée de la pandémie et de la prise de conscience de la nécessité d’un tourisme plus durable, ce lancement a déclenché un flot de critiques. L’organisation non gouvernementale (ONG) Greenpeace en a parlé comme d’un « tourisme tragique » ; des chercheurs comme du « tourisme de la dernière chance… » ; et des magazines titraient « Tourisme polaire, la bourgeoisie à l’avant-garde de la destruction » ou encore « 30 000 euros pour voir fondre l’Arctique ».

Pour les professionnels du tourisme, la région Arctique apparaît comme un véritable levier de croissance. Le nombre de visiteurs annuels a ainsi presque doublé entre 1995 et 2017, passant de 35 millions à 66 millions. Cependant, il y a en effet de quoi s’interroger : les zones visitées, particulièrement exposées au réchauffement climatique, se caractérisent par leur grande fragilité. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la banquise d’été pourrait ainsi disparaître au moins une fois avant 2050, avec de lourdes conséquences sur la faune et les populations locales.

Dans ce contexte, faut-il interdire purement et simplement le tourisme polaire ? Ou alors existe-t-il des voies pour concilier les impératifs environnementaux avec les intérêts des croisiéristes ? Certaines de ces interrogations ont été soulevées lors d’un colloque organisé en avril 2022 par l’Université de Nantes – UFR Droit et STAPS dans le cadre d’un programme européen « Les croisières face à la crise sanitaire ». Parmi les intervenants figuraient notamment Patrick Marchesseau, le « pacha » du Commandant-Charcot, qui en parallèle de la conférence a répondu en détaillant les initiatives de la Compagnie du Ponant pour limiter l’impact de ces voyages arctiques.

Rapport parlementaire

Il assure tout d’abord que le nouveau navire polaire a été conçu pour limiter au maximum son impact environnemental :

« C’est le seul navire au monde à disposer de trois différentes énergies : diesel marine léger (DML) avec un taux maximum de 0,1 % de soufre ; gaz liquéfié naturel (GNL) en carburant principal, car c’est le plus vertueux, et un parc de batteries de 4,5 mégawatts. Ces batteries permettent de fonctionner en 0 émission et 0 nuisance, en stoppant tous les groupes, durant 1 à 2 heures. »

Le commandant Marchesseau. Fourni par l'auteur

Outre les émissions, les interrogations environnementales concernent aussi le risque d’un naufrage, avec des pertes humaines éventuelles, mais aussi un désastre écologique dans un environnement pur et vierge, donc à faible résilience. Pour prévenir ce risque, une expédition test, sans passager, a été menée en septembre 2021. Le député Jacques Maire a fait un résumé détaillé de cette opération à l’Assemblée nationale, dans un document intitulé : « Une première française : le Commandant Charcot au Pôle Nord – une présence durable ? ».

Ce rapport a permis d’identifier les points sensibles, de tester la collaboration entre les pays présents en Arctique, d’évaluer les différentes possibilités de secours et d’ores et déjà de suggérer quelques modifications dans les process ou les matériaux mis à l’épreuve, ainsi que des améliorations. La compagnie s’est également engagée à poursuivre régulièrement les tests de matériels de survie polaire et autant que faire se peut, à collaborer avec des chercheurs.

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Renforcer la recherche dans la zone arctique constitue, au-delà du cas du Commandant-Charcot, un enjeu essentiel pour la région. Le document Stratégie polaire française à l’horizon 2030 explique ainsi que :

« Les liens de la France avec les mondes polaires sont riches par leur histoire autant que par leur diversité […] et qu’avec plus de 200 chercheurs travaillant sur les régions arctiques et subarctiques, la France possède une très forte expertise, ancienne comme internationalement reconnue. » […] Il est notamment prévu que dans la tradition de Jean Malaurie (aventurier et grand scientifique français), une attention accrue soit accordée à la recherche française sur l’Arctique en sciences humaines et sociales.

Une « grande artère de la mondialisation »

Concernant plus spécifiquement la croisière, le document résume parfaitement la problématique en indiquant :

« Un océan, passant d’un statut d’espace fermé à celui d’une possible très grande artère de la mondialisation, pose nécessairement un certain nombre de questions. Celles de normes plus respectueuses de l’environnement pour les navires qui transitent dans des zones particulièrement sensibles et notamment d’un tourisme de croisière responsable… »

La collaboration avec la recherche fait ainsi partie des promesses de la compagnie du Ponant, pour que les croisières aient une utilité autre que strictement économique. Elle offre notamment la possibilité à quatre scientifiques d’embarquer à chaque croisière et se veut un appui à d’autres expéditions.

La France soutient l’idée et la réalité d’une recherche construite prioritairement dans un cadre de coopération internationale, mais sur le terrain également la collaboration est indispensable. Patrick Marchesseau a ainsi évoqué l’aide apportée récemment à brise-glace norvégien Kronprins Haakon qui souhaitait se rendre au pôle Nord et avait échoué quelques années auparavant :

« Ayant eu l’information de sa volonté de retenter le pôle lors d’une mission de 35 jours en juillet 2022 et de ses craintes, après concertation avec la Compagnie du Ponant, j’ai contacté le commandant et lui ai proposé nos services pour lui ouvrir une voie à travers la glace. Cette proposition a permis l’ouverture d’échanges pour les années futures. En Antarctique (mer de Bellinghausen), en février 2022, le Sir David Attenborough, navire scientifique anglais avait déjà fait appel à nous pour les mêmes raisons ».

Une photo de la rencontre entre le Comandant-Charcot et le navire Sir David Attenborough (studio Ponant) en Antarctique en février 2022. Studio Ponant

Éveiller les consciences

La recherche et la diffusion de la connaissance apparaissent aujourd’hui d’autant plus essentielles que, dans le document Stratégie polaire française à l’horizon 2030, il est mentionné :

« À l’échelle nationale, tous les acteurs partagent le constat d’un déficit de connaissance sur les réalités polaires contemporaines dans le grand public […]. Afin d’y remédier, une politique éducative et culturelle volontariste doit s’adresser à l’ensemble des publics concernés… ».

Un éveil des consciences permis par le voyage ? Dans son rapport, le député Jacques Maire juge l’argument « pas réellement recevable ». Patrick Marchesseau, se montre lui plus mesuré :

« Plus nos passagers seront sensibilisés en amont, plus ils accepteront les indispensables restrictions. C’est un véritable privilège que de découvrir les hautes latitudes et cela ne peut se faire sans précautions extrêmes, voire sans limites, comme certains monuments pour lesquelles des quotas de visite se pratiquent. La découverte des pôles impose le respect, en plus de changer parfois les regards ».

D’autres partagent ce point de vue. Très attendu, le nouveau navire de la Compagnie norvégienne Northern Xplorer annonce des croisières zéro émission. Son dirigeant Rolf Sandvik, pionnier de la propulsion électrique avec les navires Vision of the Fjords, un navire hybride (2016) et Future of the Fjords, un navire entièrement électrique (2018), naviguant dans des fjords classés au patrimoine mondial de l’Unesco, veut pousser plus loin la réflexion. Au-delà des navires vertueux, il veut réfléchir à une conception différente des séjours, peut-être des rotations réduites en distance et surtout une interaction réelle avec les communautés locales. La compagnie annonce vouloir créer des emplois locaux, stimuler l’économie de communautés entières et privilégier les secteurs touristiques les moins fréquentés, de manière à limiter l’impact sur l’environnement local.

Transfert d’expertise

Elle est rejointe par une toute jeune compagnie française, Exploris, relancée en septembre 2022, dont le créneau est similaire à celui de la Compagnie du Ponant : les croisières d’expédition, en particulier dans les zones polaires. La compagnie, dirigée par un ex-fondateur du Ponant Philippe Videau, exploite aujourd’hui un seul navire, le Silver Explorer, rénové en 2018. Il est prévu de limiter la capacité à un maximum de 120 passagers en zones polaires, de limiter les débarquements et de se concentrer sur la destination.

Lors de la manifestation Sea Tech Weak à Brest le 28 septembre 2022, un représentant de l’Ifremer déclarait en aparté :

« Ces bateaux d’opportunité peuvent soulager les navires scientifiques à condition pour les croisiéristes d’accepter de s’adapter en partie aux contraintes de la recherche scientifique. Nous-mêmes avons appris à pratiquer le transit valorisé, consistant à réfléchir au mieux aux parcours et à la durée des missions ».

Les débats ont également mis en exergue le fait qu’au-delà des déclarations d’intention, les compagnies doivent donner un caractère beaucoup plus concret à leurs engagements vis-à-vis des communautés autochtones. Comme un certain nombre de travaux de recherche en témoignent, cela peut passer par un transfert d’expertise aux habitants d’une communauté pour qu’ils prennent en main le développement du tourisme sous tous ses aspects (opération, partenariat et commercialisation), mais également par une offre de formations adaptées au contexte nordique et in fine par l’intégration des produits touristiques autochtones dans les mêmes conditions que celles offertes aux opérateurs étrangers.

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