Depuis quelque temps, les cris d’alarme se multiplient sur le climat. Il n’y a presque pas un jour qui passe sans qu’une nouvelle étude, qu’elle soit locale, régionale ou mondiale, ne fasse la démonstration que les actions de l’humanité ne permettront pas de plafonner l’augmentation moyenne des températures à un seuil qui évite l’emballement climatique.
Cette augmentation se produit malgré la multiplication des promesses. Le Canada, comme la plupart des pays, a des objectifs climatiques ambitieux: 80 % de réduction des émissions de GES d’ici 2050.
Or, comme le montrent les récentes Perspectives énergétiques canadiennes — horizon 2050, préparées par l’Institut de l’énergie Trottier (Polytechnique Montréal) et le Pôle e3 (HEC Montréal), les efforts de réductions sont loin d'être suffisants pour réaliser ces promesses.
Pourtant, malgré ce qu'on pourrait penser, cette cible est loin d’être farfelue ou hors d’atteinte et ce, grâce entre autres à la chute rapide du coût de la transformation du secteur énergétique.
Cinq scénarios et une conclusion
L'étude s'appuie sur des modélisations technico-économiques, préparées par la firme ESMIA. Elles explorent cinq scénarios pour le système énergétique du Canada et de chacune des provinces jusqu’en 2050. Sa conclusion est sans appel : ni le fédéral, ni aucune des provinces, à l’exception de la Nouvelle-Écosse, n’a mis en place des mesures qui leur permettra d’atteindre leurs cibles respectives de 2030 ou de 2050.
Ainsi, alors que le Canada s’est engagé à réduire de 30 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 2005, la modélisation suggère, en incluant les mesures fédérales et provinciales en place et annoncées, que ces émissions resteront constantes, pour même augmenter de 10 % d’ici 2050 !
Les dernières estimations fédérales, qui prévoient que le Canada parviendrait tout de même à réduire d’environ 10 % ses émissions de GES d’ici 2030, sont donc très optimistes.
Des objectifs pourtant atteignables
L’intérêt principal de cette étude n’est pas dans ce constat, qui ne fait que préciser et appuyer les observations déjà exprimées par de nombreux experts tant au Canada qu’à l’international.
Il réside plutôt dans l’analyse détaillée, province par province, de quatre scénarios de réduction qui évaluent les trajectoires énergétiques à suivre pour atteindre (1) les cibles provinciales, (2) les cibles fédérales (30 % par rapport à 2005 en 2030 et 80 %, en 2050), (3) les cibles internationales (80 % par rapport à 1990 d’ici 2050) et (4) les cibles fédérales avec l’achat de 20 % des droits d’émission à la Californie, suivant le Rapport national du Canada à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à la fin 2017.
Le résultat le plus important de ces modélisations, qui supposent que des choix optimaux quant aux technologies retenues sont faits par tous les agents économiques: l’atteinte des objectifs les plus ambitieux est possible à la fois techniquement et économiquement.
Bouleversements technologiques et chutes des prix
En effet, le coût marginal de la dernière tonne équivalent de CO2 éliminée en 2050 pour l’atteinte des cibles internationales est évalué à environ 1000 $. Si cette valeur peut sembler élevée par rapport au prix du carbone aujourd’hui (environ 20 $/t dans le cadre du programme fédéral), elle est comparable au coût de réduction des émissions des programmes menés par le Fonds vert, au Québec.

Plus important, ce montant est 30 % plus bas que celui d'une évaluation similaire faite il y a trois ans seulement, pour un scénario de réduction de 70 % des émission de GES. Il projetait un coût marginal à 1400 $ la tonne équivalent de CO2. Cette différence remarquable s’explique avant tout par la vitesse des bouleversements technologiques dans le secteur de l’énergie et la chute des prix de l’énergie solaire et des batteries.

Disparités provinciales
L’analyse de l’impact de ces objectifs sur les provinces révèle aussi des tendances inattendues. Ainsi, bien que la Saskatchewan s’oppose aujourd’hui à un prix sur le carbone, à l’horizon 2050, la province n’aurait pas à payer plus cher que le reste du Canada pour atteindre les objectifs nationaux. Les modèles montrent que la Saskatchewan pourrait même réduire de 90 % ses émissions d’ici 2050, alors que l’ensemble du Canada les réduirait de 80 %.

À l’opposé, l’Ontario semble avoir plus de difficulté à transformer son système énergétique. Au coût marginal canadien, la province réduirait de 70 % seulement ses émissions, suggérant l’importance de soutenir le développement de nouvelles technologies vertes.
Il est tentant d’expliquer cette différence par le fait que l’Ontario a des émissions par habitant nettement plus faibles que la Saskatchewan. Les trajectoires du Québec, qui pourrait réduire de près de 85 % au même coût marginal, dans le scénario fédéral, montrent toutefois qu'on ne peut penser la transition sans tenir compte de la diversité énegétique des provinces. Afin d'optimiser la réduction de GES, chaque province devra adopter des solutions uniques qui reflètent ses ressources et son environnement.
La diversité des trajectoires provinciales générée par un modèle, pourtant optimisé au niveau canadien, fait ressortir l’importance pour l’ensemble des paliers de gouvernements, du municipal au fédéral en passant par le provincial, d’adopter une approche collaborative basée sur la science et les meilleures pratiques.
Cette approche doit permettre de développer des stratégies intégrées, tant dans la production de l’énergie que dans son utilisation. Elles s’appuieront sur les forces respectives de chaque région.
En effet, si l’atteinte des objectifs climatiques de 2030 et 2050 est économiquement réaliste, comme le montre ces Perspectives énergétiques, la transformation exigée est profonde. Elle ne pourra réussir sans l'appui d'une réelle stratégie de transition qui fait encore, malheureusement, cruellement défaut à tous les niveaux de gouvernement au Canada.