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Un homme parcours les débris après un bombardement, dans la ville de Gaza-city.
En cas de confrontation à des situations extrême, comme ici à Gaza-city en mai 2024, les repères et cadres de références volent en éclat, ce qui a d’importantes conséquences en matière de psychisme. Omar Al-Qattaa/AFP

Traumatismes en zone de guerre : l'impact des situations extrêmes sur le psychisme

Les situations de guerre, dont les médias se font l’écho ces derniers mois, qu'il s'agisse du conflit en cours dans la bande de Gaza, de la guerre en Ukraine ou de la guerre civile soudanaise, confrontent les populations à des situations dont on sous-estime les effets sur le plan psychologique.

Les guerres et les exactions qui les accompagnent créent des conditions propices à l'expression du psychotraumatisme sous toutes ses formes, tant pour les adultes que pour les enfants.

Comparées à d’autres contextes pouvant être à l’origine de traumatismes, de telles situations sont particulières en ce qu’elles soumettent les personnes qui les subissent à un processus d'exposition permanente au risque de leur propre mort et de celle de leurs proches, alors même que la plupart des victimes ne sont pas des combattants.

La survie en conditions extrêmes

Afin de nommer plus justement les conditions de vie de ceux qui sont exposés à la folie guerrière, nous nous proposons de convoquer l'idée de «situation extrême», indissolublement attachée au nom du psychanalyste Bruno Bettelheim et à son expérience concentrationnaire. Il explique notamment cette notion dans son ouvrage « Survivre », paru en 1979 :

«Nous nous trouvons dans une situation extrême quand nous sommes soudain catapultés dans un ensemble de conditions de vie où nos valeurs et nos mécanismes d'adaptation ne fonctionnent plus et où certains d'entre eux mettent même en danger la vie qu'ils étaient censés protéger. Nous sommes alors dépouillés de tout système défensif, et nous touchons le fond ; nous devons nous forger un nouvel ensemble d'attitudes, de valeurs et de façons de vivre selon ce qu'exige la nouvelle situation»

La «situation extrême» n'est pas seulement le risque de mort imminente, mais elle tend aussi à détruire le sentiment de dignité, à déshumaniser le sujet en faisant de la déshumanisation la condition de la survie. Comme le rapportait la psychanalyste Michèle Bertrand en 2004 dans son ouvrage « Trois défis pour la psychanalyse » :

«Dans la situation extrême, il y a confrontation non seulement à la mort, mais aussi à la cruauté, à la volonté de détruire, d'humilier, de rabaisser l'humain, de défaire les liens sociaux. Le sujet est plongé dans un monde privé de sens. Tout devient incertain, il n'est plus possible d'être dans une temporalité, de faire des projets, de penser au lendemain».

Selon le psychologue Gustave Nicolas Fischer, la situation extrême présente plusieurs caractéristiques :

  • elle plonge les individus dans des conditions radicalement différentes de leur vie habituelle, en raison de son intensité, de sa démesure et de son caractère insupportable ;

  • elle entraîne les individus dans les dernières limites de ce qui est considéré comme humainement acceptable et vivable. Ce qui d'une part plonge les personnes dans la souffrance et le malheur, et d'autre part pousse à bout leurs facultés d'adaptation ;

  • elle renferme une dimension de violence, dans le sens où il s'agit d'un bouleversement radical de la vie qui précipite les individus dans un abîme et les oblige à mobiliser de nouvelles ressources, car les acquis et apprentissages antérieurs sont défaillants.

Pour le dire simplement, les individus ne sont pas préparés à affronter de telles situations. Les apprentissages antérieurs, les acquis de l'expérience de la plupart des gens sont, face à de tels bouleversements, majoritairement défaillants. En effet, la vie ordinaire nous apprend à faire face au prévisible, non à l’imprévisible.

Cette situation imposée par l'extérieur constitue une expérience qui n’est nullement volontaire pour l'individu, mais qu’il doit s'approprier pour continuer à vivre et tenir le coup.

Puisqu’elle comporte un risque de mort, qu’elle met la vie en danger, la situation extrême aboutit notamment, à une déstructuration de l'identité.

Développement d’une autre identité

Lorsque nous sommes confrontés à une situation extrême, nos repères identitaires perdent leur consistance et nos cadres de références habituels volent en éclats. Notre identité, issue de processus de conformisation aux normes, de l’adhésion à certaines valeurs et de notre réponse aux attentes sociales, vole en éclats.

Ainsi, dans des situations de danger imminent, ou lorsque les ressources essentielles telles que la nourriture, l'eau ou l'abri sont limitées, l’instinct de survie peut amener les individus à prendre des mesures pour protéger leur propre vie, parfois même au détriment des autres. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils cherchent activement à nuire à autrui, mais plutôt qu'ils tentent de maximiser leurs propres chances de survie.

Il est également important de souligner que même dans des situations extrêmes, de nombreux individus manifestent un fort sentiment de solidarité et d'entraide envers les autres, ce qui peut augmenter les chances de survie de tous les membres du groupe.

Éclatement de soi

Les «situations extrêmes» peuvent donc être le théâtre d'un effondrement de l'échelle des valeurs sociales et des valeurs personnelles. Plus le risque de mort est élevé, plus la modification ou non de l'échelle des valeurs constitue un enjeu de survie.

La situation extrême provoque de ce fait une sorte d'éclatement de notre propre image. Elle constitue une situation de perte, souvent définitive, d'un objet vital, qui fait l'objet d'un travail psychique appelé deuil.

L’individu reconstruit alors un autre système de valeurs, il entre dans une autre façon de vivre qui le fait renaître à une autre identité.

L'extrême impose aussi une tout autre manière de vivre le temps ; parce que le temps ordinaire est stoppé, il devient sans horizon, modifiant la perception du déroulement même de la vie. La soudaine prise de conscience de la fragilité de la vie amène l’individu à faire l’expérience éprouvante de sa propre finitude.

Quelles sont les conséquences des situations extrêmes sur le psychisme ?

La confrontation à des événements extrêmes peut avoir de nombreuses conséquences psychiques sur les individus . Parmi les plus courantes, citons :

  • Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) : ceux-ci se traduisent par des flash-back, des cauchemars, une hypervigilance, un évitement des stimuli associés au trauma et des réactions de sursaut excessives. Ces symptômes peuvent persister longtemps après l'événement traumatisant et perturber le fonctionnement quotidien de la personne. Par ailleurs, les personnes souffrant de TSPT sont plus susceptibles de présenter des pensées suicidaires en raison de la détresse émotionnelle et des difficultés à faire face aux souvenirs traumatisants ;

  • La dépression : Elle se manifeste par des sentiments de tristesse profonde, de désespoir et de perte d'intérêt pour les activités habituelles. Elle peut s’accompagner d’une baisse de l'estime de soi, des changements dans les habitudes de sommeil et d'appétit, et de pensées suicidaires ;

  • L'anxiété et panique : La confrontation à des situations extrêmes peut générer un sentiment d'anxiété intense, accompagné de symptômes tels que des palpitations cardiaques, des sueurs, des tremblements, une sensation d'étouffement et des pensées catastrophiques. Les attaques de panique peuvent survenir de manière imprévisible et être extrêmement débilitantes ;

  • Les troubles de l'adaptation : Les individus qui ont vécu l'extrême peuvent avoir du mal à s'adapter à leur nouvelle réalité. Ils peuvent ressentir un sentiment d'impuissance et d'incertitude quant à leur avenir, et avoir du mal à retrouver un sentiment de sécurité et de stabilité dans leur vie quotidienne ;

  • Les troubles de la personnalité : Les événements traumatisants répétés caractéristiques de l'extrême peuvent influencer la formation de la personnalité et entraîner des changements durables de la personnalité en particulier chez les plus jeunes. Certains individus peuvent développer des traits de personnalité évitants, dépendants ou obsessionnels compulsifs en réponse à des expériences traumatisantes ;

  • Les problèmes de confiance et de relations interpersonnelles : un tel vécu peut entraîner une perte de confiance en soi et dans les autres. Les individus peuvent avoir du mal à établir des relations interpersonnelles saines et à faire confiance à autrui, ce qui peut entraîner un isolement social et une détresse émotionnelle. L'isolement social peut augmenter le risque suicidaire en empêchant les individus d'obtenir le soutien social dont ils ont besoin ;

  • Les symptômes somatiques : Le stress lié à des événements extrêmes peut se manifester par des symptômes physiques tels que des maux de tête, des douleurs musculaires, des problèmes gastro-intestinaux, fatigue chronique et maladies chroniques. Ces symptômes peuvent persister même après la résolution de la situation traumatisante ;

  • La perte de sens et d'espoir : les événements extrêmes peuvent entraîner une perte de sens et d'espoir chez les individus, les amenant à remettre en question leur raison de vivre. Le manque de perspective d'avenir peut augmenter le risque suicidaire.

Quelle prise en charge ?

La prise en charge des patients confrontés à des événements extrêmes repose sur des recommandations émises par des organisations internationales de santé mentale, telles que l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'American Psychiatric Association (APA), et le National Institute for Health and Care Excellence (NICE), entre autres.

Ces recommandations sont étayées par des supports documentaires comprenant des lignes directrices cliniques, des rapports de consensus et des revues de la littérature basées sur des preuves scientifiques et cliniques.

L'OMS, par exemple, a publié des directives pour la gestion des troubles liés au stress, ainsi qu'un guide sur les premiers secours psychologiques pour les travailleurs sur le terrain. Ces ressources fournissent des recommandations pratiques pour la prise en charge des individus exposés à des événements traumatisants, y compris des conseils sur l'évaluation, le dépistage et les interventions précoces, telles que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la thérapie de régulation émotionnelle, et l'EMDR.

De même, l'APA et le NICE ont élaboré des lignes directrices cliniques pour le diagnostic et le traitement des troubles de santé mentale associés au traumatisme, tels que le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Ces lignes directrices fournissent des recommandations détaillées sur les meilleures pratiques en matière d'évaluation, de traitement et de suivi des patients confrontés à des événements traumatisants, y compris l'utilisation de l'EMDR en plus de la TCC et d'autres approches thérapeutiques.

Par ailleurs, des organisations professionnelles, telles que l’International Society for Traumatic Stress Studies (ISTSS) et l’European Society for Traumatic Stress Studies (ESTSS), jouent un rôle crucial dans la promotion de pratiques cliniques basées sur des preuves dans le domaine du stress traumatique. Ces organisations publient régulièrement des recommandations et des lignes directrices pour la prise en charge des personnes confrontées à des événements extrêmes et au traumatisme complexe, incluant des approches intégratives et holistiques telles que la thérapie narrative et l'art-thérapie.

Enfin, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis fournissent des ressources et des recommandations pour la santé mentale en cas de catastrophes et de situations d'urgence, y compris des conseils pour la prise en charge des populations touchées par des événements extrêmes, mettant l'accent sur le soutien psychosocial et le renforcement des ressources communautaires.

Toutes ces recommandations, basées sur des preuves scientifiques et cliniques et élaborées par des organisations de santé mentale de premier plan, fournissent un cadre essentiel pour guider les professionnels de la santé dans la fourniture de soins aux personnes affectées par des événements traumatisants.

Il faut cependant souligner qu’au regard de la complexité des troubles, il n'existe pas de réponse thérapeutique univoque. Les prises en charge des formes multiples et complexes des conséquences de la confrontation à des situations extrêmes sont encore mal documentées. Il conviendra donc toujours de s'adapter à la situation clinique des patients et de proposer une approche intégrative.

Dans tous les cas, leur prise en charge nécessitera de la part des thérapeutes une grande souplesse et une adaptation clinique. Il serait totalement inapproprié de croire qu'à partir de la simple application de protocoles tels que ceux utilisés pour traiter la dépression réactionnelle ou le TSPT, il serait possible de venir en aide à ces victimes.

C'est tout un rapport au monde et à soi-même qu'il faudra rétablir et restaurer, en même temps qu'un sens à la vie qu'il conviendra de reconstruire si c'est possible, pour faire de ces épreuves des forces de vie.

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