Menu Close

Trois raisons pour lesquelles la France ne doit pas se fâcher avec la Russie

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron à Versailles, le 29 mai 2017. Stéphane de Sakutin/AFP

Les gouvernements des grandes puissances sont-ils en train de jouer la carte de la spécialisation ? La Chine s’est lancée en 2000 dans la conquête économique de l’Afrique, alors que les États-Unis entamaient des actions militaires au Moyen-Orient. Plus récemment on a constaté l'ingérence diplomatique de la Russie dans plusieurs pays: aux États-Unis, en Bulgarie puis en France.

L’Europe, quant à elle, ne s'accorde pas sur une stratégie diplomatique commune, ne pouvant pas adopter une position unanime du fait des intérêts divergents de ses membres. Car l’Europe n’existe pas en tant qu’entité politique – un argument souligné par plusieurs des candidats à la dernière élection présidentielle française.

La question des enjeux de la coopération franco-russe se pose au lendemain de la rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, le 29 mai, lors d'une visite officielle à Versailles pour inaugurer l'exposition consacrée au tricentenaire du voyage en 1717 de Pierre Le Grand en France.

Un vide diplomatique

Trois ans seulement après la signature du traité de Maastricht et la création de l’UE, la Chine a jeté son dévolu sur l'Afrique. Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), créé en 2000, démontre bien son intérêt et l'ingérence économique orchestrée intégralement par l’État chinois. En très peu de temps, les entreprises chinoises ont raflé tous les marchés publics et les projets de la Banque Mondiale en Afrique, historiquement dévolus aux Européens et Américains. Ainsi, l'Afrique francophone est désormais dominée par la Chine (Figure 1), la résolution du conflit de la banane en 2001 en défaveur des pays producteurs africains détériorant davantage les relations franco-africaines.

De même,les interventions militaires de la France en Afghanistan et au Moyen Orient (Irak), ne lui rapportent aucun bénéfice économique. Ainsi, la sortie de l’UE telle que l'ont prônée quelques candidats à l'élection présidentielle, n’est pas envisageable faute de partenariat économique privilégié.

Figure 1: Coopération Chinafrique: de plus en plus d'États ont établi des liens avec Pékin en adoptant la résolution 2758. ONU

Pourtant, malgré l'opposition de l’OTAN et des politiques français à Vladimir Poutine, malgré les sanctions et l’embargo, la Russie continue de tendre la main à Paris pour apaiser les tensions. La vente du Mistral en a été l’exemple le plus frappant : alors que la France encourait des pénalités considérables (estimées à 2 milliards d’euros) pour le refus de livrer les deux porte-hélicoptères, la Russie a accepté, en août 2015, de ne pas sanctionner la France. Paris remboursera uniquement les frais engagés et revendra (sûrement grâce à la Russie qui est en train de réarmer l’Egypte) les porte-hélicoptères au Caire, couvrant ainsi tous ses frais, mais perdant toute crédibilité commerciale en Russie et un marché considérable. En effet, Moscou cherche à rénover ses équipements obsolètes et à augmenter ses capacités de défense.

Un acteur énergétique incontournable

En janvier 2017, la Russie s'est ralliée aux positions de l’OPEP, promettant de réduire sa production de pétrole – une nouvelle hausse des prix en perspective pour les entreprises françaises qui ne cessent de clamer que la crise n’est toujours pas finie.

Cette volonté marquée de rapprochement entre la Russie et le Moyen-Orient, qui ne semble pas gêner Washington outre mesure depuis l’élection de Donald Trump, prouve que la Russie se positionne désormais comme un acteur énergétique incontournable sur la scène mondiale. Dans la configuration géopolitique actuelle, l’idée que la Russie fasse partie de l’OPEP n’est donc plus irréaliste.

Un marché insatiable

L’augmentation des prix du pétrole sera un nouveau coup dur pour l'économie française alors que ses exportations ont été durement touchées par l’embargo que Paris a accepté d’imposer à la Russie en s'alignant sur les États-Unis.

En août 2014, l’UE décrète des sanctions contre la Russie suite au conflit ukrainien, des sanctions qui vont lourdement affecter l’économie russe qui ne s’était pas encore relevée de la récession de 2009. En réponse, la Russie décrète à son tour un embargo sur les produits, principalement alimentaires, en provenance de l’UE, d’Amérique du Nord, de la Norvège et de l’Australie (Figure 2). Ainsi le secteur agricole français perd un marché de près d’un milliard d’euros, son quatrième marché d’exportation.

Figure 2: Les pays les plus touchés par l'embargo de la Russie. Staitcharts

Entre 2014 et 2015, les échanges entre les deux pays baissent de 35%, la balance commerciale étant déficitaire pour la France du fait de l'importation des hydrocarbures de Russie. Rien que pour l’année 2015, les effets de l'embargo se sont fait sentir sur l'exportation dans plusieurs secteurs tels que les matériels de transport (-45%), l’agroalimentaire (-39%), ainsi que les équipements électriques, électroniques et informatiques (-38%).

Le secteur des boissons alcoolisées, bien que non concerné par l’embargo, subit également les effets indirects de la chute du pouvoir d'achat et celle du rouble. En avril 2016, l'Assemblée nationale s'oppose à la décision de l'UE d'étendre les sanctions contre la Russie, considérant que celles-ci sont contraires aux intérêts économiques de la France et à la coopération entre les deux pays.

Figure 3: Évolution des exportations française par secteur vers la Russie. Douanes françaises

Ce sont les pays externes au conflit – le Brésil en tête (en dépit des coûts de transport), la Turquie, la Thaïlande et la Suisse – qui convoitent désormais ce marché alimentaire à l’abandon, la Chine se positionnant sur les autres secteurs. D'autres pays comme le Maroc sont sous la pression des États-Unis et de l’UE pour ne pas vendre leurs produits à Moscou.

Depuis les années 2000, malgré la récession de 2009, la Russie a globalement connu une croissance soutenue (Figure 4). Marché très demandeur en produits finis avec un pouvoir d'achat croissant et une forte appréciation pour les produits venant d'Europe et d'Amérique du Nord, la Russie représentait un très gros volume d'affaires pour nombre d'entreprises industrielles.

Figure 4: Croissance du PIB russe.

Ce n’est pas la levée des sanctions qui pourra instantanément relancer les exportations vers la Russie: les partenariats commerciaux sont à reconstruire, les contrats signés et en cours doivent prendre fin et l’image de l’Europe, bien que toujours appréciée, est fortement écornée en Russie. Beaucoup de Russes éprouvent de l’aigreur face à l’attitude jugée « pro-américaine » de l’Europe et parlent de boycotter volontairement les produits européens.

Depuis la mise en place des sanctions qui ont lourdement touché la population, l’intelligentsia russe est montée au créneau pour les dénoncer et appeler à consommer national. L’augmentation des prix a poussé les Russes à se regrouper dans des coopératives agricoles et à retrouver le chemin de l’industrie abandonnés depuis la chute de l’URSS. Ainsi, plusieurs coopératives ont vu le jour autour des grandes villes, autant de débouchés potentiels pour les produits agricoles français qui se ferment, alors que le secteur craint une saturation des marchés qui mènera inévitablement à une chute des prix. Des filières inconnues jusque-là en Russie et que la France maîtrise depuis des décennies, telles que la distribution de produits bio, voient désormais le jour en Russie.

Cette incapacité à jouer un rôle diplomatique coûte cher à la France qui a perdu l’Afrique et n'a pas maintenu ses relations avec l'Asie depuis la fin du mandat de Jacques Chirac (2007). Piégée dans l'UE et sans issue diplomatique, la France devrait peut-être se rapprocher d’un allié de taille pour se projeter dans l’avenir à moyen et à long terme, tant pour maintenir une présence politique à l’échelle mondiale que pour assurer un avenir à ses entreprises.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now