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Trumpisme, saison 2: la stratégie du raidissement

Donald Trump, au cimetière militaire américain de Suresnes, près de Paris, le 11 novembre 2018. Christian Hartmann /AFP

« La stratégie de Trump, c'est de survivre coûte que coûte », écrit l'éditorialiste Charles M. Blow dans le New York Times au lendemain des élections de mi-mandat. Ces Midterms se sont traduites par le changement de majorité à la Chambre des représentants au profit des démocrates et le gain, par ces derniers, d'au moins sept postes de gouverneurs et plus de 300 sièges dans les assemblées locales – le décompte des voix n'est pas terminé. Bien qu'il s'agisse d'élections locales et législatives, le Président a personnalisé au maximum le scrutin et cristallisé, pour ne pas dire hystérisé les débats sur, notamment, l'immigration et sa vision « racialisée » et excluante de la citoyenneté américaine.

La tentation s'est fait jour de penser que Trump allait accepter sereinement le verdict des urnes et faire retomber la pression inhérente à toute campagne électorale – bien que celle-ci ait atteint un niveau inédit de violence verbale et de désinformation et qu'elle ait été entachée par l'attentat antisémite de Pittsburgh et l'affaire des colis piégés. Il n'en a rien été.

Estimant que ces élections sont, pour lui, une « immense victoire », critiquant la fin du comptage ou le recomptage des voix dans plusieurs scrutins, il a aussi affirmé vouloir collaborer avec la Chambre démocrate… à condition qu'elle n'engage aucune enquête parlementaire à son encontre. Sinon, a-t-il menacé, il ordonnera des enquêtes contre les démocrates, ajoutant qu'« à ce jeu, nous sommes meilleurs ».

Le Président met donc en place, pièce après pièce, une stratégie de raidissement, au service de sa réélection en 2020. Car Trump est « toujours déjà » en campagne.

Protéger le pays et sa personne

En quelques jours, une série de déclarations et de décisions contre la presse et la justice, si elles expriment la grande frustration d'un Président confronté à ce qu'il faut bel et bien interpréter comme un échec dans les urnes, témoignent aussi d'une volonté de durcir son storytelling et sa ligne politique marqués par l'obsession identitaire et le refus de toute contradiction. Ce qui le rend plus dangereux encore que pendant les deux années qui viennent de s'écouler, selon plusieurs journalistes américains.

Trump sait qu'il ne jouera pas une partie facile avec un Parti démocrate qui a refait le plein de confiance, et confirme qu'il est un Président tenté par l'autoritarisme en démocratie. À l'objectif de préservation de l'identité américaine blanche et patriarcale s'ajoute celui de la protection de sa propre personne et de ses intérêts. Le Président fait corps avec, non pas la nation, mais avec le noyau de ses supporters, surtout les nativistes et les évangélistes.

Outre son projet politique, il s'agit surtout de garantir l'absence de poursuites judiciaires et la pérennité de la bonne santé de la Trump Organization. « Trump croit que ses amis et lui sont au-dessus des lois », écrit ainsi Adam Serwer dans The Atlantic.. Il ajoute:

[Il] pense que la loi est un bouclier qui le protège, et une épée qui peut être utilisée pour empaler ses ennemis. C'est on ne peut plus clair quand on voit ses exigences constantes de poursuivre ceux qui le critiquent, et sa décision de gracier des hommes comme Dinesh D'Souza and Joe Arpaio, dont il considère les violations de la loi comme banales parce qu'ils sont des flagorneurs pro-Trump.

La politique des coups de poing

Le limogeage, le 7 novembre, du ministre de la Justice, Jeff Sessions et son remplacement par son directeur de cabinet, Matthew G. Whitaker, en est le dernier exemple.

Whitaker est opposé à l'enquête du procureur Mueller, à propos de laquelle Trump n'a jamais pardonné à Sessions de se récuser. Il aurait, selon le New York Times, conseillé dans l'ombre Trump depuis des mois à propos de cette affaire qui constitue pour l'heure la principale – mais non la seule – épée de Damoclès sur la tête du Président. Trump a-t-il pour projet de mettre un terme à l'enquête de Mueller avant que la nouvelle Chambre des représentants ne s'installe, en janvier, et que les démocrates ne multiplient les investigations ?

Par ailleurs, les insultes contre plusieurs journalistes, dont Jim Acosta de CNN – qui s'est vu retirer son accréditation presse et qui a été l'objet d'une vidéo mensongère et trafiquée par la Maison blanche pour le discréditer –, mais aussi trois Africaines-Américaines – Abby Phillip, April Ryan and Yamiche Alcindor – accusées respectivement de poser une question « stupide », d'être une « loser » et d'être « raciste », montrent que Trump vise à disqualifier non seulement ses adversaires démocrates mais aussi toutes celles et tous ceux qui, par leurs questions et leurs enquêtes, le perturbent alors qu'il semble chaque jour plus vraisemblable qu'il consacre beaucoup d'énergie et de temps à faire obstruction à la justice.

En période électorale comme en période de routine, il envoie à ses électeurs le message qu'il s'efforce de les satisfaire – avec des mesures drastiques sur l'immigration, par exemple – mais qu'il en est empêché par le Congrès, les associations des droits de l'homme et des « fake news medias » de Washington aux mains de la gauche culturelle.

Car l'autre enseignement des Midterms est que le trumpisme s'est installé dans la société américaine. Ses partisans se sont déplacés pour aller voter et de nombreux candidats se réclamant de lui, sur le fond et dans la forme, ont été élus. Les Midterms ont donc ouvert la deuxième phase du trumpisme – qui mobilise aussi contre Trump, ce qui est une autre confirmation de son existence.

Les États-Unis débutent ainsi la deuxième saison d'une série télévisée marquée par les codes de la téléréalité, celle-là même qui, avec la presse people, a fait connaître Trump au grand public et a accompagné son ascension vers le pouvoir suprême.

La présidence Trump ou la téléréalité pour de vrai

Trump, c'est le « show » permanent. Depuis qu'il est à la Maison blanche, il a personnifié sa politique à l'extrême et construit son propre feuilleton, sa propre dramaturgie, comme il le faisait en tant qu'homme d'affaires. Il « tease » sans cesse son action et ses prises de position, sans intermédiaire grâce à Twitter, à ses meetings et aux conférences de presse. Il impose le tempo, crée le suspense, coupe le rythme médiatique et fait diversion sur les sujets qui le dérangent.

Comme dans une émission de téléréalité, c'est Trump qui raconte l'histoire et la livre au relais des réseaux sociaux et à l'analyse des médias. Il y plonge les observateurs, de gré ou de force, décide par sa rhétorique clivante quels personnages sont les « gentils » et les « méchants ». Il fournit souvent des informations laconiques, contraignant les observateurs à l'interprétation, voire à la surinterprétation, inévitables dans la mesure où il s'agit du président des États-Unis et qu'il est inimaginable de ne pas commenter ses propos et son action.

La peur, le doute, l'attente sont rois. L'attention est focalisée sur la « petite phrase » ou le coup d'éclat. D'autres éléments fondamentaux de la téléréalité comme le mensonge, la manipulation, l'intimidation, voire la menace posent les jalons du récit trumpien. « What, art thou mad ? art thou mad ? is not the truth the truth ? », demande Falstaff dans Henry IV de Shakespeare. Avec Trump, la hiérarchie entre la fiction et les faits disparaît car lui et ses soutiens cherchent à faire prévaloir l'expérience émotionnelle.

La gloire, l'épanouissement de soi… et la survie

Dans l'avion qui le transportait à Paris pour les commémorations du centenaire du 11 novembre 1918, Trump a tweeté qu'il se sentait « profondément insulté » par le souhait du Président français de relancer une stratégie de défense européenne. Ce propos, parfaitement contradictoire avec son souhait affiché depuis 2017 de voir ses partenaires augmenter leur budget de défense afin que « les États-Unis ne paient plus pour les autres », a été le plus commenté pendant 24 heures. On retrouve ici son goût de la compétition, son souhait d'avoir le dernier mot, quitte à revenir sur des déclarations passées.

Après son entretien avec Emmanuel Macron, samedi, il a décidé de ne pas participer à la visite d'un cimetière militaire et d'un mémorial de la Première Guerre mondiale dans l'Aisne, officiellement « à cause du mauvais temps », et il a choisi de prononcer un discours au cimetière américain de Suresnes plutôt que de participer au Forum pour la paix qui réunissait plusieurs dizaines de chefs d'Etat ou de gouvernement et où il a beaucoup été question de multilatéralisme. De retour aux États-Unis, il a twitté sur sa visite en France, insistant sur l'importance que ces derniers soient traités équitablement par ses partenaires en matière de commerce et de dépenses militaires, et ironisant sur le vin français et la popularité du Président Macron.

Le storytelling de la paix et de la réconciliation ne semble en réalité pas convenir à Trump qui a fait mine de « bouder » une partie des cérémonies auxquelles il avait insisté pour participer et a donc fait bande à part. Cette mise en scène, calculée, obéit à des objectifs simples : le refus ostentatoire d'un cadre imposé - surtout à l'étranger -, l'épanouissement de soi, le «personal branding», la gloire. Survivre coûte que coûte. Il en sera ainsi pendant encore deux ans. Au moins.

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