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La façade du siège du Parlement européen à Bruxelles en Belgique
La façade du siège du Parlement européen à Bruxelles en Belgique. Shutterstock

Un congrès des peuples européens permettrait-il de faire reculer le populisme ?

Avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron, les élections européennes ont pris un tour inattendu en France. La conjoncture est exceptionnelle à plusieurs égards : la guerre est revenue au cœur du vieux continent et l’armée russe pourrait l’emporter contre l’Ukraine ; des partis d’extrême droite ont déjà conquis le pouvoir en Europe occidentale (notamment en Italie) après que l’illibéralisme se soit installé durablement dans sa partie orientale ; et en France, les législatives anticipées pourraient venir ajouter des teintes brunes à ce tableau européen déjà bien sombre.

De fait, le retour du tragique de l’histoire repose la question européenne à nouveau fraîche. Au sens propre du terme. Rien que l’adaptation de notre système productif à la décarbonation est évaluée à environ 400 milliards d’euros supplémentaires par an.

Comment, dans ce contexte, produire les efforts financiers et les investissements massifs nécessaires dans une Europe à ce point divisée ? L’idée que je défends dans mon récent ouvrage consiste à penser que sans un ancrage démocratique plus fort au cœur des sociétés européennes, l’Union européenne a peu de chances de parvenir à relever les défis qui l’attendent.

Une seconde chambre au sein de l’Union européenne ?

La piste que nous suivons a été défrichée par le philosophe allemand Jürgen Habermas qui a souligné, il y a une quinzaine d'années, qu’il existait une sorte de dédoublement du pouvoir au sein de l’Union : les habitants des pays membres sont à la fois citoyens de ces États et futurs citoyens de l’UE. Il existe donc deux dimensions de la citoyenneté, et il convient de les institutionnaliser de manière formelle afin que les citoyens entretiennent des relations de droits et de devoirs en même temps vis-à-vis de leurs États d’origine, comme c’est déjà le cas, et vis-à-vis de l’Union européenne.

De cette hypothèse, on pose qu’il est nécessaire de créer une seconde chambre au sein de l’Union européenne, composée de parlementaires nationaux plutôt que d’élus européens et chargée de représenter la citoyenneté politique nationale au sein de l’UE. Le « Congrès de l’Union européenne » serait alors constitué de deux chambres : l’une chargée de représenter la citoyenneté politique européenne des citoyens (le Parlement européen actuel), l’autre la citoyenneté politique nationale de ces mêmes citoyens (cette nouvelle assemblée composée des parlementaires nationaux).

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Cette seconde chambre, tout aussi européenne que le Parlement européen, permettrait un ancrage démocratique plus fort de l’UE afin de lui donner la capacité de mobiliser les ressources fiscales et humaines des sociétés européennes et de mettre l’Union en mesure de produire des biens publics tels qu’une « défense commune » et de financer la révolution nécessaire de son système productif à l’aune de la transition écologique.

L’Union européenne : comment ça marche ?

Comme l’a montré il y a quelques années déjà le politologue suédo-suisse Lars-Erik Cederman, l’idée post-nationaliste de l’affaiblissement progressif des citoyennetés nationales au profit de la citoyenneté européenne a cédé la place à l’idée de la coexistence des deux types de citoyennetés au sein de l’ensemble des citoyens européens et nationaux.

Le schème post-nationaliste prôné par les fédéralistes européens apparaît aujourd’hui comme une hypothèse erronée et ils devraient tirer les leçons de la montée en puissance des nationalistes et des populistes dans l’Europe d’aujourd’hui.

Un déficit de légitimité

Dans les faits, ce constat signifie que le pouvoir politique légitime reconnu par les citoyens ordinaires est d’abord leur pouvoir politique national et leur système politique national, tandis que le pouvoir politique européen ne vient qu’en second lieu avec une légitimité moins évidente.

Autant dire que les citoyens sont davantage portés à respecter des décisions qui s’imposeraient à eux venant d’une institution nationale que d’une institution politique européenne. Que l’on songe à une déclaration de guerre contre la Russie venant de la Commission européenne et du Parlement européen… plutôt que de la Présidence de la République et du Parlement français.

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Bien entendu, cette rémanence de la citoyenneté nationale ne se mesure jamais de manière si évidente qu’au moment des élections européennes comme celles de dimanche dernier. Dans l’ensemble des 27 États membres, environ 20 points séparent les taux de participation lors des élections nationales et européennes au détriment de ces dernières, agrégeant et objectivant dans l’acte de vote la supériorité de la légitimité des institutions politiques nationales comparée à celle des institutions européennes.

Sur le plan institutionnel, cette prééminence des citoyennetés politiques nationales par rapport à la citoyenneté européenne acquiert également une visibilité particulière sur la question budgétaire. Depuis les années 1960, les parlementaires européens, tout particulièrement les plus fédéralistes d’entre eux, ont tenté de créer des ressources propres à l’Europe, qui permettraient d’avoir un budget européen, consacrant son autonomie fiscale.

Il en allait de rien moins que de la réalisation d’un État européen proprement fédéral. Sans succès. Les gouvernements des États membres s’y sont toujours refusés. Aujourd’hui encore, plus de 70 % du budget de l’Union européenne est en fait constitué de ce que l’on appelle les contributions nationales des États membres, autrement dit des dépenses votées par les 27 Parlements nationaux des États membres.

Plus encore, le montant du budget européen demeure extrêmement faible – à hauteur de 1 % du PIB des États membres. Pourtant, lorsqu’en 1977, le rapport Mac Dougall demandé par la Commission européenne envisageait d’évaluer le budget d’une Europe fédérale comprenant une défense commune, il parvenait à une estimation de 7,5 % à 10 % du PIB des États membres au minimum.

Le Parlement européen à Strasbourg
Le Parlement européen à Strasbourg. Shutterstock

La gouvernance budgétaire de l’Union

La capacité de l’Union européenne à extraire des ressources financières des sociétés européennes demeure formidablement réduite par rapport à celle de ses concurrents américains ou chinois, comme l’ont démontré le grand plan de relance post-Covid états-unien (1 800 milliards d’euros) et le récent Inflation reduction act (IRA) (800 milliards d’euros).

Or, les institutions qui sont chargées d’extraire ces ressources fiscales et financières des États dans nos démocraties occidentales – un principe au fondement même de nos démocraties – ce sont les parlements représentant les peuples de l’Union.

Calquant le système politique européen sur les démocraties nationales, les fédéralistes en ont déduit logiquement que le budget de l’Union, y compris et d’abord ses recettes, devaient donc être votées par le Parlement européen. Mais 70 ans plus tard, on l’a dit, le résultat est un échec.

Dans mon livre, je fais le constat qu’au moment où tous les diagnostics politiques et économiques de droite comme de gauche vont dans le même sens de la nécessité de mobiliser des fonds publics massifs pour transformer notre système productif dans le sens d’une « écologie de guerre », il convient de se poser la question de la gouvernance budgétaire de l’Union – l’éléphant dans la pièce de la construction européenne.

Tout porte donc à croire qu’il est peu probable que le Parlement européen puisse être suffisamment légitime pour lever les impôts et plus largement trouver les financements nécessaires pour faire face aux nouveaux défis de l’UE à hauteur des centaines de milliards nécessaires.

Cette question budgétaire apparaît bien comme un nœud gordien au cœur de l’Union et le moment est peut-être venu de le trancher, sauf à accepter le décrochage économique de l’Union, son déclin et sa satellisation vis-à-vis des États-Unis.

Un projet ancien

Il faut dire que ce projet d’assemblée de parlementaires nationaux n’a rien d’extravagant : il s’agit en fait d’un projet ancien au sein de la construction européenne. Ce qui est remarquable est qu’il a toujours émergé de l’extérieur des milieux réformateurs de l’Union européenne – plutôt des gouvernements des États membres que des thinks tanks bruxellois – parce qu’il s’agit d’une réforme dont les fédéralistes du Parlement européen ont toujours pensé qu’elle viendrait affaiblir leur institution en tant que garante exclusive de la démocratie européenne.

C’est notamment lors du grand discours du ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer à l’université Humboldt de Berlin, le 12 mai 2000, que la question de la place des Parlements nationaux au sein de l’architecture fédérale européenne fut remise à l’ordre du jour pour répondre aux populismes émergents et aux premières réticences visibles à l’égard de l’Union, ouvrant une nouvelle configuration post-Maastricht.

« Parachever l’intégration européenne, c’est faisable, affirmait-il, à condition que ce Parlement européen dispose de deux chambres, dont une serait composée de députés élus appartenant en même temps aux Parlements nationaux. C’est là le moyen d’éviter tout antagonisme entre les Parlements nationaux et le Parlement européen, entre État-nation et Europe. »

Un quart de siècle et 25 % de populistes au Parlement européen plus tard, peut-être serait-il raisonnable de remettre ce projet à l’ordre du jour. Ce d’autant plus qu’il fut repris le 28 mai 2001 par le premier ministre français d’alors, Lionel Jospin, qui pour mieux associer les Parlements nationaux à l’Union envisageait de créer un congrès des peuples européens chargé de donner à l’Union ses grandes orientations.

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