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Un salarié français sur cinq dénonce des « pressions » pour agir contrairement à son éthique

Le nombre de salariés estimant subir des pressions est supérieur en France que dans les autres pays européens. Motortion Films/Shutterstock

C’est l’une des conclusions les plus frappantes de l’étude 2018 Ethics at Work – France réalisée par l’Institute of Business Ethics (IBE) de Londres et dévoilée à Paris fin 2018, lors d’une conférence publique organisée par l’IÉSEG School of Management, partenaire national de l’IBE : 20 % des employés français dénoncent des « pressions » contraires à ce qu’ils jugent être éthique. Un chiffre d’autant plus préoccupant qu’il est plus élevé que la moyenne européenne (16 %) et qu’il a augmenté par rapport à 2015 (14 %).

Cette enquête, dont les données ont été recueillies auprès de plus de 6 000 personnes interrogées en France et dans sept autres pays, nous apprend également que, si l’on examine les réponses fournies par les employés au niveau managérial, le pourcentage de personnes dénonçant des pressions pour compromettre ce qu’ils estiment être des normes éthiques augmente encore (26 %). On pourrait donc en conclure que travailler au niveau du management ne protège pas des pressions exercées en faveur d’une conduite contraire à l’éthique. Ce problème est plutôt systémique s’il implique, comme l’indiquent les données, plus d’un manager français sur quatre.

Une question semble alors naturellement se poser : quelles sont les origines de ces pressions dans les entreprises françaises ? Les résultats de l’étude mettent en lumière plusieurs pistes :

Ibe.org.uk

Le graphique montre que « suivre les ordres de mon patron » est la deuxième raison la plus citée pour transgresser l’éthique (30 % des répondants). Ce résultat est particulièrement inquiétant pour les organisations dotées d’un code d’éthique écrit, comme si les principes éthiques d’un tel code ne comptaient plus dès lors qu’il s’agit d’enjeux commerciaux.

Le graphique indique par ailleurs que c’est la « pression temporelle » qui pousse le plus les répondants à agir contrairement à leurs principes (38 % des répondants). Un chiffre que l’on peut l’interpréter comme un excès de zèle sur le respect des délais dans la culture d’entreprise hexagonale.

Doit-on pour autant limiter notre compréhension au fait que l’environnement concurrentiel français devient de plus en plus hostile à un comportement éthique ? Ou alors d’autres explications à ce phénomène sont-elles possibles ?

Des salariés de plus en plus prêts à parler

Et si l’on proposait une interprétation différente ? Une lecture plus optimiste, en termes de sensibilisation éthique accrue ? Et si le fait que davantage de managers dénoncent ce genre de pressions était en fait un signe positif qui repérerait des managers plus sensibles à l’éthique, prêts à déceler des « raccourcis contraires à l’éthique » et plus disposés à parler et relever ces pressions (« speak up »), même dans le cadre sécurisé d’un sondage anonyme en ligne ? En fait, pour répondre à cette question spécifique, la majorité des salariés français se déclarent disposés à prendre la parole lorsqu’ils constatent qu’une faute professionnelle a été commise au travail (52 % contre seulement 44 % en 2015).

Cependant, d’autres aspects des résultats de cette étude qui relativisent quelque peu cette vision optimiste. En enquêtant sur la diffusion de programmes d’éthique au sein d’entreprises françaises, l’étude montre par exemple que la prise de conscience a augmenté en France depuis 2015, en particulier chez les jeunes employés, pour chacun des quatre éléments constitutifs de tout programme d’éthique en entreprise :

  • Le fait de disposer de normes écrites de conduite éthique comme un code d’éthique (47 %) ;

  • Une procédure permettant de signaler les fautes professionnelles (33 %) ;

  • Des démarches à effectuer pour obtenir des conseils (29 %) ;

  • et l’opportunité de suivre une formation en éthique (26 %).

Et si la parole se libérait plus tard en France qu’ailleurs ? Fizkes/Shutterstock

Si ces données sont encourageantes et bien qu’il s’agisse d’une tendance positive, il est indéniable que si l’on se rapproche des moyennes européennes. Les chiffres français indiqueraient donc avant tout une prise de conscience plus tardive dans l’hexagone par rapport à d’autres pays européens.

Besoin de programmes d’éthique différents

Comment les employés français peuvent-ils alors affirmer que leur entreprise progresse par l’adoption de tous ces éléments de programmes d’éthique, tandis qu’ils constatent une pression accrue pour les inciter à nuire aux normes éthiques de l’entreprise ? S’en remettre, une fois encore, à l’interprétation optimiste proposée précédemment (« il pourrait s’agir d’une question de meilleure prise de conscience de la plupart des employés ») serait sans doute, et à juste titre, une réaction jugée trop naïve.

Ne serait-il pas temps de s’interroger également sur l’efficacité des programmes d’éthique en entreprise ? Qui sait si la plupart des managers et des employés ne considèrent pas « l’institutionnalisation » de l’éthique comme une charge supplémentaire à leurs objectifs professionnels traditionnels, ou en d’autres termes, au business lui-même ? Si on l’adhère à cette relativement ancienne, mais toujours vivante, idéologie de la valeur actionnariale (shareholder value ideology) telle que la juriste Lynn Stout la définit, l’éthique, au lieu d’être prise pour une réelle ressource qui permettrait de créer de la valeur, pour toutes les parties prenantes, dont les actionnaires, est inévitablement considérée comme un frein au profit. Dans ce cas, le fait de multiplier les programmes en matière d’éthique au cœur des entreprises n’aidera pas à réduire la pression pour compromettre l’éthique, et encore moins à la faire disparaître. La nécessité est d’accéder à des programmes fondamentalement différents. L’un des principaux spécialistes américains de la « stakeholder theory », R. Edward Freeman, suggère même des conversations authentiques sur le but et les valeurs éthiques dans le monde des affaires. Il s’agirait selon lui d’essayer de déjouer les pièges de ce qu’il appelle la « separation thesis » qui conçoit le business et l’éthique comme deux dimensions distinctes et conflictuelles.

Dès l’instant où l’on commencera à considérer que le business n’est rien d’autre qu’un système de coopération sociale visant à créer de la valeur, et que l’éthique (c’est-à-dire la confiance) est une composante fondamentale au succès de toute entreprise, nous serons en mesure d’élaborer une culture de l’éthique plus solide et des programmes plus efficaces en la matière au travail.

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