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Une enquête dresse un état des lieux des violences sur mineurs à l’île de la Réunion

Une femme réunionnaise de face et des passants de do, sur un marché de Sait-Denis-de-la-Réunion
Sur l'île de la Réunion, les filles sont davantage victimes de violences au cours de leur enfance que sur le territoire métropolitain. Richard Bouhet/AFP

L’ampleur des violences subies au cours de l’enfance et de l’adolescence en France commence à être mieux connue grâce à plusieurs enquêtes scientifiques et statistiques. En 2000, L’enquête nationale sur les violences envers les femmes (Enveff) a fourni de premières estimations.

Quinze ans après, l’enquête Virage a permis d’actualiser les données en les enrichissant : elle intègre un échantillon d’hommes et fournit de nouvelles estimations de la fréquence des violences physiques et sexuelles subies avant 18 ans. Pour la première fois une enquête permet d’estimer l’importance des violences psychologiques et verbales, également considérées comme de la maltraitance par les textes internationaux.

Qu’en est-il dans les territoires d’outre-mer ? S’appuyant sur la déclinaison de l’enquête Virage à l’île de La Réunion nous examinons la fréquence de ces violences dans ce territoire.

Tout comme l’enquête Enveff, conduite en 2000 sur l’île de la Réunion, cette nouvelle enquête révèle des taux de violence plus élevés que ceux constatés dans l’Hexagone et montrent comment les fortes inégalités sociales et territoriales fragilisent une partie de la population face à ces actes. En 2018, à la Réunion, 15 % des femmes sont en situation de violences conjugales, soit trois fois plus qu’en France métropolitaine, et dans 28 % des cas les faits de violences jugés graves par ces femmes ont eu lieu devant les enfants.

Dans ce contexte, la fréquence des violences commises sur les enfants et les adolescents est-elle aussi plus élevée au sein de la famille et de l’entourage proche ? Quelles différences observe-t-on entre les expériences des filles et des garçons ? Quels sont les auteurs de ces actes de violence ?

Une moyenne de violences sur personnes mineures plus élevée que dans l’Hexagone

À La Réunion, d’après l’enquête Virage dans les outre-mer, 32 % des femmes et 23 % des hommes déclarent des faits de violence avant 18 ans dans les différentes sphères de vie (études, loisirs, cercle amical, famille, proches). Ces faits se produisent principalement au sein de la famille et de l’entourage proche (26 % des femmes et 20 % des hommes en déclarent dans ce cadre). Ces mêmes personnes ont pu connaître des violences avant 18 ans également dans d’autres cadres, mais dans des proportions bien moindres. Les violences avant 18 ans dans la famille et l’entourage proche sont sensiblement plus fréquentes que dans l’Hexagone : 1 femme sur 4 (contre 1 sur 6 dans l’Hexagone) et 1 homme sur 5 (contre 1 sur 8) déclarent au moins un fait (tableau ci-dessous). Ces fréquences plus élevées mettent en lumière de fortes différences de genre : les femmes déclarent davantage de violences subies, et de tout type (psychologique, physique, sexuel).

Tableau de typologie des violences subies avant 18 ans en France et à la Réunion
Tableau ; Type de violences subies avant 18 ans dans la famille ou l’entourage proche (en %). Stéphanie Condon, Sandrine Dauphin, Justine Dupuis et l’équipe de l’enquête Virage dans les outre-mer/INED, Fourni par l'auteur

L’enquête à La Réunion montre des taux pour les différentes formes de violences psychologiques et verbales plus élevés que dans l’Hexagone (tableau ci-dessus) ; pour les hommes il s’agit du double (18,4 % contre 9,5 %). Toutefois, les femmes déclarent davantage ce type de violences, notamment le fait d’avoir été exposées à des hurlements, bris d’objets, etc. De plus, de graves tensions ou un climat de violences entre les parents ont été vécus pendant l’enfance par une personne enquêtée à La Réunion sur six (1 sur 8 dans l’Hexagone).

Les femmes déclarent avoir subi davantage de violences physiques que les hommes

En revanche, les taux de violences physiques ne diffèrent guère de ceux relevés dans l’Hexagone mais elles concernent plus souvent les filles (près de 9 % contre 6 % des garçons à La Réunion, comparés à respectivement 8 % et 7 % en France métropolitaine) (tableau ci-dessus). Ce résultat semble contre-intuitif compte tenu de modes d’éducation plus proches – notamment les injonctions à la virilité – qui donnent plus fréquemment lieu à des corrections physiques pour les garçons, comme montré par exemple pour la Martinique. Il y aurait ainsi peut-être un plus grand contrôle du comportement des filles dans le foyer et à l’extérieur, pouvant passer par des corrections physiques. Mais il est également possible que les hommes banalisent ce type d’actes et les rapportent alors moins souvent lorsqu’ils sont interrogés.

Sur l’île de La Réunion, comme dans l’Hexagone, c’est surtout pour les agressions sexuelles que les expériences des femmes et des hommes diffèrent : 7 % des femmes et 1 % des hommes ont déclaré avoir subi de telles agressions dans le cercle familial et l’entourage proche. Il s’agit principalement d’attouchements. Les viols et tentatives de viols concernent un peu plus de 2 % de l’ensemble des femmes avant leurs 18 ans. Ces violences sexuelles ont pu commencer très jeunes : pour plus du tiers des femmes en ayant déclaré (38 %), la première agression est survenue avant l’âge de 8 ans, et ces violences se sont répétées au cours de l’enfance et de l’adolescence pour 75 % des victimes.

Un contrôle social des filles plus important par la famille, notamment par les mères

Les parents directs – le père et la mère – sont les principaux auteurs des violences psychologiques et physiques dans le cadre de la famille et l’entourage proche. Cependant, le père est plus souvent cité que la mère : pour 51 % des femmes et 37 % des hommes, les pères sont auteurs de violences psychologiques, et pour 43 % tant des unes que des autres, de violences physiques.

Ceci dit, les femmes désignent leur mère comme auteure de critiques, d’humiliations et d’insultes quatre fois plus souvent que ne le font les hommes (28 % des faits cités par les femmes victimes contre 7 % pour les hommes) et également plus souvent comme auteure de violences physiques (37 % et 17 % respectivement) et ce, quelle que soit la configuration familiale (parents en couple ou famille monoparentale). À noter que l’enquête Virage dans l’Hexagone souligne aussi l’importance de la mère en tant qu’auteure de violences psychologiques et physiques, avec néanmoins un moindre écart entre les déclarations des femmes et des hommes.

L’éducation apparaît ainsi plus différenciée selon le genre à La Réunion. Les mères, sur lesquelles reposent principalement les tâches éducatives, exerceraient un contrôle plus important sur leurs filles, donnant davantage lieu à des tensions et des conflits et, a contrario, seraient adeptes d’un plus grand “laisser-faire” vis-à-vis de leurs fils.

Un rôle de régulation, voire d’autorité des membres de la famille élargie ?

Cependant, l’analyse de l’expérience de violences au sein de la famille ne peut se limiter aux seules relations parent-enfant, ni aux personnes cohabitantes, et ce d’autant plus qu’à La Réunion l’entourage familial des personnes enquêtées, même les plus jeunes, peut être composé de nombreux oncles, tantes, cousins et cousines. Il n’est pas rare que plusieurs générations habitent la même maison ou, encore plus fréquemment, la même rue ou le même quartier. En effet, à La Réunion, dans des proportions supérieures à la moyenne de l’Hexagone, les hommes et les femmes victimes de violences psychologiques et verbales ou physiques dans l’entourage familial citent des membres de la famille élargie, donc autres que les parents ou la fratrie, comme auteurs des faits (voir figure ci dessous).

Figure montrant le ype d’auteur selon la catégorie de violence et de sexe (en %)
Type d’auteur selon la catégorie de violence et de sexe (en %). Stéphanie Condon, Sandrine Dauphin, Justine Dupuis et l’équipe de l’enquête Virage dans les outre-mer/INED, Fourni par l'auteur

Un oncle est notamment cité comme auteur des violences psychologiques par 12 % des femmes et 15 % des hommes victimes. Les autres hommes de la parenté (cousins, beaux-frères…) sont également souvent auteurs de ces violences. Malgré le rôle pivot des mères réunionnaises auprès des enfants, les hommes de la famille exercent sans doute un rôle actif de régulation, voire d’autorité au sein du groupe familial, d’autant plus que les membres de la parentèle vivent souvent à proximité les uns des autres.

Par ailleurs, si les hommes subissent des violences physiques principalement du père et/ou de la mère, pour les femmes, la place des beaux-pères (auteurs de 12 % des faits cités), des frères ou demi-frères (16 %) et des oncles (6 %) dans ces corrections physiques n’est pas négligeable, ce qui laisse penser que l’exercice du contrôle des filles s’étend à l’ensemble des hommes de la famille.

Les auteurs de violences sexuelles sont majoritairement des hommes de la famille élargie ou de l’entourage proche

C’est dans le cercle de la famille et de l’entourage proche que se produisent la plupart des violences sexuelles subies par les femmes avant l’âge de 18 ans. 12 % de femmes vivant à La Réunion ont déclaré des violences sexuelles lorsqu’elles étaient mineures, et dans les deux tiers des cas au moins un des auteurs est un membre de la famille ou de l’entourage proche. À l’inverse, pour les hommes victimes de ce type de violence (3 % de l’ensemble des hommes enquêtés), ce n’est le cas que pour un tiers d’entre eux.

En outre, comme dans l’Hexagone, les auteurs sont davantage diversifiés au sein de la famille pour les violences sexuelles que pour les autres formes de violences commises principalement par les parents (voir figure ci-dessus). Elles sont plus souvent commises par des oncles (cités par 23 % des femmes victimes), par d’autres hommes de la parenté (cousin, conjoint d’une tante, etc.) (cités dans 29 % des cas), ou de l’entourage proche de la famille.

Oncles et beaux-pères, principaux auteurs des violences incestueuses

Enfin, concernant les agressions sexuelles avant 18 ans, nous avons examiné plus précisément celles pouvant être qualifiées d’incestueuses. Nous avons construit un indicateur des viols et agressions sexuelles incestueuses seulement pour les femmes, étant donné le trop faible nombre d’hommes en ayant déclaré. L’indicateur recouvre les faits de cette nature impliquant une relation avec l’auteur (aucune femme auteure citée lors de l’enquête) pouvant être qualifiée juridiquement d’incestueuse (père, grand-père, oncle, beau-père, frère).

Près de 3 % des femmes résidant à La Réunion ont vécu des violences sexuelles incestueuses dans leur enfance et leur adolescence (pour l’Hexagone, l’enquête Virage indique un taux de 2,5 %). L’auteur de ces violences incestueuses est le plus souvent un oncle (23 % des cas cités). Les beaux-pères sont aussi nombreux que les pères à avoir agressé sexuellement les filles (les premiers sont cités dans 7 % des cas, contre 6 % pour les seconds). Toutefois, en ne considérant que les femmes ayant vécu avec un beau-père durant leur enfance et leur adolescence, celui-ci devient le principal auteur des agressions sexuelles déclarées dans 25 % des cas, proportion que l’on retrouve également dans l’Hexagone.

Cette nouvelle enquête renseigne sur des violences qui commencent souvent à des âges très jeunes et concernent tous les milieux sociaux et toutes les générations. Comme dans l’Hexagone, les filles sont plus souvent victimes mais les écarts entre filles et garçons sont plus importants à La Réunion lorsqu’il s’agit de violences physiques ou sexuelles.


Ce texte est adapté d’un article publié par les autrices dans Population et Sociétés n° 592, « Les femmes sur l’Île de La Réunion fortement exposées aux violences pendant l’enfance et l’adolescence ».

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