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Une exposition de photographies en réalité augmentée pour mettre en lumière le matrimoine amérindien

Portrait de deux jeunes femmes mapuche devant leur métier à tisser utilisant un ngürewe, tendeur textile en os de baleine. D’après la taille de la structure du tissage et le détail des fils, elles sont probablement en train de confectionner un chañuntuku, petit tapis. Claude Joseph, circa 1927. Dans “Los tejidos araucanos”, 1928, Revista Chilena, XII (103-104), p. 1251-1280, Museo Histórico Nacional de Chile, archive S-001321.

Chez les Mapuche, peuple autochtone de l’extrême sud-américain (Chili, Argentine), les femmes jouent un rôle majeur dans la préservation et la transmission de l’histoire et de la culture ancestrale qui a su résister aux attaques successives de l’Empire inca et de la colonisation espagnole puis aux expropriations causées par les politiques néolibérales du Chili contemporain. Les tisserandes racontent à travers leur art cette histoire de résistances et le lien primordial avec la terre que ce peuple entretient, comme en atteste son nom qui signifie « gens » (che) de la « terre » (mapu) en mapudungun, la langue du peuple mapuche.

Gardiennes d’un savoir-faire ancestral

L’exposition de photographies en réalité augmentée, Pilquen. L’héritage des femmes mapuche, propose de découvrir l’art des tisserandes mapuche, gardiennes d’un savoir-faire ancestral. Le titre Pilquen signifie « vêtement, tissu » en mapudungun. Quant au sous-titre, il souligne l’attention portée au legs féminin que constitue le tissage et ses modalités de transmission, considéré comme une ressource essentielle du matrimoine culturel mapuche.

Relatos de mujer : « Mujer mapuche » – Récits de femmes : « Femme mapuche », Servicio National del Patrimonio Cultural (Chili), 2011.

À l’origine de l’exposition initialement dédiée aux femmes indigènes d’Amérique latine, se trouve l’intérêt des étudiant·e·s pour la culture mapuche découverte au sein de l’Atelier théâtre en espagnol de l’Université Clermont Auvergne, et du travail mené autour de la Médée mapuche du dramaturge chilien Juan Radrigán.

La découverte de cette culture amérindienne et du rôle majeur des figures féminines a constitué un déclencheur dans ce projet culturel. À partir de la collaboration avec le programme de recherche-création Matrimoine Afro-Américano-Caribéen, soutenu par l'Agence Universitaire de la Francophonie, et qui vise la constitution et l’analyse de la transmission des legs féminins dans la création contemporaine des Amériques et de la Caraïbe, l’exposition a fait l’objet d’une conception conjointe des étudiant·e·s du double diplôme de Master Études Interculturelles Franco-Espagnoles de l’Université Clermont Auvergne et de l’École Supérieure d’Infotronique d’Haïti.

Après un important travail de recherches documentaires sur la culture, l’histoire, la cosmogonie et l’art textile mapuche, la sélection finale des photographies représente des tisserandes au travail sur le witral, métier à tisser vertical, des pièces textiles et des accessoires de tissage. Toutes les photographies cibles de l’exposition mettent en lumière la transmission intergénérationnelle au sein de généalogies féminines – de mère en fille, de grand-mère à petite-fille, de tante à nièce… – en confrontant photographies d’archives collectées auprès de musées chiliens (Museo Histórico Nacional de Chile, Museo Chileno de Arte Precolombino, et photographies actuelles, en particulier celles de l’anthropologue et photographe Céline Parra et du Musée Bargoin-Clermont Auvergne Métropole.

Portrait d’une femme Mapuche assise au sol devant son métier à tisser. Elle porte un châle noir, ou ukulla, qui lui recouvre le dos, un bandeau et des boucles d’oreille, caractéristiques du costume mapuche traditionnel. Anonyme, circa 1920, Museo Histórico Nacional de Chile, Fourni par l'auteur

Les trois parties de l’exposition parcourent l’histoire du tissage mapuche : de ses origines mythiques sous le patronage de Lalén Kuzé, la vieille araignée, divinité tutélaire qui, selon le mythe, initie les jeunes tisserandes aux techniques de filage et de tissage perpétuées par la transmission. L’apprentissage est marqué par divers rituels au cours desquels la tisserande expérimentée transmet non seulement son savoir-faire textile mais également sa connaissance poussée de l’environnement naturel qui fournit les matières premières nécessaires aux créations : la laine ainsi que les fruits, les feuilles et les fleurs utilisés pour les teintures scellent une coopération féconde et sacrée avec ñuke mapu (« la Terre Mère »).

Les pièces photographiées rendent compte d’une véritable écriture textile qui peut raconter, avec ses codes propres selon les motifs et couleurs choisis, l’histoire de la communauté ou désigner le statut de la personne pour laquelle la pièce a été conçue ou encore l’occasion où elle a été arborée. Les tisserandes sont parfois les seules à pouvoir déchiffrer les œuvres de leurs ancêtres, assurant de la sorte leur fonction de gardiennes de la culture communautaire.

Les augmentations des photos cibles accessibles grâce à une application de réalité augmentée téléchargeable sur le portail web matrimoine.art permettent d’enrichir la scénographie par des témoignages vidéos, des extraits de mythes et de poèmes, des explications audios et lectures bilingues en français et en espagnol avec lesquels les visiteurs-utilisateurs peuvent interagir (en les modifiant, les annotant…).

Un poncho mapuche. Collection Musée Bargoin, Clermont Auvergne Métropole, Anja Beutler, Clermont-Ferrand, juin 2021, Fourni par l'auteur

L’approche interculturelle a trouvé un point d’ancrage particulièrement pertinent dans la collaboration avec le Musée Bargoin-Clermont Auvergne Métropole qui dispose d’un poncho mapuche dans sa collection. Cette pièce photographiée constitue la dernière étape du parcours et couronne cette chaîne de transmission intergénérationnelle et interculturelle qui a déterminé la composition de l’exposition, en créant un pont entre le textile mapuche et le public clermontois.

L’affiche de l’exposition. Juliette Chausse, Fourni par l'auteur

Projet pluridisciplinaire et international au carrefour de la formation, de la recherche et de l’action culturelle, l’exposition Pilquen contribue aux travaux menés au sein de l’Atelier Recherche-Création du Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique et du Service Université Culture de l’Université Clermont Auvergne dans l’expérimentation d’outils alternatifs de constitution et de transmission du savoir mis au service de la réhabilitation du matrimoine culturel tel que l’autrice et chercheuse Aurore Evain le définit.

Cette notion (ré)émergente au sein de la francophonie constitue la pierre angulaire du programme Matrimoine afro-américano-caribéen qui héberge la version en ligne de l’exposition Pilquen. Ce choix terminologique aux implications sociétales et politiques majeures (en matière d’égalité femmes-hommes et de diversité culturelle) pour désigner les formes de legs féminins que le programme entend recenser, fait l’objet de travaux lexico-culturels en cours, en raison de l’acception restreinte des termes matrimonio, matrimony au sens de « mariage » dans les autres langues des aires culturelles concernées.


L’exposition « Pilquen. L’héritage des femmes mapuche », visible depuis mars 2021 sur le portail matrimoine.art, est présentée pour la première fois à la BU Droit, Economie, Management de Clermont-Ferrand du 10 juin au 24 septembre 2021. Visites guidées les 17 et 18 septembre 2021 à l’occasion des Journées du Matrimoine.

Crédits : pilquen-lheritage-des-femmes-mapuche. Contact : pilotage@matrimoine.art. Instagram : @Pilquen.

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