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Une saison des feux hors normes en Tasmanie

Les cèdres de Tasmanie sont tout particulièrement vulnérables au feu. brewbooks/flickr, CC BY-SA
La Tasmanie, seul État insulaire d’Australie.

Plus de 72 000 hectares de l’ouest de la Tasmanie sont partis en fumée à la suite d’une série d’impressionnants feux de brousse, causés notamment par la foudre qui s’est abattue sur l’île le 13 janvier dernier.

On peut se rendre compte de l’ampleur de ces incendies en se rendant le site du Tasmania Fire Service. Ces feux représentent un immense défi pour les autorités, sachant qu’une solution rapide n’est pas envisageable en raison de l’absence de pluies prévue pour les semaines à venir.

Aucune victime n’est heureusement à déplorer et peu de biens ont été endommagés, ces incendies ayant touché des zones reculées. Mais il existe une inquiétude grandissante au sujet des impacts environnementaux de ces feux sur la zone de nature sauvage de Tasmanie, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. On s’interroge en particulier des conséquences de ces incidents pour les parcs nationaux Walls of Jerusalem et Cradle Mountain-Lake Saint Clair. Certaines pistes de randonnée, comme la célèbre Overland Track, ont été momentanément fermées.

Quelle menace pour les zones classées ?

Face à un nombre si important de départs de feu, les pompiers tasmaniens ont dû faire des choix, concentrant leurs efforts sur la sûreté des personnes, des biens et des constructions – terres agricoles et infrastructures sensibles comme les principales lignes de transmission hydro-électriques –, ainsi que sur certaines zones à la biodiversité très riche. Des équipes sont ainsi intervenues dans les zones les plus isolées, soutenues par des spécialistes néo-zélandais venus en renfort pour tenter de venir à bout du feu dans les parcs nationaux.

Ces incendies se révèlent extrêmement destructeurs pour deux raisons. Premièrement, ils mettent en péril une végétation que l’on ne trouve que sur cette île, à l’image des cèdres de Tasmanie, des plantes en coussins et des étendues de forêt pluviale tempérée.

Deuxièmement, les feux brûlent de larges portions de sols organiques dont la végétation tasmanienne dépend. Et il est très probable que cette dernière ne parvienne jamais à repousser à ces endroits à cause de sa croissance lente, cédant ainsi la place à une végétation plus sensible au feu, ce qui ne fait qu’augmenter le risque d’incendie. Les incendies passés ont d’ailleurs bien montré ce passage définitif de la végétation endémique tasmanienne à une autre, plus propice à prendre feu.

Carte montrant l’étendue des incendies en Tasmanie au 29 janvier 2016. Les feux sont signalés en blanc, les zones à risques en jaune et bleu et les zones brûlées en gris. Tasmanian Fire Service

Le changement climatique est-il en cause ?

Des incendies destructeurs touchant la zone alpine de l’île sont connus pour avoir eu lieu dans l’ouest de la Tasmanie au cours des 10 000 dernières années ; mais ces incendies ont été extrêmement rares jusqu’à la colonisation européenne (à partir de la fin du XVIIe siècle). Sous l’effet de l’usage inconsidéré du feu par les explorateurs, les amateurs de plein air et les pyromanes, la végétation unique de Tasmanie a dramatiquement reculé.

Depuis le classement au patrimoine mondial de l’Unesco en 1982, l’usage du feu a été strictement encadré dans les zones classées, avec notamment l’interdiction des feux de camp, ce qui a permis de réduire drastiquement le nombre d’incidents. Malheureusement, un nombre croissant d’orages a provoqué des départs de feu. Les feux qui ravagèrent l’île en 2013, brûlant plus de 45 000 hectares, auront ainsi été provoqués par un orage déclenchant, de mémoire d’homme, l’un des plus grands incendies de Tasmanie.

La saison des feux en cours a tout pour être hors normes, compte tenu du nombre très important d’incendies provoqués par la foudre ; leur durée et leur comportement erratique et destructeur ont surpris plus d’un pompier chevronné. La raison principale en est ce printemps 2015 extrêmement sec suivi d’un été sans pluie et chaud.

Il y a deux façons d’envisager cet état de fait. Nous pouvons nous arrêter sur ces conditions climatiques extrêmes et le comportement inhabituel du feu ou nous pouvons analyser ce qui se passe à la lumière du changement climatique. Il est alors aisé de se rendre compte que ces événements étaient tout à fait prévisibles et cohérents. C’est, selon moi, la dernière attitude qu’il convient de privilégier : ces feux font partie d’une tendance globale comprenant un nombre croissant de feux destructeurs alimentés par une météo extrême.

Une caractéristique essentielle des incendies en Tasmanie concerne le rôle des orages, car le climat ne crée pas uniquement les conditions permettant les incendies, mais il fournit également les événements qui les provoquent.

La flore alpine de Tasmanie, première victime des incendies. Doug Beckers/Flickr, CC BY-SA

Que faire ?

Il nous faut évidemment maintenir nos efforts pour contenir ces feux dans cette zone à la biodiversité unique. Étant donné que ces incendies destructeurs sont susceptibles de devenir plus fréquents avec le réchauffement climatique et la sécheresse, il faut se mettre en ordre de bataille en faisant appel à un personnel spécialement formé.

Mais il y a peu de doute qu’exposée aux effets du réchauffement, la végétation de Tasmanie recule inexorablement ; on faudra alors peut-être envisager un déplacement des espèces endémiques vers des environnements protégés, comme les jardins botaniques. Transférer certaines espèces dans la partie subantarctique de l’île pourrait également être envisagé.

En prenant le recul nécessaire, on saura voir que la perte d’une végétation extrêmement lente à se remettre des incendies constitue un signal inquiétant de l’impact du changement climatique et en dit long des menaces qui pèsent sur nous en termes de sécurité alimentaire, de qualité de l’eau et de sécurité des infrastructures sensibles.

À l’image des cèdres de Tasmanie, c’est toute notre niche écologique qui est en danger.

This article was originally published in English

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