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Vaccination, passe sanitaire : comment se construit la légitimité ?

Pancartes de protestation devant un restaurant à Rennes, le 13 mai 2021. Damien MEYER / AFP

La légitimité n’a jamais été mise en débat comme elle l’est en ces temps de pandémie. Depuis un an et demi, la légitimité des actions des uns et des autres (gouvernement, scientifiques, mais aussi entreprises ou institutions) est au centre des débats au vu de la restriction temporaire des libertés individuelles que la crise sanitaire a prescrite et continue d’imposer.

Le dernier exemple polémique en date est l’instauration du passe sanitaire. Pour que ce nouvel outil soit pleinement opérationnel et utilisé par le plus grand nombre, il est indispensable qu’il soit très largement accepté.

Si les sondages récents démontrent un consentement collectif de la population autour de son déploiement, l’acceptation individuelle du passe sanitaire semble rencontrer des obstacles largement évoqués (notamment la liberté de mouvement, le traçage des données, le manque de recul face à un vaccin récent, et la liberté de chacun de pouvoir choisir ses soins médicaux). La question de la légitimité est donc posée et renvoie à un concept largement débattu au fil du temps mais aussi complexe qu’instable.

Qu’est-ce que la légitimité ?

Les définitions, nombreuses, de la légitimité insistent sur l’idée d’une acceptation collective de l’action. Le sens de cette action doit être partagé et faire consensus afin de permettre son déploiement. Mais pour que cette adhésion au niveau collectif se produise, il faut qu’il y ait agrégation des jugements positifs au niveau individuel. Et c’est là, généralement, que le bât blesse. Comment accepter une décision collective que l’on désapprouve au niveau individuel ou tout du moins qui nous échappe et que l’on ne maîtrise pas ?

L’acceptabilité sociale d’une mesure ou d’une action est conditionnée à la compréhension des événements et doit se traduire par une forme concrète et visible d’adhésion. Cette adhésion collective est sous-tendue par un processus de partage de sens : plus étendu le nombre d’éléments culturels partagés, plus élevée sera la validité perçue de l’action aux yeux du plus grand nombre. Les normes symboliques communes qui relient les individus les uns aux autres doivent être accentuées et valorisées pour créer un terreau fertile de construction sociale collective.

Cette quête de sens doit être soutenue par la pédagogie, la communication, et l’endossement de la structure qui amorce l’action (État, collectivités, institutions, entreprises…). Les grands projets d’infrastructure à fort impact environnemental comme les projets éoliens terrestres ou les mégacomplexes commerciaux tels Europacity nécessitent par exemple l’approbation des citoyens du bassin territorial d’implantation au risque de ne pas voir le jour.

Mesurer le niveau de « favorabilité » personnelle

Mais la légitimité d’une mesure, surtout si elle touche les individus dans leur vie privée, va au-delà de son acceptabilité collective, c’est-à-dire de sa capacité à faire consensus. Si l’on veut véritablement ancrer durablement un sujet, le niveau de « favorabilité » personnelle, soit le degré de réceptivité individuelle à la thématique, est essentiel. La manière dont les individus accueillent (favorablement ou défavorablement) l’introduction d’une nouvelle thématique ou d’une nouvelle mesure est non seulement conditionnée par des motivations extrinsèques telles l’attente d’une récompense ou la mise en conformité pour éviter une sanction, mais dépend également de motivations autonomes propres à chaque individu. Les motivations autonomes sont des forces internes pouvant être déclenchées par plusieurs stimuli : par exemple la conviction personnelle d’agir selon ses valeurs (je tri les déchets pour le bien-être de la planète) ou le plaisir que l’on retire en agissant de telle ou telle manière (je fais du vélo parce que cela me maintient en forme). Ces deux types de motivations sont des forces qui agissent sur l’individu et le poussent à opérer un choix.

La légitimité d’une action ne se limite ainsi pas à sa base légale et à l’acceptation collective d’une règle contraignante mais doit prendre en compte les motivations individuelles et les convictions de chacun. Dans les entreprises, les dispositifs introduisant la question environnementale, tels que les plans de mobilité qui proposent aux salariés des moyens de déplacements à moindre empreinte carbone comme le vélo ou le covoiturage, sont de bons exemples de cette nécessaire intrication du collectif et de l’individuel.

Aller au-delà de l’injonction légale

Ces dispositifs, certes de plus en plus souvent imposés par une disposition légale (dans notre exemple par la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015), nécessitent néanmoins un double niveau d’approbation pour entrer pleinement en fonctionnement.

Introduit par les responsables RH ou RSE dans les entreprises, le sujet de la mobilité durable semble produire un consensus généralisé apparent d’œuvrer favorablement pour la planète. Néanmoins, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, ces dispositifs rencontrent des résistances au niveau individuel freinant leur déploiement dans les entreprises. Comme je le montre dans ma thèse, ces freins peuvent être de plusieurs natures : perceptions d’être entravé dans son choix personnel de déplacement, sensations d’insécurité (dans les transports en commun), parcours de vie quotidienne nécessitant l’utilisation d’un moyen de transport individuel polluant, etc.

Ces attitudes, qui doivent être entendues, modèrent voire empêchent la transformation des comportements. La légitimité globale du dispositif s’en trouve donc éprouvée et son ancrage fragilisé.

Lever les blocages individuels

La prise en compte de composantes socio-psychologiques se révèle absolument primordiale afin de saisir pourquoi des décisions paraissant faire consensus au niveau collectif peuvent être réprouvées au niveau individuel et engendrer ainsi un conflit de légitimité.

Pour lever les blocages individuels face à la vaccination en Allemagne, les autorités du pays (par la voix de la chancelière Angela Merkel) comptent sur les individus eux-mêmes pour devenir des ambassadeurs, discuter ensemble des doutes et convaincre leur entourage à partir de leur propre expérience personnelle et de leur vécu.

Pour comprendre mais surtout lever les résistances face à l’introduction de certaines mesures contraignantes, l’identification de déterminants et ressorts individuels s’avère donc être une étape sinon obligée tout du moins recommandée. Une action légitime doit ainsi marcher sur ses deux jambes, individuelle et collective, et essayer de tisser des liens entre ces deux niveaux. Leur opposition s’avère stérile car c’est dans la dialectique, c’est-à-dire dans l’inséparabilité d’éléments d’apparence contradictoire, que se construit la légitimité. Pour convaincre de l’utilité du passe sanitaire ou de la nécessité de la vaccination, il ne faut donc pas seulement demander l’engagement de tous ou expliquer les bienfaits des mesures prises, mais renouer et consolider les liens entre le collectif et l’individu. Cela suppose une attention particulière envers l’expression de résistances et un effort constant de dialogue.

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