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Valéry Giscard d’Estaing et la culture, entre réserve et tâtonnements

Des gardes républicains se tiennent à côté d'une photo de l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing alors que les gens arrivent pour signer le livre d'or au Musée d'Orsay à Paris, le 9 décembre 2020, jour de deuil national de l'ancien président. Auteur / Source / Crédit STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Analyser le rapport de Valéry Giscard d’Estaing à la culture, c’est devoir considérer plusieurs tranches de vie politique : nationale, régionale, européenne, à travers plus de six décennies. On ne peut donc faire l’impasse sur le style Giscard, empreint de simplicité, et sur la politique culturelle de Giscard, faite de tâtonnements.

Du style aux symboles

Avec la Ve République, le président n’était pas seulement devenu la clé de voûte du système politique, mais aussi une sorte de monarque aux attributs culturels emblématiques. Or le septennat giscardien est sur ce plan en rupture avec ses deux prédécesseurs. Dans l’histoire de l’action culturelle publique, il allait s’intercaler entre Pompidou–l’ami des arts et Mitterrand–le bâtisseur « branché ».

Coincé dans la chronologie présidentielle, celui qui voulait gouverner la France au centre commença par trancher non seulement par son style voulu (simple, moderne, flirtant avec une certaine conception traditionnelle de la culture populaire), mais aussi par son style perçu : un membre de l’élite doté d’un capital culturel élevé venant épater les Français avec son accordéon.

Le ministre des finances et candidat à la présidence Valéry Giscard d’Estaing et l’accordéoniste Yvette Horner jouent de l’accordéon le 24 juin 1973 à Montmorency lors du deuxième festival mondial de l’accordéon. Daniel Janin/AFP

L’auteur de La princesse et le président est longtemps apparu devant l’histoire culturelle contemporaine de la nation française avec un déficit majeur : l’absence d’un legs marquant, que ce soit une institution culturelle nationale ou un cérémonial à la symbolique porteuse, car on ne lui reconnut pas nommément la paternité de ses réalisations.

Le rapport de VGE au monde de la culture se lit d’emblée en 1974 dans le style du jeune président qui, dès la cérémonie d’intronisation, veut délivrer une nouvelle image présidentielle : la queue-de-pie disparaît et la panoplie présidentielle sont soigneusement mises de côté. Dans son idéal de la démocratie française, libérale et sociale, Giscard le modernisateur va également imposer le pragmatisme plutôt que l’idée d’une grandeur procédant d’en haut. Dans la foulée, il ira même jusqu’à s’attaquer au rythme de la Marseillaise, à ses yeux trop fougueuse pour représenter la société française décrispée qu’il appelle de ses vœux. En 2009, il qualifie même les paroles de l’hymne de « ridicules ».

Enfin, sur la photographie officielle, VGE s’affiche sur fond de drapeau tricolore, en mouvement et aux couleurs vives. Ce faisant, il quitte non seulement l’univers du livre dans lequel la jeune Ve République s’était incarnée jusque-là, mais, de plus, il sort carrément du palais et de son ambiance dorée.

Certes, l’arrière-petit-fils d’Agénor Bardoux, ministre de l’instruction publique, des cultes et des beaux-arts (décembre 1877-janvier 1879) est aussi un homme de lettres. Mais il présente là encore un profil bien particulier dans la galerie des chefs de l’État. Le futur académicien n’écrit pas seulement essais et mémoires, à l’instar de tous ses congénères de la Ve ; non, il se fait aussi romancier pour s’adresser à un lectorat de classe moyenne. Ici apparaît une facette de l’homme politique Giscard : il ne s’adresse pas aux intellectuels et au monde de l’art et de la culture ; il veut regarder dans les yeux ce qui sera appelé plus tard par Jean‑Pierre Raffarin, un de ses disciples : « la France d’en bas ».

Il n’est pas étonnant dès lors de retrouver VGE à conduire, au cours de sa seconde vie politique, deux grandes réalisations culturelles régionales qui s’adressent d’abord au grand public : le Zénith d’Auvergne et le parc Vulcania.

Déficit d’image

Entre 1974 et mars 1978, il n’y a pas de ministre de la culture marquant et pour cause : le prestigieux portefeuille de Malraux était rétrogradé à un simple secrétariat d’État. Et même si à la suite d’un Michel Guy qui fut très actif, la charge fut confiée à Françoise Giroud, celle-là même qui venait d’amorcer une politique publique sur un autre terrain culturel et sociétal, le mouvement des femmes, la rue de Valois reste au second plan de l’action gouvernementale (et son budget ne cesse de baisser en proportion dans le budget total de l’État).

Pourtant, Giscard le réformateur avait conduit avec succès l’instauration d’un nouveau rapport entre le pouvoir et la radiotélévision publique, réforme très attendue par les Français. Or, dans le nouvel ordre médiatique qui se mettait en place, l’action culturelle de l’État restait très en retrait.

Ce sont finalement les élections municipales de 1977 et la victoire des listes PS dans plusieurs villes (Montpellier, Poitiers, Rennes…) affichant des programmes ambitieux en matière culturelle, qui poussent à redonner du galon à la culture au sein du gouvernement Barre II. Mais le ministère hybride culture/environnement de Michel d’Ornano ne convainc pas.

Ce n’est qu’avec Jean‑Philippe Lecat dont la longévité (1978-1981) à la tête d’un grand ministère réunissant la culture et la communication (radio, télévision, production audiovisuelle) que s’ouvre une ère plus déterminée. On renforce la coopération État-villes sur l’enseignement artistique où s’exprime une forte demande sociale. On signe également des conventions culturelles avec des régions administratives actant leurs particularités culturelles. On met sur les rails, dès 1978, le projet de transformation de l’ancienne gare d’Orsay en musée consacré aux arts de l’ère industrielle du XIXe siècle. Sur les radios libres, en revanche, c’est l’impasse

Une question de paternité

Dans la France des années 1970, l’idée qu’un président de la République doive laisser un grand équipement culturel à la postérité n’est pas encore établie. Du reste VGE n’est pas vraiment convaincu de l’intérêt du centre Beaubourg. Ce n’est qu’après son ouverture (février 1977) avec la dénomination de Centre Pompidou, que VGE voit l’intérêt de signer la réalisation d’un équipement culturel emblématique. Paradoxalement, s’il est l’initiateur de cette courte tradition qui se perdra avec le quinquennat, il n’en tire aucun bénéfice symbolique car les deux projets qui s’inscrivent dans cette perspective arrivent en fin de mandat et seront menés à leur terme et inaugurés par son successeur.

D’une manière générale, au cours de son septennat, VGE ne se sert pas de la culture pour manier le symbolique. Il reste sur la réserve quant à l’utilisation du cérémonial pour activer les symboles. Lorsqu’il envisage finalement une panthéonisation, celle de René Cassin, il est déjà en fin de mandat et la renvoie à son second septennat (encore convaincu de gagner). Ce sera donc François Mitterrand qui fera entrer René Cassin dans le temple de la République.

En vérité, ici comme pour ses deux grands projets culturels, Giscard se fait voler la paternité et la vedette. Il les initie en fin de septennat, prévoyant de les faire aboutir au cours du septennat suivant. C’est le cas du projet du musée d’Orsay, lequel n’est pas accéléré. C’est aussi celui de la Cité des Sciences et de l’Industrie, véritablement décidé en 1980, qui s’inscrira dans la même logique. VGE semblé avoir compris l’importance de la culture dans cette bataille qui s’engage contre François Mitterrand en 1981 et fait de Lecat son porte-parole de campagne.

Message culturel posthume

La trajectoire politique de Valéry Giscard d’Estaing s’achève en 2012 par un acte au signifiant culturel clair : le rachat et l’aménagement du majestueux château d’Estaing dans le Rouergue, pour y installer un musée et sa fondation qui détient ses archives sur son action européenne.

L’héritier d’une dynastie notabiliaire, l’admirateur de Tolstoï et défenseur de Maupassant affirmait par là une grande cohérence à l’égard de ce qui lui tenait à cœur : l’enracinement local, dans le terroir français, autour d’un emblématique patrimoine historique, enrichi d’une orientation européenne.

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