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L'histoire violente de la Guyane contribuerait à la hausse de la criminalité aujourd'hui. Bagne de Saint-Laurent-du-Maroni (Camp de la transportation), 2009. davric/wikimedia

Violences en hausse en Guyane : comment le passé donne quelques clefs

« La Guyane est le département le plus meurtrier de France en valeur relative, c’est-à-dire au regard de sa population d’environ 250 000 habitants » annonçait le procureur de la République de Cayenne lors de son audience solennelle de rentrée le 20 janvier dernier.

Constat est fait que le taux de violence est en constante croissance en Guyane, qu’il s’agisse des homicides, des vols avec violence, ou encore du trafic de drogue.

Selon l’UNODC, en 2009, alors qu’en Martinique et en Guadeloupe on recense respectivement 2,7 et 7,9 homicides volontaires annuels pour 100 000 habitants, ce chiffre passe à 13,3 pour la Guyane, contre 1,1 en France métropolitaine. Cette dangerosité rapportée régulièrement par le quotidien local France-Guyane convoque la recherche de ses causes et de ses conséquences, qu’elles soient psychiques ou historiques.

En effet, ces perturbations psychiques violentes doivent être examinées dans la durée, au regard de l’histoire de la Guyane et de ses difficultés identitaires.

Troupe de ‘neg’marrons’ durant un carnaval en Guyane, un exutoire de la mémoire collective . Jo Be/Flickr, CC BY

Il s’agit bien de faits psychiques puisque les comportements violents émanent d’individus singuliers et qu’ils impliquent (outre des dommages physiques), des troubles émotionnels chez les victimes, parfois même de profonds dégâts psychiques (qui seront ensuite propices à l’émergence de comportements violents).

Attaque pour servir des intérêts matériels, déni de la libre disposition de son corps par autrui, ou réaction de défense face à un danger (menace patente ou pressentie), le passage à l’acte criminel ne va pas automatiquement de pair avec la maladie mentale dont il peut parfois être l’expression paroxystique (lors d’états confusionnels ou délirants que l’on retrouve classiquement dans certaines psychoses et/ou sous l’effet de substances psychoactives).

La potentialité violente est fortement corrélée à la psychopathie (marquée notamment par un accès à l’empathie limité, l’égocentrisme, l’agir impulsif plutôt que la mise en mots), ou à un profil de personnalité qui tire jouissance de l’effroi de l’autre (comme dans certaines formes de perversion). Qu’elle soit isolée ou répétitive dans l’histoire d’un individu, cette violence agit selon des modes opératoires variés ; la transgression agressive, brutale et parfois meurtrière résultant toujours d’un contact entre un individu et son environnement

Guyane : une genèse de la violence ?

L’augmentation de la violence observée en Guyane renvoie forcément à l’interaction d’une pluralité de facteurs. Le passage à l’acte violent est familier de toutes les cultures mais a-t-il sa propre genèse en Guyane ? L’histoire de la Guyane est traversée par des séquences significativement violentes, dont chacune a sa propre cohérence. Assiste-t-on à la réactualisation de cette histoire ?

Terre paradisiaque pour les touristes, la Guyane est aussi le département français le plus violent. Delorme/Wikimédia

Terre française depuis 1643, la Guyane est née d’un contexte colonial singulier car, contrairement aux Antilles, les Amérindiens ont survécu à la rencontre des Européens, transmettant la mémoire de leur acculturation, comme on le voit à travers le mythe du Pailanti’po ; dans cette légende, un monstre dévorant les Amérindiens agit comme une personnification des maladies apparues en même temps que les Européens responsables de la décimation amérindienne.

Partie intégrante des Amériques noires, la Guyane n’échappe pas à l’esclavage ni au préjugé de couleur. Durant deux siècles, à la maltraitance des maîtres répond la résistance des marrons. Pour ces esclaves révoltés, la violence est à la fois physique et spirituelle : sous diverses dénominations, le sorcier empoisonneur devient une figure fondamentale des trois peuples traditionnels de la société guyanaise (le Piaye chez les Amérindiens natifs, l’Obiaman chez les Bushinengués du Maroni, le Gado chez les Créoles du littoral).

La fin de l’esclavage en 1848 ne met pas fin à l’antagonisme dominants-dominés qui se prolonge à travers l’engagement contraint de travailleurs sous contrat. L’équipée sauvage du Gabonais D’Chimbo, semant la terreur à coups de machette dans l’île de Cayenne de 1860 à 1862, devient dans la mémoire collective le récit héroïque d’une résistance au système colonial. Au moment où tombe la tête de D’Chimbo, l’économie de plantation est déjà remplacée par la culture de l’abattis, les ruées aurifères et l’administration pénitentiaire. Les affranchis de 1848 ouvrent des fronts pionniers où l’indispensable fusil sert tant à chasser qu’à marquer symboliquement les funérailles traditionnelles. Les débuts de l’orpaillage, en 1855, font des forêts guyanaises des zones de non-droit. Sur le littoral, le bagne, ouvert en 1852, fait pour un siècle de la Guyane une colonie pénitentiaire, terre de relégation et d’expiation.

‘Au pays des Vieux blancs’ documentaire de 1963 sur les conditions inhumaines et la double peine des bagnards envoyés en Guyane.

Paradoxes du présent

Dans quelle mesure ce passé fondé sur le binaire entre opprimés et esclavagistes, blancs et noirs, faibles et puissants, peut-il expliquer la violence actuelle ? Des éruptions de violence périodiques soulignent l’ambiguïté du rapport à la Métropole : Cayenne traverse les émeutes de 1928, dans un contexte de fraude électorale, puis la révolte des tirailleurs sénégalais en 1946 et enfin la poussée nationaliste des années 1960-1970.

Film nationaliste guyanais sur le contexte politique conflictuel du début des années 1970.

Exutoire populaire par excellence, le Carnaval met en scène des troupes de Neg’marrons (figurant des esclaves révoltés intimidant les spectateurs), de bagnards et de tirailleurs sénégalais comme autant de résurgences d’une mémoire collective transgressive.

A ce poids du passé s’ajoutent les paradoxes d’un territoire sud-américain intégré à l’Union Européenne. Depuis la départementalisation de 1946, de fortes migrations ont profondément remodelé la société guyanaise : deux adultes sur trois ne sont pas nés en Guyane (Métropolitains et Domiens, Brésiliens, Surinamiens, Haïtiens, Chinois, Hmongs…), et sa population devrait encore doubler d’ici 2040. En tête des préoccupations des responsables administratifs et associatifs guyanais, la scolarisation des 10 000 enfants entre 6 et 16 ans aujourd’hui en dehors de tout système éducatif, un problème qui interpelle le Président de l’Office Centrale de la Coopération à l’Ecole de Guyane (OCCE) qui rappelle que « L’éducation doit être un véritable paratonnerre contre cette violence ».

Devenue minoritaire, la société créole, écartelée entre culture française et racines africaines, n’échappe pas à la tentation du repli identitaire. Le danger du fractionnement communautaire menace : Créoles et Métropolitains, monopolisant le pouvoir politique et économique, contrastent avec les groupes nouvellement arrivés, les plus récents étant les Haïtiens qui, arrivés en 1975, voient leurs flux s’accélérer depuis le séisme de 2010 et l’ouragan de 2016. Or cette plus forte intégration de la Guyane dans son espace géographique la met en relation avec les systèmes criminels de pays voisins, dans lesquels la violence est banalisée (racket, narcotrafic).

A l’histoire tourmentée d’une société guyanaise conçue dans la violence, s’ajoute ainsi le défi de ce contexte sud-américain. La forte croissance économique ne parvient pas à résorber une pauvreté qui se creuse, le chômage touchant désormais un jeune sur deux. La villa avec piscine côtoie le bidonville, signe visible du risque de décrochage économique et social.

La frustration née des inégalités associée à la traditionnelle libre circulation des armes fait le lit d’une violence quotidienne. A l’orpaillage illégal et au trafic de cocaïne s’ajoutent désormais les braquages, la Guyane détenant le record français des vols à main armée (3,04 pour 1000 habitants en 2016 contre 0,14 en France hexagonale), et ce malgré l’importante mobilisation des pouvoirs publics.

C’est ainsi que ce morceau de France en Amérique est confronté à une violence toute sud-américaine, qui contraste avec l’extraordinaire dynamisme des habitants de ce territoire en construction, riche de sa diversité et porteur de formidables promesses d’avenir.

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