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Vivisection : une définition commune pour apaiser le débat ?

Certaines expérimentations impliquent la technique de vivisection. Gorodenkoff/Shutterstock

La vivisection est une pratique utilisée en recherche animale qui soulève des controverses. Des associations de défense des animaux se saisissent de cette pratique pour critiquer des expériences menées dans des laboratoires.

Que signifie ce terme exactement ? Peut-on en donner une définition commune pour éviter les amalgames et apaiser le débat entre scientifiques et associations ?

Qu’est-ce que la vivisection ? Ce terme est d’abord utilisé par Claude Bernard, médecin et physiologiste qui le définit comme « disséquer sur le vif, pour mettre à découvert et voir fonctionner les parties intérieures ou cachées de l’organisme ».

Cette définition a depuis évolué en plusieurs définitions plus ou moins longues dont les sens varient.

Du latin vivus, vivant, et section, ce terme est défini par le dictionnaire Larousse comme une

« Dissection expérimentale pratiquée sur un animal vivant. (Les recherches médicales en physiologie et en thérapeutique de même que certaines techniques chirurgicales passent par un stade indispensable d’expérimentation animale qui peut comporter des gestes de vivisection, avant leur application à l’homme. La suppression de la douleur par anesthésie et les conditions de vie des animaux sont contrôlées de manière stricte.) »

Sur Wikipedia, la vivisection est une « dissection opérée sur un animal vertébré » avec comme source la directive 86/609/CEE de l’Union européenne qui donne le cadre de l’utilisation d’animaux en recherche scientifique sans utiliser le mot vivisection.

Ces définitions sont cohérentes sur le fait que la vivisection est une opération chirurgicale réalisée sur un animal vivant dans un but expérimental. Le terme invasif apparaît parfois sans apporter d’élément nouveau puisque toute intervention chirurgicale est intrinsèquement invasive.

D’autres définitions existent, avec parfois comme ici sur un site suisse, l’apparition d’un élément non négligeable : « ouverture du corps d’un animal sans anesthésie ».

Actuellement, les pratiques pouvant être identifiées comme de la vivisection sont réalisées dans leur grande majorité sous anesthésie, cette définition n’est donc pas correcte. L’article 14 de la directive européenne indique en effet ceci : « Les États membres veillent à ce que, sauf si cela n’est pas approprié, toutes les procédures soient menées sous anesthésie générale ou locale et en recourant à des analgésiques ou à une autre méthode appropriée, afin de s’assurer que la douleur, la souffrance et l’angoisse soient limitées au minimum ».

Limiter la douleur des animaux

Il est donc obligatoire de limiter la douleur subie par les animaux par l’utilisation d’anesthésiques et analgésiques, sauf si cela n’est pas approprié. Pour comprendre dans quels cas cela n’est pas approprié, il est possible de consulter les résumés non techniques des demandes d’autorisations de projet accordées par le ministère de la Recherche (pour exemple, le projet n°6006 qui a pour but de tester de potentiels nouveaux antalgiques). Ces autorisations, délivrées après avis favorable d’un comité d’éthique, sont nécessaires pour réaliser toute expérimentation animale (les animaux concernés sont les animaux vertébrés non humains, y compris les formes larvaires autonomes et les formes fœtales de mammifères à partir du dernier tiers de leur développement normal, ainsi que les céphalopodes vivants.).

De manière générale, l’anesthésie/analgésie est donc obligatoire en expérimentation animale.

Si l’on devait trouver un synonyme à ce terme de vivisection, le terme chirurgie expérimentale semblerait le plus approprié. C’est ce terme qui est couramment utilisé dans les laboratoires pratiquant de l’expérimentation animale.

Le terme expérimentation animale est régulièrement utilisé comme synonyme de vivisection. Ce point peut être facilement contredit puisque de nombreuses pratiques d’expérimentation animale n’utilisent pas d’actes invasifs. On peut ici parler des études comportementales réalisées par des personnes formées à l’éthologie (étude du comportement) qui réalisent de l’expérimentation animale. Les techniques d’imagerie, qui se développent énormément, peuvent maintenant être appliquées à de petits animaux comme les rongeurs qui sont beaucoup utilisés en expérimentation animale. L’utilisation de techniques de dissection mais pas de vivisection est également courante.

L’expérimentation animale est controversée, il est possible de trouver des sites Internet sur lesquels il est indiqué : « l’expérimentation animale représente le moyen idéal pour donner de l’essor à une carrière et pouvoir publier dans les revues scientifiques ».

Il est important de rappeler que la recherche scientifique n’est pas exclusivement liée à l’expérimentation animale et donc à la physiologie/biologie. Ce type d’assertion peut être vexante pour un mathématicien, physicien, chimiste, sociologue, anthropologue…

Un autre point freine le dialogue entre les associations contre l’expérimentation animale et les chercheurs qui la pratiquent. On trouve régulièrement sur les sites Internet des associations des phrases sur la cruauté des chercheurs, qui aimeraient faire souffrir volontairement les animaux (pour exemple : « les tests pratiqués sont peu connus, volontairement gardés secrets et dénotent parfois un sadisme et un mépris pour la vie imposés par des pseudo-scientifiques sans scrupules »). Il n’est jamais anodin de réaliser les actes invasifs qui sont nécessaires pour une étude, cela peut être moralement difficile. Cependant, si les expérimentateurs décident de faire ces gestes, c’est parce qu’ils comprennent la portée de leur expérience, qu’ils croient en son utilité et qu’ils ont justifié cette utilité à un comité d’éthique et au ministère de la Recherche qui l’a reconnue.

Renouer le dialogue

Un exemple pour montrer que ce dialogue reste possible. Pour la formation des étudiants en pharmacie à l’université de Caen, des souris sont utilisées afin de montrer les effets de l’administration de molécules psychotropes sur le comportement des animaux, mais aussi afin d’apprendre la méthode scientifique permettant de valider des hypothèses à partir d’observations. Pour respecter la règle des 3R (réduire, raffiner, remplacer), le nombre d’animaux utilisés dans ce cadre a été drastiquement diminué au cours des années, pour passer de près de 2 500 par an à 60 par an.

Mais il s’agit encore de 60 animaux qui sont utilisés uniquement pour ces travaux pratiques et qui ne peuvent pas être réutilisés dans une autre expérience. Ils sont donc théoriquement voués à être mis à mort. Dans la réglementation, la mise à mort (et non euthanasie puisque ce terme sous-entend l’accord de l’individu en question) est obligatoire dès lors que les animaux ne sont plus utilisés. En effet, il est considéré comme plus éthique de mettre à mort les animaux plutôt que de les garder captifs dans un environnement de laboratoire dont l’enrichissement est pauvre.

Depuis quelques années, l’enseignante qui réalise cette formation donne ces animaux à une association de protection animale qui permet de les réhabiliter. Ces rongeurs sont donnés ensuite à des particuliers ou conservés au sein de l’association, une seconde vie pour les souris ! Il faut bien se rendre compte que cela n’est pas possible pour tous les animaux, et notamment les animaux OGM (organisme génétiquement modifié, utiles par exemple pour comprendre le rôle de certains gènes dans les symptômes observés chez des patients atteints de maladie psychiatrique) qui, s’ils s’échappent, risquent de se reproduire et disperser les modifications génétiques dont ils sont porteurs.

Des organisations luttant contre l’expérimentation animale utilisent largement le terme vivisection, qui apparaît parfois dans les noms de certaines actions ou associations, mais sans en donner une définition exacte. Ce terme choc permet d’interpeller les consciences plus aisément.

Ces organisations ont une grande utilité pour mettre en avant les mauvaises pratiques, faire évoluer les consciences et in fine la législation. C’est notamment grâce à leur ferveur que l’expérimentation animale est de mieux en mieux encadrée avec toujours comme grands principes les fameux 3R. C’est également grâce à elles que de nouvelles méthodes, dites alternatives, apparaissent (comme l’expérimentation in vitro et in silico) pour que l’expérimentation animale in vivo tende à disparaître. Sur un sujet qui dévie un peu, c’est aussi grâce à ces associations de défense animale que les animaux d’élevage sont mieux considérés et que leur bien être commence à être pris en compte.

Selon moi, pour améliorer l’impact des associations anti–expérimentation animale, il est nécessaire de poser les problèmes sur un vocabulaire commun pour éviter les quiproquos qui gênent la communication entre les organisations luttant contre l’expérimentation animale et les chercheurs ayant besoin de l’expérimentation animale pour comprendre et soigner le vivant. Pour y parvenir, un effort doit être fait des deux côtés. Les chercheurs ont encore trop tendance à éviter de parler de leurs pratiques de peur de voir leur travail ou leur laboratoire remis en cause.

Avec la nouvelle charte signée par de grands organismes de recherche, la transparence est maintenant de mise et il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour respecter ces nouvelles directives. Du côté des associations luttant contre l’expérimentation animale, les termes corrects doivent être utilisés pour permettre un réel dialogue entre les deux milieux. Si ces deux communautés réussissent à communiquer, la nécessité de l’expérimentation animale sera mieux comprise et mieux acceptée, des efforts seront faits pour réduire l’utilisation des animaux et aller vers un consensus sur les normes d’éthiques et de bien-être animal.

La vivisection n’est donc pas synonyme d’expérimentation animale. Les chercheurs et les défenseurs des droits des animaux ont le même but : se passer de l’expérimentation animale. Actuellement, cet objectif paraît hors d’atteinte mais une réduction des animaux utilisés et une amélioration de leur bien être est possible.

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