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Vladimir Poutine, le président des « filles sexy »

Mugs à l'effigie du »président sexy», dans un kiosque en Russie. Christian-Georges Schwentzel/DR, Author provided

Entouré d’une équipe de conseillers, photographes, preneurs de son et cameramen, Vladimir Poutine produit des images de lui-même parfaitement pensées, mises en scène avec un grand souci du détail et de l’apparence de vérité.

Un président athlétique

Il entend notamment se montrer, dans la presse officielle et à la télévision, comme un homme physiquement fort. Il pratique, entre autres, le judo, le hockey sur glace et la natation. Il se veut athlétique et sportif : des qualités qui qualifient toujours le chef dans la Russie contemporaine. Dans le monde grec antique déjà, Alexandre le Grand, modèle du souverain héroïque, se présentait comme un athlète complet : champion à la lutte, à la course, au saut en longueur, au lancer du disque et du javelot. Poutine choisit des sports populaires dans son pays. Autant faire d’une pierre deux coups.

Des images, films et photographies officielles montrent le président à l’entraînement, aux vestiaires même. Le chef sue, souffle, tantôt souriant, tantôt prenant un air grave. Un étonnant mélange de héros athlétique, si supérieur dans sa maîtrise de son corps, et pourtant si proche, si humain… Personne ne l’aide à se rhabiller ; il refait tout seul ses lacets, s’y reprenant même à deux fois. Et il s’entraîne parfois dans des salles de la banlieue de Moscou, alors qu’il dispose, au sein du Kremlin, de tous les aménagements nécessaires à ses pratiques sportives.

Poutine montre aussi ses qualités physiques exceptionnelles en chassant la baleine dans l’Océan pacifique, ou en domptant un fauve, dans un zoo de Sotchi, préalablement rendu inoffensif au moyen de somnifères. Alexandre le Grand, lui, chassait le lion ; il avait aussi terrassé un éléphant en Inde.

Poutine le dur, Poutine le tendre

En fait, l’imagerie poutinienne est assez diversifiée. Il y en a pour tous les goûts. Le chef torse nu, viril, à cheval et armé, doit faire rêver les hommes en quête d’aventures. À l’opposé, Poutine le tendre donne le biberon à des bébés animaux. On imagine que ces adorables clichés sont censés prendre les enfants pour cibles ! Quel charmeur universel, ce Poutine !

En bon « mâle dominant », Poutine utilise aussi des femmes pour se mettre en valeur, tout particulièrement lors de ses campagnes électorales.

En 2004, alors qu’il brigue sa réélection, un groupe de filles lance une chanson intitulée « Je veux un homme comme Poutine » (takogo kak Putin) dont le clip est abondamment diffusé sur toutes les chaînes de télévision. Quatre ans plus tard, en 2008, la chanson est fort opportunément reprise par Natali, une star à la mode, dans un clip montrant de belles ouvrières, dans la meilleure tradition soviétique, vêtues de combinaisons de travail, mais chaussées d’escarpins pointus.

Depuis l’Antiquité, le choix féminin est toujours légitimant pour le chef. De nombreuses femmes étaient amoureuses de Jules César, vrai sex-symbol romain, si l’on en croit l’historien latin Suétone. Le charme fou de César avait pour origine, disait-on à Rome, son ascendance divine : il était le descendant et le protégé de Vénus, la déesse de l’amour et de la beauté. Le charme donné au chef par une divinité ; c’est ce qu’on appelle « le charisme ».

Par ces chansons féminines à la gloire du Président russe, les conseillers en communication de Poutine réactualisent donc une très ancienne légende liée à l’invention des chefs.

« Je déchire pour Poutine ! »

Lors de la campagne présidentielle pour l’élection de 2012, deux jeunes filles, prénommées Natalia et Inna, fondent un groupe de fans du président, exclusivement féminines, appelé « Armée de Poutine » (Armia Putina). L’initiative se veut spontanée ; ce dont on peut évidemment douter, sans d’ailleurs remettre en cause la réelle popularité dont bénéficie Poutine auprès de l’opinion russe.

Les poutiniennes revendiquent 4 000 participantes, toutes jeunes et plutôt sexy, du moins suivant les critères en vigueur. Leur activité principale : déchirer en public leurs T-shirts, après y avoir imprimé le portrait de leur idole, agrémenté de petits cœurs et de mots d’amour, comme « I love Putin ».

Photos de Vladimir Poutine en vente dans un kiosque de Russie. Christian-Georges Schwentzel/DR, Author provided

Les filles ont publié une vidéo expliquant le but de leur mouvement : elles adorent Vladimir Poutine ; il a changé la vie en Russie ; et elles sont prêtes à « déchirer pour lui ». Diana, qui se présente comme une étudiante, sacrifie son T-shirt devant la caméra ; ce qui permet au spectateur de bien prendre la mesure des rondeurs de sa poitrine. Un étonnant petit film mêlant sexe et politique, avec en prime un zeste discret de religion, car Diana exhibe aussi sa croix orthodoxe trilobée en or, nichée au creux de son buste.

« Je déchire pour Poutine ! » (Porvou za Poutina !) est le principal mot d’ordre du mouvement. Déchirer est un acte de dévotion au chef, présenté comme l’homme idéal : leader politique sérieux et compétent ; bel homme mûr. Une vraie déclaration d’amour !

Les petites manifestations de « déchirement » se font évidemment en public, sur des places et dans des parcs, toujours dans une ambiance qui se veut drôle et festive.

Jeunesse et beauté

Les filles s’expriment dans un style adolescent. On pourrait croire en une parodie. Ces manifestations suscitent bien quelques moqueries, mais, dans l’ensemble, le but est atteint. Comme le faisait déjà remarquer Machiavel, la majorité des hommes ne jugent que sur l’apparence. Les spectateurs sont consentants ; peu importe que certaines filles soient des actrices rémunérées, ils apprécient la mise en scène et l’illusion qui leur est procurée. Jeunesse et beauté sont des gages de prospérité. Les filles incarnent le projet politique de Poutine : une promesse de succès et de bonheur.

Vladimir Poutine sera à nouveau en campagne pour sa réélection en 2018. Même si celle-ci paraît, au jour d’aujourd’hui, acquise d’avance, il ne se privera pas de chercher à nouveau à séduire les foules par de nouveaux spectacles érotico-politiques, aussi irréels qu’enchanteurs.


Christian-Georges Schwentzel a publié La Fabrique des Chefs, d’Akhenaton à Donald Trump, éditions Vendémiaire.

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