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Une personne trébuche, avec un sac à dos par terre à l'avant-plan
Nous ne rions pas de la souffrance ni de la détresse de l’autre; nous réagissons à la surprise, à l’incongruité et à l’expression ahurie de l’autre, en ayant décodé qu’il n’est pas en détresse ni ne s’est vraiment fait mal. Shutterstock

Voici pourquoi nous rions lorsque quelqu’un tombe, selon la science

Qui d’entre nous ne s’est jamais esclaffé de rire en apercevant un ami trébucher sur le trottoir, se cogner la tête en se relevant ou manquer une marche en montant l’escalier ?

Je suis la première à me déclarer coupable de cette réaction ! Je tiens d’ailleurs à m’excuser (encore) à ma collègue Janie pour ce fou rire sans fin que j’ai eu lorsqu’elle s’est écroulée au ralenti, comme par petites secousses qui ont semblé interminables, ses jambes engourdies, pour la voir finalement aboutir sur le plancher.

Maladresses, déséquilibres, chutes. C’est le matériel de base des péripéties de Charlie Chaplin, des prestations burlesques avec des pelures de bananes et des émissions de type Drôle de vidéos dans lesquelles on aperçoit des enfants tomber et des gens « s’enfarger » ! Témoins de ces scènes, nous rions de bon cœur, souvent de façon incontrôlable.

Est-ce que nous ne devrions pas éprouver de l’empathie pour l’autre qui, après tout, se retrouve dans une situation de vulnérabilité qui peut être potentiellement humiliante ? Rassurez-vous, nous ne rions pas nécessairement par manque d’empathie ni par sadisme.

Comme psychologue clinicienne experte dans le domaine de la régulation des émotions, je vous propose d’apporter un éclairage sur les ingrédients dans ces situations qui ont un grand potentiel de déclencher nos rires souvent bienveillants.

Un homme glisse dans un escalier enneigé
Nous rions de bon cœur lorsque nous sommes assurés que la personne qui a fait une chute ne s’est pas blessée. (Shutterstock)

L’imprévisibilité et l’incongruité

Le premier de ces ingrédients est l’effet de surprise. Plus spécifiquement, c’est de voir une personne surprise par une situation de la vie quotidienne, alors que tout était sous contrôle pour elle quelques secondes avant. La situation inattendue nous surprend et crée un écart avec le prévisible, avec ce qu’on s’attendait à voir.

Cette situation incongrue souligne nos erreurs de prédictions : on prédisait que la suite de X serait Y et, finalement, la suite s’impose de façon inattendue via B. Nous avons fait une erreur dans notre prédiction de ce qui allait survenir. Ce n’est plus cohérent. Rire de la situation serait une manière de résoudre l’incongruité en formulant une nouvelle interprétation comique plus cohérente de ce dont nous sommes témoin.

L’expression du visage

Face à cette situation surprenante et incongrue, notre cerveau part à la recherche d’informations qui nous permettront d’interpréter ce qui se passe et de réagir en conséquence. Qu’est-ce que le visage de la personne qui trébuche nous communique ? Ce qu’on va y décoder va être déterminant de notre réaction.

Une étude a exploré cette avenue de recherche auprès de participants qui devaient visionner 210 images représentant trois types de visages :

  • des visages exprimant un air perplexe ;

  • des visages exprimant de la souffrance ou de la colère ; et

  • des personnes avec le corps placé dans des positions malencontreuses, sans que le visage ne soit visible (p.ex. visage caché par des skis ; ou encore la tête montrée de profil avec le visage caché par le bras de la personne).

Un surplus de 20 images de paysages avait été ajouté à travers l’ensemble des photos, pour confondre les participants quant au but de l’étude. Il était demandé aux participants d’appuyer sur un bouton chaque fois qu’apparaissait une image de paysage, et leur activité cérébrale était enregistrée durant la tâche. Les participants devaient également indiquer à quel point ils trouvaient chaque image drôle.

Au terme de l’étude, les participants ont évalué les images présentant les visages perplexes comme étant plus drôles que les images sur lesquelles les visages exprimaient de la souffrance ou de la colère, et plus drôles que les images sur lesquelles on voyait des corps dans des positions burlesques mais sans voir l’expression du visage. Les données cérébrales ont également soutenu l’expression du visage comme étant un ingrédient à la base de notre hilarité dans ces situations saugrenues.

Ainsi, lorsqu’on perçoit de la perplexité dans l’expression du visage de la victime de maladresse (air interloqué, surpris, ahuri), cette information met la table pour déclencher notre fou rire. Par contre, si on peut lire dans l’expression du visage de la souffrance ou de la colère, on sera alors touché par la détresse de la victime de la chute, empathique à sa détresse, ce qui nous préviendra de rire. Nos circuits neuronaux auraient donc la capacité de reconnaître et d’apprécier les éléments drôles des situations de malchance, en analysant le contexte comme étant non-menaçant.

Et si c’était moi…

Être témoin de la situation malencontreuse d’une autre personne nous pousse à nous imaginer nous-mêmes dans cette même situation. « Et si c’était moi… ? »

On s’identifie à ce qu’elle vit et à ce qu’elle doit ressentir. Cet exercice d’empathie peut rapidement activer en nous des enjeux de malaise, d’impuissance, d’humiliation et de honte. Le rire permet alors d’extérioriser notre soulagement de ne pas être à la place de cette personne malchanceuse.

Soyons pardonnés de rire dans des situations comiques de maladresse d’autrui ! Nous ne rions pas de la souffrance ni de la détresse de l’autre ; nous réagissons à la surprise, à l’incongruité et à l’expression ahurie de l’autre, en ayant décodé qu’il ne soit pas en détresse ni ne s’est vraiment fait mal.

Au plaisir de vous faire rire après m’être empêtrée les pieds dans une craque de trottoir !

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