Menu Close
Jour d'élections fédérales à Montréal, le 20 septembre 2021. La Presse canadienne/Graham Hughes

Voter ou ne pas voter ? Voici les raisons qui motivent les électeurs – et ceux qui s’abstiennent

Comme chercheur, je conçois mon rôle comme étant de répondre, de la façon la plus rigoureuse possible, à des questions formulées le plus clairement possible.

Une des questions auxquelles j’ai consacré le plus de temps et d’effort au cours de ma carrière de près de cinquante ans (j’ai commencé très jeune !) est celle-ci : pourquoi certaines personnes votent-elles aux élections et d’autres pas ? C’est le genre de question que j’adore. Une question simple, à propos d’un comportement simple du simple citoyen. C’est mon côté populiste. Je suis toujours curieux de comprendre ce qui motive les gens autour de moi à prendre de petites décisions qui en disent long sur ce qu’ils sont et ce qui les passionne dans la vie.

Si j’avais une deuxième vie, je serais anthropologue et je voudrais comprendre comment et pourquoi les parents choisissent les prénoms et noms de leurs enfants.

Il y a des centaines de facteurs qui affectent la décision de voter ou de s’abstenir à une élection et les facteurs varient d’un électeur à l’autre. L’objectif du chercheur n’est pas de dresser un inventaire exhaustif de tous ces facteurs. Il s’agit plutôt de soumettre à un examen systématique certaines hypothèses.

Vous pouvez visionner l'entrevue réalisée par Martine Turenne avec André Blais, organisée par le Conseil de recherches en sciences humaines.

Considérations rationnelles ? Plutôt devoir moral

En 2000 (ou plutôt de 1995 à 1999 !), j’ai écrit « To Vote or Not to Vote ? The Merits and Limits of Rational Choice Theory ». À cette époque, la théorie des choix rationnels, élaborée par des économistes, était populaire en science politique et était appliquée pour expliquer toutes sortes de phénomènes, du comportement des législateurs à celui des électeurs.

Le 12 avril, l’auteur André Blais discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur les nombreux facteurs pouvant affecter la décision de voter ou pas à une élection.

Dans le cas des électeurs la théorie était paradoxale. L’électeur « rationnel » constate que dans une élection où il y a des millions d’électeurs la probabilité que son vote change le résultat est infiniment petite. En somme, le gain anticipé est minime et fort probablement plus élevé que le coût anticipé, c’est-à-dire le temps consacré à décider pour qui voter et à se rendre au bureau de scrutin. De ce point de vue, l’abstention semble être l’option rationnelle. Mais on constate que la plupart des gens décident de voter, tout au moins aux élections nationales (le taux de participation moyen se situe maintenant autour de 65 à 70 %). Les faits semblent contredire la théorie.

J’ai donc consacré quelques années à lire et relire les recherches sur la participation électorale et à mener de nouvelles études de toutes sortes. Surtout des sondages, qui demeurent l’instrument privilégié pour comprendre les comportements individuels, mais aussi l’analyse des résultats électoraux, des entrevues semi-structurées, et même une expérience pour voir comment les étudiants réagissent quand on leur présente la théorie des choix rationnels.

Mon verdict est que dans le cas du vote, la théorie des choix rationnels n’est pas très utile. La plupart des gens ne procèdent pas à un calcul coût/bénéfice quand ils décident de voter ou non. En fait, beaucoup de gens votent surtout parce qu’ils ont le sentiment que c’est un devoir moral de voter dans une élection. Les considérations éthiques l’emportent sur les considérations « rationnelles ».

J’ajoute cependant que certains électeurs sont sensibles au temps que cela peut prendre d’aller voter et que le taux de participation est un peu plus élevé lorsque le résultat de l’élection est incertain. Les considérations rationnelles jouent un peu. La théorie des choix rationnels n’est pas à rejeter entièrement, même si sa contribution est limitée.

Des gens font la ligne devant un établissement
Des gens font la queue afin de voter par anticipation, lors des élections fédérales, le 10 septembre 2021 à Chambly, au Québec. Les considérations rationnelles jouent peu dans la décision de voter ou pas. C’est plutôt le devoir moral qui l’emporte. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Une question de motivation

Plus récemment, j’ai écrit avec un de mes anciens étudiants « The Motivation to Vote : Explaining Electoral Participation ». La thèse est claire et simple : la décision de voter ou non est d’abord et avant tout une question de motivation.

Si je m’intéresse à la politique, cela va plus ou moins de soi que je voudrai voter à une élection. Dans la même perspective, si je ne m’intéresse pas à la politique, la chose « normale » à faire… est de ne rien faire, c’est-à-dire ne pas voter. À moins évidemment que je croie que voter n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir civique, et que je me sentirais coupable de ne pas voter.

Dans le livre, on démontre que l’intérêt pour la politique et le sentiment du devoir sont les deux attitudes qui sont les plus fortement corrélées avec la décision de voter ou non et on renvoie à des recherches qui démontrent que ces deux attitudes sont très stables, qu’elles changent peu après l’âge de 20 ans. Ultimement, ce sont des valeurs acquises tôt dans la vie, le goût qu’on a (ou pas) pour la politique, et la conception qu’on se fait des devoirs civiques dans une société, qui influencent le plus la décision de voter ou non.

L’habitude et les ressources : deux théories mises à mal

Ce faisant, on met en doute la validité de théories influentes sur la participation électorale.

Une de ces théories veut que les gens votent ou s’abstiennent par habitude. Nous démontrons que cette explication n’est pas convaincante. Il est vrai qu’il y a une stabilité du vote ; une personne qui vote (ou s’abstient) à une élection est susceptible de faire de même à l’élection subséquente. Mais si c’était une habitude, on devrait observer que les valeurs (comme l’intérêt pour la politique) qui influencent la participation ont un impact plus faible chez les plus âgés (chez qui c’est l’habitude qui prime et qui sont donc moins influencés par leurs valeurs). Les données montrent que ce n’est pas le cas. Les déterminants du vote sont fondamentalement les mêmes pour les jeunes et les vieux. L’hypothèse de l’habitude est ainsi infirmée.

Notre interprétation jette également le doute sur une autre interprétation influente, celle des ressources. On argumente souvent que ce sont les personnes plus pauvres et moins scolarisées qui votent le moins et que c’est essentiellement parce qu’elles ont moins de ressources politiques. Il est vrai que la participation électorale est corrélée avec la scolarité et le revenu, mais il convient également de souligner que cette corrélation n’est pas très forte. Qui plus est, il est loin d’être évident que cela soit dû au manque de ressources étant donné que la très grande majorité des citoyens estiment que c’est facile de voter. La théorie des ressources est utile pour expliquer des modes de participation plus exigeants, mais elle ne s’applique pas vraiment au vote.

Certaines (mauvaises) langues vous diront que j’ai un malin plaisir à réfuter des explications populaires. Il y a là peut-être un brin de vérité. Mon moto est « Pas Convaincu », comme mes étudiants me l’ont gentiment rappelé lors d’une conférence en mon honneur. Mais n’est-ce pas le rôle du chercheur de soumettre à la fois les théories scientifiques et le sens commun à un examen rigoureux, à partir d’un scepticisme de bon aloi ?


Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,000 academics and researchers from 4,921 institutions.

Register now