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WeWork, qui a déposé le bilan aux États-Unis, exploite 777 espaces dans le monde, comme ici dans le quartier de la Défense. Shutterstock

WeWork : chute d’une entreprise ou fin du coworking ?

En 2019, neuf ans après sa création, WeWork était le leader incontesté du coworking, valorisé à plus de 47 milliards de dollars. C’était alors une valeur star qui en faisait l’une des start-up les plus convoitées par des investisseurs majeurs comme SoftBank. Pourtant début novembre 2023, l’entreprise dépose le bilan en Amérique du Nord après des années de turbulences marquées par l’accumulation de plus de 16 milliards de pertes depuis sa création en 2010. Cette procédure, aux États-Unis, a vocation à permettre une renégociation des dettes avec les créanciers et à planifier une réorganisation de l’activité. C’est ainsi d’ailleurs que la direction de WeWork présente l’opération.

Nos travaux de recherche ont montré que la logique de croissance rapide et à n’importe quel prix de sociétés gérant des espaces de coworking faisait porter un risque conséquent sur l’attractivité et la pérennité de son offre. Tout gérant d’espace de ce type commet une erreur s’il privilégie la rentabilité ou la croissance au détriment soit des besoins des membres utilisant l’espace, soit d’adaptation à des évolutions conjoncturelles, soit de l’innovation : il rend inévitablement son lieu moins attractif, entraînant un taux de roulement des membres plus élevé sur le long terme.

Cela nuit en outre au développement des collaborations, un précurseur à l’innovation, entre les différents occupants. Ces moindres interactions entravent l’élargissement de réseaux des entreprises et la construction de sens communs partagés dans l’espace. Les occupants voient ainsi l’utilité de l’espace, réduit à un bureau de travail sans plus. C’est précisément ce qu’il est advenu de WeWork.

Croissance à tout prix et gouvernance mouvementée

Pendant des années, WeWork a priorisé l’acquisition de nouveaux locaux jusqu’à exploiter activement 777 sites dans 39 pays en 2023. Problème, la majorité des baux ont été signés en surenchère en 2018 et 2019, avant que le marché ne se contracte à la suite de la pandémie liée au coronavirus. Des contrats de dix à vingt ans s’élevaient à plus de 13 milliards de dollars. La demande n’ayant pas correspondu aux prévisions d’une expansion rapide, l’entreprise n’a jamais réalisé de bénéfice, dépensant plus de 80 % de ses revenus dans les intérêts bancaires et les loyers mensuels.

WeWork avait attiré les investisseurs en les persuadant qu’elle était une start-up agile de la Tech. Or, il s’agissait plutôt d’un gestionnaire d’immobilier de bureaux, déterminé à maintenir à tout prix des chiffres de croissance exponentielle, sans disposer d’une offre évolutive, et surtout sans une stratégie bien définie sur la raison d’être de l’entreprise au-delà de l’immobilier.

Voilà quatre ans, le co-fondateur de WeWork, Adam Neumann, a fait la une des médias, poussé démissionner de son poste de PDG, principalement en raison d’une crise de gouvernance et de pratiques contestées et discutables. Sous sa direction, l’entreprise s’était égarée en investissant, comme l’affirmait le Wall Street Journal, davantage dans des projets liés à ses intérêts personnels tels qu’un jet privé, des robots autonomes, et des piscines à vagues artificielles. Cette mauvaise allocation des ressources, associée à des rapports sur des comportements excessifs de Neumann, a suscité des inquiétudes quant à sa capacité à fournir un leadership efficace, contribuant ainsi aux difficultés financières, au report de son introduction en bourse, et à la difficulté de maintenir un cap stratégique clair.

C’est aussi sur l’importance de la gouvernance et du leadership de l’espace de coworking que nos résultats de recherches insistent. L’entreprise doit instaurer un environnement transparent, tant en interne pour ses collaborateurs qu’en externe pour les membres de l’espace de coworking, avec lesquels forger les conditions d’appartenance à un écosystème. En manque de leadership et de cap stratégique, WeWork n’a pas su créer une marque centrée sur le futur du travail dans sa globalité. La firme s’en est tenue à une logique de gestion d’immobiliers de bureaux.

Une nouvelle ère pour le coworking ?

La pandémie du Covid-19 a profondément modifié la façon dont les personnes travaillent, forçant notamment les entreprises à réévaluer les besoins en espaces de travail. Les entreprises, désireuses de solutions plus flexibles et de configurations sur mesure, se sont tournées vers de nouveaux modèles de coworking. S’ajoutent à cela l’accélération de la digitalisation des organisations et l’adoption plus pérenne du télétravail. En 2010, WeWork, avec son modèle axé sur de grands espaces ouverts et des zones communes animées, était innovant et à l’avant-garde des tendances du travail. Aujourd’hui ce modèle semble dépassé.

L’essor du secteur des bureaux opérés constitue par exemple une nouvelle tendance. Il s’agit d’une solution hybride entre le bureau traditionnel et le coworking : un espace de travail privatif assorti des services présents dans les espaces partagés. Cette solution polyvalente propose une gamme d’options, de la location de bureaux à l’heure à des étages entièrement personnalisés, répondant aux besoins évolutifs des entreprises. Hiptown, par exemple, une start-up française créée en 2019, se positionne sur ce marché.

Des acteurs innovants et des solutions sur mesure continuent ainsi de se développer, répondant aux besoins changeants des entreprises postpandémie. WeWork, de son côté, n’a pas su profiter du rebond après le Covid pour faire évoluer ses propositions.

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A contrario, après avoir placé 10 % de ses activités sous la protection offerte par le droit américain des faillites en 2020, l’entreprise IWG, la maison mère des marques de Spaces ou Regus, s’est repositionnée stratégiquement autour du modèle du travail hybride et a su adapter son offre aux entreprises. L’entreprise mise aussi sur les bienfaits potentiels de ce mode d’organisation pour le développement durable et la planète. Celui-ci pourrait contribuer à réduire les émissions de carbone de 70 % au Royaume-Uni et de 87 % aux États-Unis en limitant les constructions et les transports. Pendant que WeWork est en faillite, IWG a ainsi réalisé une année record, et sa rentabilité s’améliore.

D’après notre étude, l’entreprise qui gère l’espace de coworking devrait avoir un rôle « catalyseur » et non « gestionnaire » de l’espace afin de créer un écosystème avec les différentes parties prenantes, fondé sur une vision stratégique de l’évolution du travail. Les équipes de gestion de l’espace de coworking devraient également être conscientes de l’équilibre délicat entre le contrôle, la logique de croissance, la proposition de valeur, et la gouvernance. L’avenir du secteur du coworking est encore en pleine mutation, et WeWork, malgré tout, peut encore se redresser et jouer un rôle dans ce nouvel environnement en évolution.

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