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XXᵉ congrès du PCC : le modèle économique chinois est-il compatible avec les ambitions de puissance et de modernité ?

En ouverture du XXe congrès du Parti communiste chinois, Xi Jinping, qui brigue un troisième mandat à la tête du pays, a fixé des objectifs économiques ambitieux. Noel Celis / AFP

C’est devant un public acquis à sa cause que Xi Jinping, 69 ans, a ouvert ce dimanche 16 octobre le XXe Congrès du Parti communiste chinois. Briguant samedi prochain un troisième mandat à la tête du pays, ce qui ferait de lui le dirigeant le plus puissant depuis Mao, il s’adressait à quelque 2 300 délégués d’un appareil politique qui met tout en œuvre pour montrer son unité.

Il a souligné ses objectifs de faire de la Chine une puissance de premier plan au niveau mondial ainsi qu’un grand pays moderne. Son économie peut-elle seulement relever ce défi ?

La question de l’évolution du modèle de développement semble aujourd’hui cruciale pour Pékin. La politique économique actuelle est-elle soutenable ? Le régime peut-il accepter une plus faible croissance ? On constate en fait d’importantes faiblesses structurelles : ralentissement économique, contraintes démographiques, inégalités, problèmes environnementaux. Elles existaient avant l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir mais ses méthodes autoritaires en ont aggravé les conséquences.

Pour maintenir le cap d’une croissance élevée, les autorités ont, ces dernières années, fait le choix de continuer de soutenir les investissements mais souvent dans des secteurs peu productifs comme l’immobilier. Elles ne pourront cependant pas pallier éternellement une demande en berne pour des raisons tant démographiques que sociales. Le modèle économique chinois, sujet de nos recherches, semble se trouver donc face à un impératif de réformes qu’il repousse depuis presque deux décennies.

L’investissement, indispensable moteur de l’économie

Repartons quelques années en arrière. À la mort de Mao en 1976, la Chine reste un pays très pauvre, souffrant de sous-investissement. Deng Xiaoping, leader réformiste, accède bientôt au pouvoir et lance toute une série de mesures à partir de 1978 visant à construire une « économie socialiste de marché ».

La stratégie d’ouverture et d’attraction des capitaux étrangers, aidée par l’abondance de main-d’œuvre bon marché, a permis de soutenir de forts taux de croissance. Ils reposent ainsi principalement sur l’investissement et le commerce extérieur, mais très peu sur la consommation des ménages qui reste à un niveau assez faible. En effet, le taux d’épargne est très élevé en raison de la faiblesse de la protection sociale et donc de la nécessité de constituer une épargne de précaution.

Cependant, les investissements sont devenus de moins en moins rentables. Au début des années 2000, une réorientation semblait déjà impérative. Dès 2004, le premier ministre Wen Jabao annonce le nécessaire ré-équilibrage de la croissance afin d’améliorer l’efficacité de ces investissements et d’accroître la consommation. Si la Chine veut éviter de tomber dans « la trappe des pays à revenu intermédiaire », il faudrait augmenter les revenus des ménages, mais aussi permettre une croissance plus qualitative en s’appuyant sur des technologies de production d’un niveau supérieur. Peu de mesures cependant voient le jour, reportées un peu plus par la crise financière de 2007.

Pékin a, de fait, continué d’ériger la croissance en objectif premier. L’une des particularités de l’économie de la Chine est que le taux d’évolution de la production d’une année sur l’autre n’est pas tant quelque chose de mesuré à la fin d’une année ou même une prévision anticipée, qu’un objectif à tenir, fixé par le gouvernement. Pour atteindre les cibles qu’elles se donnaient elles-mêmes, les autorités ont poursuivi leur soutien massif à l’investissement, au détriment d’une évolution du modèle économique.

L’immobilier plutôt que la productivité

Le secteur immobilier a alors progressivement endossé un rôle central. L’urbanisation et la nécessité sociale d’être propriétaire pour pouvoir se marier stimulaient la demande : les gouvernements locaux en ont profité pour s’enrichir grâce aux ventes de terrains.

Non seulement l’activité de ce secteur permet d’atteindre le taux de croissance fixé par le gouvernement, mais il permet aussi de lisser les cycles liés à la conjoncture. Lorsqu’il y a un risque de surchauffe, la décision est prise de contraindre l’activité du secteur, via par exemple une hausse des taux d’intérêt ou en demandant un apport minimum élevé. Au contraire, tout est fait pour la soutenir lorsque la croissance faiblit.

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L’importance de la demande a cependant également entraîné une hausse des prix, surtout dans les plus grandes villes, ce qui a incité à la spéculation. Face aux possibilités de profits rapides, il y a alors eu un phénomène en chaîne qui a, en quelque sorte, dirigé vers ce secteur des investissements qui auraient été plus productifs ailleurs.

Le secteur immobilier au sens strict représente aujourd’hui 14 % du PIB, 30 % si on inclut les secteurs concernés en amont (le ciment ou l’acier par exemple) et en aval (la décoration, l’ameublement). On observe, de fait, une très forte interdépendance entre ces secteurs, ce qui les fragilise en cas de difficultés. Or, c’est précisément ce qui arrive aujourd’hui.

Des menaces qui planent sur le secteur financier

Cette course à la croissance et aux investissements s’est en effet faite au prix d’un fort endettement, à tel point qu’en 2020, le gouvernement a décidé de durcir la réglementation. Ont été définies « trois lignes rouges » qui limitent le niveau d’endettement des entreprises.

Si cette décision vise à assainir, à juste titre, un marché en surchauffe, elle a néanmoins accru les problèmes d’entreprises déjà pénalisées par la crise liée au coronavirus. Le gouvernement doit donc relâcher un peu les contraintes et retarder une fois de plus des réformes de fond.

Le risque de transmission de la crise à d’autres secteurs est d’autant plus important qu’une partie des emprunts s’est fait grâce au « shadow banking », cette finance de l’ombre qui, bien que plus contrôlée que par le passé, n’en demeure pas moins réelle. À la différence des grandes banques qui ont la capacité de surmonter une crise de liquidité, nombre de petites banques s’avèrent fragiles et ne résisteraient pas à un défaut des entreprises auxquelles elles ont prêté.

À l’instar de ce bâtiment photographié en juillet dernier à Guangzhou (province du Guangdong), de nombreux chantiers de logements sont à l’arrêt. Jade Gao/AFP

Au risque de défaut des promoteurs s’ajoute d’ailleurs le risque de boycott des acheteurs, qui ne veulent plus payer pour des appartements dont la construction se trouve souvent suspendue. La plupart des logements sont en effet vendus sur plan et l’évolution des travaux dépend de l’état des finances du promoteur.

Aujourd’hui, ce sont les gouvernements locaux qui assurent la solidité de l’ensemble et qui soutiennent le marché en achetant un très grand nombre de logements. Les autorités de la ville de Suzhou (agglomération de plus de quatre millions d’habitants située dans la province de Jiangsu au sud du pays) ont, par exemple acheté 5000 appartements en septembre. Cela correspond à la moitié des appartements vendus dans le mois.

Pareille politique peut permettre aux promoteurs immobiliers d’honorer leurs engagements en terminant les appartements et en payant les fournisseurs, mais ce n’est qu’une solution provisoire.

Une démographie pénalisante

Cette crise de l’immobilier a été aggravée par la situation démographique. La population chinoise vieillit. Dès le début des années 1970, des restrictions des naissances ont été mises en place, augurant la politique de l’enfant unique décidée en 1979.

Des assouplissements récents ont tenté d’initier un virage avec le droit à un 2e enfant en 2015 et l’incitation à avoir un 3e enfant en 2021. Mais les tentatives du gouvernement pour relancer la natalité sont des échecs pour des raisons financières et sociales. En l’absence d’une véritable politique de redistribution et d’une hausse des salaires, avoir un enfant voire deux enfants supplémentaires s’avère trop coûteux en termes d’éducation, de santé et de logement. De plus, la société évolue et les jeunes couples se sont habitués à l’idée de n’avoir qu’un enfant et de lui offrir la meilleure éducation possible.

Le taux de fécondité est ainsi de 1,7 enfant par femme alors qu’un taux de 2,1 est nécessaire au renouvellement de la population. La Chine non seulement perdra donc à l’avenir les avantages d’une population jeune en termes de dynamisme, de capacité d’innovation… mais elle devra également assumer la charge d’une population âgée. Elle connait en fait les problèmes de transition démographique des pays riches alors qu’elle ne se situe en 2020, qu’au 72e rang mondial en termes de PIB par habitant, selon les données du FMI.

La montée du chômage (18 % chez les 18-24 ans), ne peut en outre que pénaliser une relance de la démographie. Tous ces éléments pèsent sur la demande de nouveaux logements.

Ce que le parti semble devoir concéder

Trois éléments paraissent donc indispensables pour permettre une croissance chinoise plus qualitative : éviter les investissements non rentables, ceux qui ne visent qu’à soutenir artificiellement le taux de croissance ; augmenter les revenus des ménages afin de faire de la consommation intérieure le moteur de la croissance ; et poursuivre l’amélioration du niveau technologique de la production.

Or, ce dernier point se heurte à la dépendance vis-à-vis de la technologie américaine et à l’impact de l’interdiction de certaines exportations des États-Unis vers la Chine. D’une façon générale, le climat des affaires se trouve très dégradé par la brutalité et l’imprévisibilité des décisions de Xi Jinping. Le renforcement du contrôle sur le secteur du numérique ou l’interdiction de l’important secteur des entreprises donnant des cours particuliers par exemple, ont instauré une méfiance qui pourrait à l’avenir peser non seulement sur les investissements étrangers mais aussi sur la prise de risque des entrepreneurs chinois.

Dans un contexte où l’application d’une politique zéro Covid très stricte et contraignante entraîne de nombreuses critiques de la part de la population, l’objectif du gouvernement reste d’assurer le maintien du parti communiste au pouvoir, sans que les pays étrangers puissent mettre des obstacles au développement du pays. C’est le sens du projet « Une ceinture, une route », mais aussi de l’activisme de la Chine au plan international. Sur ce point encore, après des années de discrétion de la part des dirigeants, les méthodes agressives de Xi Jinping entament la crédibilité de la Chine.

En résumé, les problèmes économiques ne seront surmontés que si le gouvernement et donc le parti communiste acceptent un taux de croissance plus faible et une politique de redistribution. Celle-ci, même si elle reste conforme à l’idéal communiste, n’en reste pas moins à l’état de projet incertain, les déclarations de Xi Jinping sur la prospérité commune restant très générales.

Le dirigeant chinois, comme ses prédécesseurs, reste profondément marqué par l’éclatement de l’URSS, attribué à un affaiblissement du Parti communiste soviétique. Tout est donc fait aujourd’hui pour que le Parti communiste chinois renforce son influence et son contrôle. La question est de savoir si cela sera à l’avenir compatible avec la poursuite du développement économique.

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