La préoccupation climatique aura particulièrement occupé l’actualité du mois de septembre : un sommet des Nations unies à New York, les grèves et marches des jeunes pour le climat dans de nombreux pays, le rapport spécial Océans et Cryosphère publié par le Groupe intergouvernemental pour l’étude du climat, ouragans et incendies…
Mais quelle place exacte nos lycées, collèges et écoles, qui ont récemment fait leur rentrée, font-ils à l’enseignement du changement climatique ?
L’article 12 de l’Accord de Paris, ratifié à la suite de la COP21 (2015), fait obligation aux signataires de se préoccuper d’une telle éducation pour tous les élèves. Au printemps dernier, une pétition signée d’éminents climatologues interrogeait vigoureusement la situation en France. Le premier rapport du Haut-Conseil pour le climat souligne qu’« il faut intégrer systématiquement les connaissances sur le changement climatique, les émissions de GES et les actions bas carbone dans les systèmes d’éducation ».
Sans doute sensible à la mobilisation de la jeunesse comme à celle des scientifiques, le ministère de l’Éducation nationale a tardivement pris conscience de la nécessité d’agir, nécessité d’autant plus impérieuse que tout changement au sein du système éducatif prend du temps.
En juin dernier, le ministre a saisi le Conseil supérieur des programmes – où siègent notamment des députés et sénateurs – pour lui demander d’étudier, au collège et à l’école primaire, « des enseignements plus explicites, plus précis et plus complets… ayant trait au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable, intégrés dans toutes les disciplines… avec une base scientifique progressivement consolidée ».
Vaste programme, dont il faut espérer la cristallisation opérationnelle et concrète dès la rentrée 2020.
Ignorance des faits et du consensus scientifique
De fait, il est déjà bien tard. Nombre de témoignages, de parents comme de professeurs, attestent du désarroi, voire de l’angoisse ressentie par de jeunes enfants ou adolescents, démunis ou crédules en entendant que la planète est en perdition, une nouvelle extinction en marche, l’humanité entière menacée de collapse, voire de disparition.
Et les adolescents, s’interrogeant sur leurs choix professionnels à venir, ne sont pas en reste. L’éco-anxiété, charriée par les réseaux sociaux, serait-elle le nouveau mal du siècle ? En Europe, aux États-Unis, en Australie, des chercheurs ont analysé en profondeur, chez des jeunes de 12 à 25 ans, le rôle des connaissances, des valeurs et des engagements autour des questions climatiques.
Il en ressort une grande ignorance des faits et du consensus scientifique sur ceux-ci, de sérieuses confusions entre adaptation et atténuation, mais aussi une place de choix donnée à certains « messagers » que ces jeunes estiment fiables, au premier rang desquels figurent leurs professeurs.
Aujourd’hui, si tous nos élèves savent que « la Terre se réchauffe », très rares sont ceux auxquels ont été expliqués les phénomènes en jeu et les ordres de grandeur associés.
Une analyse soignée des actuels programmes de l’école et du collège en France, lesquels sont communs à tous les élèves, montre qu’à une ou deux rares exceptions en primaire, les connaissances climatiques n’y apparaissent que timidement à partir de la classe de 6e. Dans les trois années qui suivent, elles figurent de-ci de-là, évoquées en géographie et en sciences de la vie et de la Terre (SVT) sous forme quelque peu désordonnée et impressionniste.
On comprend que le chantier qui s’ouvre sera difficile. Il devrait donner aux élèves un cadre structuré de pensée, leur permettant d’avoir une vision globale, quoiqu’ici élémentaire, du système Terre (continents, océan, atmosphère, glaces, biosphère et leurs couplages mutuels), de son évolution rapide sous l’influence humaine, des risques encourus, et des solutions encore accessibles, tant pour l’adaptation que pour l’atténuation. Il devrait aussi pointer l’indispensable solidarité globale et l’exigence de justice climatique. Il devrait enfin souligner que la science analyse des faits et des stratégies, évalue des probabilités, dessine des scénarios pour l’avenir, mais qu’elle ne dicte pas des choix qui relèvent de valeurs et du libre débat démocratique.
Une indispensable vision systémique
Au collège, la fragmentation disciplinaire des professeurs joue contre cette indispensable vision systémique. Seul un travail collectif, un narratif obligé par le programme et commun à tous, permettrait de restituer aux élèves la cohérence de la science climatique et le paysage des actions possibles. À l’école primaire, avec son unique professeur traitant de toutes les disciplines, la tâche sera plus aisée.
Pour tous ces jeunes entre 6 et 16 ans, l’essentiel est de structurer leur pensée de façon rationnelle et de leur offrir, par des projets et une pédagogie active du type « La main à la pâte », des activités qui, pour modestes qu’elles soient dans leur voisinage immédiat, fassent sens – telle l’estimation du bilan carbone de chacun, de la famille, de l’école, du quartier. Dans le sillage de « La main à la pâte », la création en 2018 de l’Office for Climate Education à Paris vise à accompagner les enseignants par des outils adaptés et de qualité scientifique indiscutable, en écho aux rapports successifs du GIEC.
Au lycée, la maturité des élèves permettrait de construire des connaissances plus approfondies, ouvrant à l’exercice prochain de leur citoyenneté. La réforme du lycée général est entrée en vigueur tout récemment. La classe de 2nde demeure indifférenciée, et le climat de la Terre en est pratiquement absent. Puis en 1re et terminale (pour 2020), les anciennes sections S, ES et L sont supprimées, remplacées par un tronc commun à tous les élèves (soit près de 350 000 par niveau) accompagné d’un menu « à la carte » de spécialités, choisies par chaque élève.
Dans le tronc commun, le mot « climat » ne figure ni en géographie, ni en enseignement moral et civique (EMC), ni en philosophie. « L’environnement », notion très générale, parfois fourre-tout, aux multiples facteurs, est mentionné une à deux fois en EMC et en géographie. L’innovation, réelle, se trouve dans un enseignement scientifique interdisciplinaire, de deux heures hebdomadaires. Le climat terrestre, le réchauffement actuel et ses impacts, la consommation énergétique et la transition écologique y trouvent une place explicite, quoique modeste (à peine 20 % en 1re, environ 50 % en terminale).
Ici une vision systémique est bien proposée, éclairée par chacune des sciences : physique, chimie, sciences du vivant et de la planète, mathématiques. L’expérience dira si les professeurs de science savent collectivement mettre en valeur cette vision, en associant économistes, géographes et philosophes à leur enseignement. Elle dira aussi si place est faite, par un dédoublement de classes souvent pléthoriques, à une pédagogie active comprenant des projets et des expériences.
Seule la petite fraction d’élèves (de l’ordre d’un quart au plus), choisissant en 2020 la spécialité « Sciences de la vie et de la Terre » en terminale, recevra une exposition bien plus solide, quoique coupée de la physique-chimie qui se limite à conseiller « d’évoquer » le climat à propos de l’énergie. Enfin, la spécialité « économie » fait une modeste place aux conséquences du changement climatique.
La réforme du lycée professionnel, en cours, ne comprend pour le moment aucune exposition structurée aux questions climatiques, non plus que les sections technologiques du lycée général. N’y aurait-il pas une profonde injustice à ce que, face à cet enjeu planétaire, un bon tiers des jeunes de chaque classe d’âge, de surcroît souvent plus démunis que les élèves du lycée général, ne soient pas dotés d’un minimum d’outils de compréhension ?
En conclusion, une action vigoureuse est nécessaire à l’école et au collège. Au lycée général, les nouveaux programmes pourraient suffire à donner des bases solides à une partie de la jeunesse, à condition qu’au sein de l’établissement un travail collectif des professeurs, élargi à la plupart des disciplines, assure la cohérence des connaissances. Dans les voies technologiques et surtout professionnelles, tout est à faire. Partout, la généralisation récente des éco-délégués ouvre peut-être une piste ?
Sans doute certains argumenteront-ils que les programmes scolaires ne peuvent se saisir à tout moment de toutes les questions sociétales brûlantes, et doivent conserver une certaine distance dans la transmission des savoirs. Certes, mais ici, serait-il vraiment légitime de se contenter d’une school as usual, à l’image des scénarios les plus catastrophiques du GIEC que l’on intitule business as usual ? Entendons la voix de la jeunesse qui est aussi, ici, celle de la sagesse.