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Zitkala-Sa, une féministe amérindienne oubliée

Zitkala-Sa par Gertrude Käsebier, 1898. Wikipédia

« Ni sauvage, ni civilisée » : c’est ainsi que se définissait, en 1900, la femme de lettres, musicienne et activiste amérindienne Zitkala-Sa (1876-1938). Mais que sait-on vraiment des parcours intellectuels et militants des femmes amérindiennes ?

Rarement étudiées et encore moins intégrées à l’histoire des grands mouvements sociaux américains tels que la lutte en faveur du suffrage féminin, les femmes amérindiennes telles que Susette La Flesche (1854-1903) ou encore Laura Cornelius Kellogg (1880-1947) ont pourtant activement contribué aux grands mouvements sociaux de leur temps.

L’historienne américaine Sally Roesch Wagner analyse les relations interculturelles au sein du mouvement suffragiste américain dans ses nombreux travaux. Elle souligne l’intérêt soutenu de certaines suffragistes blanches du XIXe siècle, en particulier Matilda Joslyn Gage (1826-1898), pour la participation politique acquise de longue date par les femmes issues de la nation Haudenosaunee.

L’histoire du suffrage féminin aux États-Unis révèle des situations locales où des populations marginalisées s’engagent dans ce combat national par le biais de luttes liées à des communautés régionales. Ainsi, la ratification du 19e amendement en 1920 accorde en théorie le droit de vote aux femmes mais de nombreux états continuent de leur barrer l’accès aux urnes en particulier lorsque ces femmes sont dites de « couleur ».

Cette double discrimination fondée à la fois sur le genre et sur l’origine produit, dès la fin du XIXe siècle, une génération d’intellectuelles issues des minorités engagée sur plusieurs fronts, comme l’a bien noté l’historienne Martha S. Jones pour la communauté afro-américaine. Ces femmes se sont par ailleurs parfois heurtées au mépris de leur propre communauté qui regardait leur volonté de participation politique à la société dominante comme un acte de traîtrise. Leurs parcours intellectuels et militants demeurent toutefois assez peu connus.

Survivre à l’internat

Née en 1876 dans la réserve sioux de Yankton, dans le Dakota du Sud, Zitkala-Sa rencontre, à l’âge de sept ans, des missionnaires quakers venus s’installer dans la réserve. En 1883, ces derniers décident de l’envoyer dans un internat pour enfants amérindiens à Wabash, dans l’Indiana. Elle raconte la violence de ce processus d’assimilation dans un article publié en 1900 dans The Atlantic Monthly (p.185).

Elle y retrace les violences vécues telles que les brimades physiques. L’une de ses camarades est violemment battue pour avoir joué dans la neige. Une autre meurt seule dans son lit. « I blamed the hard-working, well-meaning, ignorant woman who was incalculating in our hearts her superstitious ideas » (« J’en ai voulu à cette femme travailleuse, bien intentionnée et ignorante qui nous inculquait ses idées superstiteuses ») écrit-elle à propos de la directrice de l’internat qui les force à apprendre des passages des Évangiles et à couper leurs nattes traditionnelles.

À dix-neuf ans, elle est admise dans une université mixte, Earlham College, à Richmond, dans l’Indiana. Championne de concours de rhétorique, elle ne se satisfait pas de son sort : « The little taste of victory did not satisfy a hunger in my heart. » (« Ce petit goût de victoire n’a pas calmé ma faim »).

Naissance d’une militante

Cette soif de justice la pousse à s’engager pour les droits des Amérindiens. Musicienne, elle enseigne le violon et écrit un opéra au sein de l’école Whiterocks dans la réserve Uintah située dans l’Utah où son mari est employé au bureau des affaires indiennes. Puis elle publie en 1901 Old Indian Legends afin de préserver la mémoire culturelle amérindienne.

En 1916, elle part pour Washington DC comme secrétaire de la Société des Indiens américains. Elle s’engage ensuite à représenter les intérêts des différentes nations amérindiennes auprès des membres du Congrès. Ce travail de lobbyiste l’amène à participer aux conventions de la General Federation of Women’s Clubs dans laquelle elle forme en 1921 l’Indian Welfare Committee.

En 1924, l’Indian Citizenship Act garantit la citoyenneté à tous les Amérindiens nés aux États-Unis mais ne leur accorde pas partout l’accès au vote. Zitkala-Sa décide de créer deux ans plus tard le National Council of American Indians, pour unir les nations amérindiennes afin d’obtenir l’accès au suffrage dans tous les états américains.

La spécialiste de littérature américaine Paige Allison Conley comprend cet engagement au sein du mouvement en faveur des droits des femmes comme la preuve d’une conviction féministe. Zitkala-Sa fait ainsi appel lors du congrès bisannuel de la General Federation of Women’s Clubs à la notion de sororité, persuadée que les femmes ont un rôle politique à jouer dans les combats des minorités : « O sisters, work to that end ; work in cooperation that the stain upon our country in the treatment of my people may be wiped out. » (« Ô, mes sœurs, travaillez à cette fin ; travaillez ensemble pour que cessent les mauvais traitements infligés à mon peuple dans ce pays »)

Cette conviction transcende ainsi les barrières de classe et de race, inscrivant le combat pour les Amérindiens dans le sillage du mouvement en faveur des droits des femmes.

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