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Zodiacs de la mort, forages en Méditerranée et changement climatique

Des migrants en Méditerranée, aux larges des côtes libyennes, attendent les secours en août 2015. Darrin Zammit Lupi/Reuters

Pendant les douze jours que dure la COP21, combien de désespérés affronteront la mer pour essayer de rejoindre l’Union européenne ? Combien périrons ? On a compté cette année presque un million de migrants voguant sur les eaux, dont des milliers sont morts noyés. Au même moment, sous les eaux de cette même mer, la découverte de nouveaux trésors d’hydrocarbures alimente en Europe, le continent le plus riche la planète, la soif d’une croissance de la production, de la consommation et du PIB.

L’euphorie avec laquelle le président du Conseil italien, Matteo Renzi, a annoncé récemment la découverte du plus grand gisement de gaz en Méditerranée a trouvé un écho ironique lors de l’ouverture de la COP21, où il a loué le rôle de l’Italie dans la lutte contre le changement climatique. D’une part on pleure les victimes des « zodiacs de la mort », de l’autre, on exulte au sujet de la découverte de nouvelles réserves de carburants fossiles. Rares sont ceux qui saisissent le lien tragique entre ces deux phénomènes.

Selon les démographes, d’ici à quelques années, les migrations actuelles à destination de l’Europe sembleront bien modestes au regard des migrations futures et probables de dizaines de millions de réfugiés climatiques.

La combustion de charbon, pétrole, gaz naturels et forêts émet dans l’atmosphère de plus en plus de CO2, le gaz qui (après l’eau) est le principal responsable des altérations d’origine anthropique du climat. Ces dernières produisent tellement de bouleversements sociaux, écologiques et économiques, que cet article ne suffirait pas à les énumérer. Un seul exemple : dans beaucoup de pays, surtout les moins riches, les terres deviennent arides, les déserts s’étendent, le bétail meurt, les ressources en eau s’appauvrissent ou se dégradent.

Alors que le rythme actuel des émissions rend non improbable une élévation de plus d’un mètre du niveau des mers pour ce siècle, une élévation même de quelques centimètres est déjà susceptible d’affecter des centaines de millions de personnes en favorisant les inondations et en provoquant l’intrusion d’eau salée dans les nappes phréatiques d’eau douce.

L’initiative Nansen

Dans plusieurs pays, des millions d’anciens agriculteurs ou d’anciens éleveurs migrent vers les villes, ce qui ne manque pas de provoquer des tensions sociales. Rébellions et répressions suscitent à leur tour des vagues de violence. La Syrie, par exemple, a connu sa pire sécheresse entre 2006 et 2011. Une grande partie du bétail est morte, et entre un et deux millions d’habitants ont quitté les campagnes pour se rabattre, sans travail, sur les villes. L’eau y est devenue une denrée rare et difficilement accessible. Les protestations de la population ont été réprimées dans le sang, ce qui a été l’une des causes de la guerre civile qui est en train de vider la Syrie de son peuple.

Si les réfugiés politiques sont reconnus et protégés par la Convention de Genève de 1951, les réfugiés victimes de la dégradation de l’environnement ne bénéficient d’aucune protection juridique. Pour pallier à cette situation, les représentants de soixante-quinze États se sont réunis les 12 et 13 octobre dernier à Genève pour une Consultation globale où fut présenté un « agenda de protection » des réfugiés environnementaux et des catastrophes naturelles. Cet agenda résulte de consultations régionales menées depuis 2012 par l’Initiative Nansen, un organisme créé par la Suisse et la Norvège.

Selon le think tank helvétique Foraus, la Suisse devrait donner une suite à l’initiative Nansen pour promouvoir l’adéquation du droit international afin de reconnaître et protéger les réfugiés environnementaux. En parallèle, Foraus encourage à redéfinir la migration comme un phénomène aux multiples causes, souvent provoqué par une synergie de facteurs sociaux, économiques, politiques et environnementaux.

Le drame des réfugiés exige trois actions également nécessaires : le secours, l’abandon de certaines conduites des citoyens, entreprises, armées et gouvernements des pays riches, lesquelles provoquent fuite et migration de millions de désespérés et, enfin, l’information à destination des Européens pour qu’ils connaissent les causes proches ou lointaines des migrations forcées. En oubliant les deux dernières actions, on rend la première de plus en plus difficile.

Si les médias, les enseignants et les personnalités du monde institutionnel et culturel nous rappelaient plus souvent nos responsabilités passées et présentes dans les malheurs qui frappent le « Sud », davantage de citoyens seraient peut-être moins hostiles aux réfugiés et leur animosité pourrait céder la place à une meilleure compréhension et à une plus grande générosité.

En novembre 2013, le super typhon Haiyan s’abattait sur les Phillipines, provoquant le déplacement de plus de quatre millions de personnes. Romeo Ranoco/Reuters

Une responsabilité triple de l’Occident

La responsabilité de l’Occident dans les migrations est triple : le colonialisme, la globalisation et la disruption climatique. Des invasions militaires dans le but d’exercer une domination politique, la traite d’esclaves et l’exploitation des ressources naturelles ont produit le colonialisme. À titre d’exemple, le Royaume-Uni est intervenu militairement partout dans le monde, sauf dans vingt-deux pays, souligne l’historien Stuart Laycock.

Nous avons parfois exploité les conflits ethniques à notre avantage, nous avons créé, arbitrairement, des frontières et des États et nous avons développé des structures économiques à l’avantage des métropoles européennes. Les conséquences nombreuses des crimes coloniaux se font encore ressentir aujourd’hui ; elles sont, en outre, loin d’être compensées par les apports coloniaux (relatifs à l’éducation, aux services sanitaires, aux institutions, aux infrastructures et aux technologies) et par notre aide modeste au développement. Au colonialisme a succédé le néocolonialisme : protectionnisme économique, pratiques et pactes économiques abusifs, exportation d’armes à direction des pires régimes, corruption, lobbying auprès les gouvernements, soutien aux dictateurs, coups d’État contre des démocraties, bombardements et invasions militaires ont déstabilisé ou dévasté des pays entiers.

La mondialisation, qui est en grande partie américanisation et européanisation, apporte le meilleur comme le pire. Sa recette : un marché unique de biens de consommation uniformes, un média dominant (Internet), une culture et une langue également dominantes (anglo-saxonnes), et enfin, une pensée économique unique. Avec des centaines de milliards d’euros investis dans la publicité, les pays riches inondent la planète, y compris les pays pauvres, d’images mercantilistes faisant la promotion d’un mode de vie idéalisé, apparemment accessible à tous et synonyme de bonheur et de joie. Comment s’étonner alors que parmi les milliards de pauvres qui jusque-là se contentaient de peu, des centaines de millions d’individus soient prêts à tout pour rejoindre cet eldorado ?

Enfin, les effets du changement climatique anthropique sont une cause sous-estimée et toujours plus importante d’exode et de migration. Malheureusement, les populations qui sont les plus victimes du changement climatique sont aussi celles qui ont le moins contribué à le causer ; en moyenne, chacun de leurs habitants émet cinq à dix fois moins de gaz à effet de serre que l’habitant des pays industrialisés.

D’un point de vue scientifique, on ne devrait pas seulement prendre en considération les émissions de gaz à effet de serre récentes, mais aussi les émissions depuis le début de la révolution industrielle, parce que leurs effets perdurent des siècles durant. En considérant donc les émissions historiques des pays industriels, l’écart entre les responsabilités des habitants des pays riches et des pays pauvres est encore plus grand. C’est pourquoi certains économistes et certains pays plaident pour que les droits d’émission de chaque habitant de la planète soient [attribués indépendamment du lieu de vie passé, présent et futur](http://www.lse.ac.uk/geographyAndEnvironment/whosWho/profiles/neumayer/pdf/Article%20in%20Ecological%20Economics%20(Greenhouse%20gas%20emissions.pdf).

Trop d’énergies fossiles à brûler

De plus en plus de scientifiques, techniciens et économistes considèrent comme nécessaire et possible, et ce sur quelques décennies, la substitution des combustibles fossiles par un mix d’énergies renouvelables. Selon les géologues, la limite des combustibles fossiles n’est pas dans leur épuisement à court terme. Ils estiment que l’humanité en a extrait moins de la moitié des réserves accessibles. La vraie limite concerne les conséquences climatiques catastrophiques à venir si l’on brûlait tous les combustibles fossiles disponibles sur notre planète.

« Le problème, c’est que nous avons trop de combustibles fossiles », déclarait récemment Marco Mazzotti, directeur de l’Energy Science Center de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Alors que les climatologues recommandent de laisser ces combustibles là où il sont, notre avidité d’énergie nous pousse à intensifier toujours davantage explorations et extractions. Nous oublions toutefois que les émissions de gaz à effet de serre d’aujourd’hui seront les principales causes d’exode de demain.

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