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10 ans après la crise, que pensent les étudiants des écoles de commerce de la finance ?

Même ceux qui n’envisagent pas de faire carrière dans la finance ne rejettent pas les marchés financiers. Minerva Studio/Shutterstock

De nombreux professeurs d’économie et de finance se sont interrogés sur ce qui avait changé dans l’enseignement de la finance depuis la crise de 2008, dénonçant pour certains l’absence de changement dans les méthodes et approches dans la discipline (parmi ces auteurs ayant publié dans The Conversation, citons : « Pourquoi et comment la finance doit revenir à plus de responsabilité » ? de Christophe Revelli ; « Financement solidaire, une finance alternative », de Daniel Bachet ; « Ces idées résistantes à l’origine de la crise financière de 2008 », de Christian Walter ; « L’enseignement en finance, cause sous-jacente de la crise financière globale ? », de Michel-Henry Bouchet).

D’une façon générale ces contributions regrettent – quand elles ne rendent pas responsables l’enseignement de la finance de la survenance de ces crises – l’absence d’évolutions des enseignements de la finance, et leur manque d’adaptation à la nouvelle donne économique et sociale liée aux suites de la crise de 2008 ainsi qu’à la problématique du changement climatique. Malgré ces interpellations et invitations à revisiter profondément l’enseignement de la finance, il semblerait que rien ne bouge vraiment.

« La responsabilité de l’enseignement en finance dans les crises », interview de Michel-Henry Bouchet pour Xerfi canal (2018).

Mais est-ce que le regard porté par les étudiants des grandes écoles de commerce d’aujourd’hui, c’est-à-dire ceux qui seront demain aux responsabilités dans les entreprises, a changé ?

Pour répondre à cette question nous avons interrogé 329 étudiants de 3e année du programme grande école (PGE) de Grenoble École de Management (GEM). Pour la très grande majorité, ces étudiants n’ont pas connu directement la très grave crise de 2008. Ils en ont entendu parler par leurs parents et leurs professeurs. À noter que seul un quart de ces futurs diplômés envisage de faire carrière dans la finance au sens large (audit, banque, finance en entreprise, etc.). Par ailleurs, à part les enseignements de tronc commun, la grande majorité de ces étudiants n’a pas fait de spécialisation en finance d’entreprise ou de marchés.

Des positions contrastées sur l’éthique

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les étudiants interrogés sont globalement assez nuancés et leur vision de la finance n’est pas monolithique. Preuve que le « moule » des écoles de commerce est loin de formater leurs étudiants. Bien sûr, ceux qui se dirigent vers des carrières dans la finance ont des avis plus favorables vis-à-vis du monde de la finance que ceux qui envisagent d’aller vers les ressources humaines, mais sur certains points, notamment les questions éthiques, ils se retrouvent.

Comme il serait fastidieux de commenter les réponses aux 25 questions posées, nous avons regroupé celles qui font consensus de celles dont les réponses sont partagées, en ne retenant que celles qui étaient les plus significatives.

Les questions faisant consensus

D’une façon générale, la tonalité des répondants est plutôt pro-marché, même si certaines réserves peuvent apparaître. Alors que les marchés financiers sont souvent mis en accusation, 84 % des étudiants ne partagent pas l’affirmation selon laquelle « les marchés financiers n’apportent rien aux entreprises cotées ». Ils estiment également à 76 % que « la finance permet aux entreprises d’obtenir les capitaux pour mettre en œuvre leurs projets » et à 79 % qu’il est « normal que les entreprises versent des dividendes à leurs actionnaires ».

Extrait du questionnaire. Auteurs

Plus intéressant encore, ils sont 81 % à penser que « l’actionnariat devrait être favorisé par les entreprises » et que l’État devrait plutôt encourager l’investissement en actions. Mais en même temps, ils réfutent à 67 % l’idée que « le cours de l’action est le meilleur estimateur de la valeur de l’entreprise ». Curieusement, s’ils sont favorables au versement de dividendes, ils estiment, à presque 60 %, que les « les dividendes empêchent les entreprises d’investir ». Enfin, et contrairement à ce que l’on peut souvent lire dans la presse économique, ils ne sont que 28 % à être d’accord avec l’idée que « l’exigence de résultats trimestriels empêche les entreprises d’avoir des stratégies à long terme ».

Les questions faisant débat

Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, à l’affirmation « les stratégies d’optimisation fiscale des entreprises sont répréhensibles d’un point de vue éthique » ne recueille que 58 % d’avis favorables. À l’heure de l’éthique revendiquée urbi et orbi, on peut s’étonner d’un si faible score pour une question dont on pouvait penser qu’elle recueillerait 80 à 90 % d’avis favorables.

Dans la même veine, ils sont 62 % à approuver l’idée qu’il « n’est pas normal que seuls les actionnaires aient le pouvoir dans l’entreprise ». Certes, cela fait une majorité, mais à l’heure où le pouvoir dans l’entreprise est au cœur des discussions dans le monde politique, syndical et académique, on peut noter que ces futurs diplômés sont loin de vouloir tous renverser la table du pouvoir au sein des entreprises.

27 % des étudiants estiment que les banques ne font pas leur travail car elles ne financent pas assez les PME. Sergey Nivens/Shutterstock

Concernant la proposition « les entreprises adoptent des politiques nuisibles à l’environnement à cause de la pression des marchés financiers », les avis ne sont pas unanimes même si une courte majorité (52 %) se déclare d’accord. Cela témoigne de la préoccupation des étudiants d’écoles de commerce concernant l’environnement. Cette position peut sembler contradictoire avec la reconnaissance de l’utilité des marchés financiers pour les entreprises, mais elle ne l’est pas. Elle témoigne simplement d’une demande de meilleure prise en compte des enjeux environnementaux par les investisseurs.

Une vision pragmatique

Parmi les questions ne faisant pas l’objet d’un consensus se trouvent également celles qui concernent les banques. C’est ainsi qu’à l’affirmation « les banques ne font pas leur travail car elles ne financent pas assez les PME », ils sont 38 % à ne pas être d’accord contre 27 % qui partagent cet avis (34 % étant neutres). De même, à la question « les banques devraient prendre davantage de risques dans les opérations de financement des entreprises », ils sont 30 % à être d’accord et 33 % à ne pas partager cette affirmation (37 % étant neutres). Ces positions contrastées sur le rôle des banques peuvent s’expliquer en partie par la mauvaise image du secteur bancaire suite à la crise de 2008, mais également par une insuffisante connaissance de leur fonctionnement dans leurs opérations de crédit.

Les premiers résultats de ce questionnaire, qui feront l’objet d’analyses plus approfondies par la suite, révèlent de la part des étudiants de grandes écoles de commerce une vision assez pragmatique de la finance. Rappelons ici qu’il s’agit d’étudiants de 3e année, dont la grande majorité a fait une année césure en entreprise et/ou est en apprentissage. Ils ont donc une certaine maturité apprise au contact du monde de l’entreprise. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire, ils n’exhibent pas un rejet de la finance et des marchés financiers, même s’ils n’envisagent pas de faire carrière dans ce secteur. S’ils se montrent critiques envers les pratiques des entreprises vis-à-vis de l’environnement et leurs stratégies d’optimisations fiscales, ils ne rejettent pas pour autant le monde de la finance, même si leurs avis sont parfois nuancés.

Bien entendu, ces résultats ne concernent que les étudiants de Grenoble École de Management et il serait intéressant de les confronter à d’autres écoles.

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