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Allemagne : les adhérents du SPD disent oui à « la voie de la raison »

Olaf Scholz (à droite), le leader par intérim du (SPD), aux côtés du trésorier du parti, Dietmar Nietan, le 4 mars, à Berlin, à l'annonce des résultats. Michael Kappeler/AFP

Les adhérents du SPD, consultés sur la question de savoir s’ils approuvaient ou non le contrat de coalition négocié avec les chrétiens-démocrates, ont dit oui à 66,02 % et ouvert ainsi définitivement la voie à une nouvelle « grande coalition » conduite par Angela Merkel. La participation (78,39 %) a été très légèrement plus élevée qu’en 2013 quand la même question leur avait été posée, le taux de votes favorables étant quant à lui, cette année-là, d’environ dix points supérieurs (75,93 %).

La voie de la raison

C’est pourtant un résultat plus net que pronostiqué, et surtout il est de 10 points supérieur au vote des délégués du congrès extraordinaire du SPD réunis à Bonn le 21 janvier pour dire si oui ou non le SPD devait engager des négociations avec les chrétiens-démocrates.

C’est la preuve que, malgré les doutes qui parcourent le parti, ses membres ont majoritairement opté pour la voie de la raison et pour le pragmatisme contre la voie de l’aventure pour le parti et le pays.

La procédure a été longue mais la direction comme la base du SPD se félicitent des débats que la question controversée de reconduire la grande coalition a provoqués, un bel exemple, pour eux, de démocratie participative qui a le mérite de clarifier la situation politique en Allemagne.

Le SPD présentera ses ministres dans les jours à venir, trois femmes et trois hommes, comme l’a indiqué le président par intérim du SPD, Olaf Scholz, sans laisser fuiter de noms. L’élection de la chancelière devrait intervenir lors de la prochaine séance du Bundestag, le 14 mars.

Soulagement en Europe

Le soulagement à Berlin comme dans les autres capitales européennes est sensible tant il apparaissait nécessaire que l’Allemagne retrouve sa capacité non pas seulement de gérer les affaires courantes mais de faire de la politique et d’être un partenaire à part entière dans les négociations à mener. Sur le mode amusé mais à l’évidence soulagé, la Frankturter Allgemeine Zeitung titrait : « Comme il est bon que le SPD puisse compter sur ses adhérents… »

Il aura fallu près de six mois pour que l’Allemagne retrouve sa capacité d’action. Cette durée interroge. Il n’y a pas si longtemps encore l’Allemagne était présentée en France comme risquant de devenir durablement instable, voir ingouvernable. La durée du processus de décision au sein du SPD interroge également sur sa situation intérieure et sa fiabilité au gouvernement.

Un SPD divisé, vieillissant et masculin

Le résultat du vote confirme que le SPD reste divisé puisque l’opposition à la grande coalition représente un bon tiers des voix, mais il invalide le pronostic du président des Jeunes socialistes, Kevin Kühnert, qui voyait le non l’emporter sans doute de justesse. Il y aurait eu alors deux partis au sein du SPD, difficiles à réconcilier.

Le rapport de forces de deux tiers à un tiers devrait permettre à la minorité de s’incliner plus facilement devant le choix de la majorité tout en continuant de débattre et de s’affirmer au sein du parti. Ce devrait être d’ailleurs une opportunité à saisir pour la direction du parti qui ne peut que s’inquiéter de la composition de ses membres si elle ne veut pas se couper encore plus des jeunes générations et creuser le fossé entre hommes et femmes et entre l’Est et l’Ouest, devenir de plus en plus un parti des services publics et des employés au détriment des autres salariés, en particulier ouvriers.

En effet, en 2017, les jeunes de moins de 30 ans ne représentent que 8 % de ses membres (16 % avec les personnes de 31 à 40 ans), tandis que les 41 ans – 60 ans en représentent 30 % et les personnes âgées de plus 60 ans plus de 50 % ! Les femmes ne sont représentées qu’à 38 % pour 68 % aux hommes ; 40 % des membres du SPD viennent des services publics.

Enfin, la sous-représentation du SPD dans les Länder de l’Est (moins de 5 %), est tout bonnement catastrophique et explique qu’il y soit devancé par les chrétiens-démocrates, la Gauche ou l’AfD bien qu’il participe à des gouvernements mais de coalition à Berlin, dans le Brandebourg, le Mecklenbourg-Poméranie occidentale et la Thuringe. Le SPD apparaît ainsi comme un parti vieillissant, masculin, occidental de fonctionnaires.

Un besoin de rénovation

La révolte des Jeunes socialistes apparaît dans ce contexte comme l’opportunité de revivifier le parti social-démocrate et de lui insuffler des idées nouvelles, en rupture avec les vieilles générations, d’autant plus que leur leader, Kevin Kühnert, sait allier au sens de la révolte celui de la mesure réfléchie – même si la déception lui dicte aujourd’hui un discours plus agressif.

Le SPD a connu un précédent qui pourrait lui servir d’exemple quand, après la révolte étudiante de la fin des années 1960, Willy Brandt a su accueillir et intégrer ceux qui se voyaient, selon la formule du leader étudiant de l’époque, Rudi Dutschke, « entamer leur longue marche à travers les institutions. »

Reste la question de savoir si le SPD saura se rénover tout en gouvernant. Les Jusos répondaient par non à cette question quand la direction leur opposait que ne pas participer à la gestion des affaires de l’État provoquerait encore plus certainement son affaiblissement.

C’est dire que le SPD va devoir travailler à son renouvellement programmatique et personnel dans des conditions d’autant plus difficiles qu’il va affronter au gouvernement un parti chrétien-démocrate autrement mieux préparé que lui depuis qu’Angela Merkel a repris la main et l’a remis en ordre de marche.

Une CDU à l’offensive

Lors de son congrès de Berlin le 26 février 2018, la CDU, en effet, a non seulement formellement approuvé l’accord de gouvernement négocié avec les sociaux-démocrates, elle s’est également donnée à quasiment l’unanimité une nouvelle secrétaire générale en la personne de la ministre-présidente sortante de Sarre, Annegret Kramp-Karrenbauer.

La chancelière Angela Merkel et Annegret Kramp-Karrenbauer au congrès de la CDU à Berlin, le 26 février 2018. Tobias Schwarz/AFP

A. Merkel a ainsi signalé qu’elle refusait une droitisation du parti et entendait continuer de gouverner au centre. Les deux femmes se présentent d’ailleurs à la presse et au public avec une étiquette : CDU = die Mitte, c’est-à-dire le milieu, le centre.

A. Merkel a également présenté les membres chrétiens-démocrates de son futur gouvernement, ses choix ont fait taire le début de fronde qui se profilait sur sa droite en nommant à la santé Jens Spahn qui passe pour être son plus ambitieux adversaire conservateur potentiel.

Elle a encore engagé un rajeunissement du gouvernement et entamé une réflexion pour remplacer d’ici deux ans le programme fondamental du parti vieux de dix ans.

Des frictions à prévoir

Les rapports entre les deux formations de la coalition gouvernementale risquent d’être plus conflictuels que dans le passé parce que le SPD, affaibli, cherchera à s’affirmer contre la CDU-CSU et la chancelière elle-même dans le double souci de faire ressortir ce qui dans la politique gouvernementale est à mettre à son compte et de revendiquer des améliorations à tout ce que n’a pas gravé dans le marbre le contrat de coalition.

Les premières joutes ont d’ailleurs déjà eu lieu, dès avant le vote du SPD. La chancelière, poussée en cela par sa droite conservatrice, a signifié à son futur ministre des Finances, Olaf Scholz, qu’il serait tenu de respecter le cadre fixé par le contrat de coalition et serait tenu en particulier de présenter des budgets en équilibre, sans recours à l’emprunt pour ne pas accroître la dette publique. Mais le contrat de gouvernement prévoit également une enveloppe budgétaire supérieure de 48 milliards d’euros au précédent budget – une somme à vrai dire disponible vu les rentrées fiscales foisonnantes du pays.

Les tensions entre les deux partis gouvernementaux proviendront, enfin, de leurs stratégies pour se maintenir au pouvoir ou pour le conquérir dans le cadre d’autres constellations politiques. Sur ce plan, la CDU/CSU est mieux placée que le SPD qui a un plus gros handicap à refaire et moins de partenaires potentiels.

Mais tous deux, sous réserve du vote des électeurs, savent que cette grande coalition devrait être la dernière. CDU-CSU et SPD sont même convenus de faire un bilan à mi-parcours pour vérifier dans quelle mesure ils auront appliqué leur contrat de gouvernement et sont disposés à continuer leur coopération jusqu’au terme du mandat de quatre ans du Bundestag.

L’Allemagne a un nouveau gouvernement et il va falloir à nouveau compter avec elle en Europe, mais on est en droit de se demander si elle sera encore gouvernable à l’avenir ou bien si l’on verra se répéter dorénavant de longs préliminaires avant d’aboutir à la mise en place d’un gouvernement stable.

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