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Des gens avec des pancartes et des affiches manifestent lors de la grève pour le climat
Une conscience citoyenne autour des enjeux écologiques grandit à travers les générations. Shutterstock

Avec l’écopédagogie, repenser l’éducation au développement durable

L’éducation au développement durable concentre de plus en plus d’attentions et s’est fait une place dans les programmes scolaires. Elle se focalise souvent sur les responsabilités individuelles, en incitant les jeunes à changer d’attitudes et de comportements, à travers notamment les écogestes – le tri des déchets, par exemple à la cantine.

Avec une telle approche, comme l’observent Angela Barthes et Yves Alpe, professeurs en sciences de l’éducation, « la question de la responsabilité des systèmes de production dans les atteintes à l’environnement est peu abordée » alors qu’elle est déterminante si l’on veut changer la situation à grande échelle.


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À la frontière entre la philosophie, les sciences sociales et la didactique, un champ de recherche se développe pour permettre à chacun de mieux se repérer dans tous les enjeux relatifs à l’environnement, notamment les questions de justice sociale. Arrêtons-nous sur l’un de ses courants, l’écopédagogie, qui propose une autre approche aux citoyens et citoyennes.

L’écopédagogie, de l’Amérique latine aux États-Unis

L’écopédagogie est un courant de la recherche en éducation qui est apparu en Amérique latine dans la deuxième moitié des années 1990, d’abord au Costa Rica, avec Cruz Prado et Fernando Gutierrez, puis au Brésil avec Moacir Gadotti de l’Institut Paulo Freire. La Charte de l’écopédagogie, en 1999, met en avant la nécessité de développer une conscience planétaire seule à même de pouvoir prendre en compte les défis écologiques.

L’écopédagogie se situe dans la continuité de l’œuvre du pédagogue brésilien Paulo Freire qu’elle entend compléter en y intégrant la dimension environnementale. Paulo Freire, en particulier dans son ouvrage Pédagogie des opprimés, a avancé l’idée que l’éducation devait favoriser la conscience sociale critique. C’est ce qu’il appelle la conscientisation, tournée vers la prise de conscience des injustices sociales. Cela a donné lieu au développement des pédagogies critiques.

Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques
Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques. Luiz Carlos Cappellano, via Wikimedia

Néanmoins, aussi bien en Amérique latine qu’aux États-Unis se sont constitués des mouvements sociaux qui ont lié les questions environnementales et les questions sociales. L’économiste Joan Martinez Alier a ainsi parlé pour l’Amérique latine d’écologie des pauvres. Aux États-Unis, c’est le mouvement pour la justice environnementale qui a mis en lumière les liens entre inégalités sociales et les nuisances environnementales.

Articuler écologie anthropocentrée et écologie non anthropocentrée

Le chercheur en écopédagogie Greg Misiaszek a développé une philosophie de l’éducation écopédagogique où il établit une distinction conceptuelle entre le monde et la planète.

  • Le monde désigne la sphère anthropocentrée. La question de l’environnement y est abordée à partir des intérêts humains. La pédagogie critique et le mouvement de la justice environnementale se situent à ce niveau. Ils sont tournés vers des préoccupations de justice sociale relativement aux êtres humains.

  • La planète désigne la sphère non anthropocentrée, celle des vivants non humains. Il faut signaler que l’écopédagogie repose sur une écologie biocentrée, ce qui veut dire qu’elle considère la planète Terre comme un grand organisme vivant. Elle s’appuie sur l’hypothèse Gaia.

À cette première distinction conceptuelle est liée une autre, celle entre les opprimés et les dominés.

  • Les opprimés désignent les groupes sociaux humains qui souffrent des inégalités sociales. Les opprimés sont capables d’autoréflexion et d’une prise de conscience qui peut les conduire à devenir des sujets de la transformation sociale.

  • Les dominés désignent les vivants non-humains. Contrairement aux êtres humains, les vivants non-humains ne peuvent pas produire d’injustices, en revanche ils peuvent souffrir des injustices produites par les humains.

L’articulation de ce qu’on appelle l’écologie anthropocentrée et l’écologie non anthropocentrée est l’enjeu de l’écopédagogie. Cette dernière pense la sphère humaine comme une dimension de la sphère planétaire.

Qui souffre et qui profite des atteintes à l’environnement ?

L’écopédagogie propose une réflexion philosophique et pédagogique sur les différents niveaux de justice qui sont enchevêtrés lorsqu’on réfléchit aux questions environnementales.

Une première dimension consiste à affirmer que ce sont les êtres humains dans leur ensemble qui souffrent par exemple du changement climatique. C’est en cela que l’écopédagogie suppose une conscience planétaire. Mais, on peut ajouter que la réflexion doit prendre en compte également les générations humaines futures.

Néanmoins, il est en outre possible de réfléchir au fait que les dégradations environnementales ne touchent pas autant tous les groupes sociaux. C’est ce que les sciences humaines et sociales étudient sous le nom d’inégalités environnementales en relation avec les inégalités sociales. L’économiste Laurent Eloi parle ainsi de social-écologie.

Ces deux dimensions doivent être prises en compte, mais elles abordent néanmoins la question environnementale uniquement au prisme des intérêts humains. C’est pourquoi l’écopédagogie intègre dans sa réflexion la souffrance animale et l’impact sur la planète Terre qui subit également une souffrance en tant qu’organisme vivant.

La seconde perspective de réflexion de l’écopédagogie est de poser la question de qui profite des dégradations environnementales. À un premier niveau, il est possible de dire que ces dégradations sont faites au profit de l’ensemble de l’humanité. On pourrait même parler d’anthropocène pour signifier ici que c’est l’ensemble de l’humanité qui profiterait de ces dégradations au détriment des vivants non-humains.


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Mais, il est également possible de resserrer encore la focale pour s’intéresser, à ce que par exemple le géographe Andréas Malm, appelle le capitalocène, c’est-à-dire à l’impact qu’ont plus spécifiquement le mode de vie des classes sociales supérieures et le fonctionnement du système capitaliste.

L’écopédagogie s’intéresse à la manière dont il est possible de développer la conscience citoyenne des différents niveaux de justice sociale et écologique. Cette approche à plusieurs enjeux. Elle vise par exemple à ne pas prendre en compte que la perspective relevant des modes de consommation individuels pour se pencher aussi à des éléments structurels socio-économiques, mettant notamment en lumière l’impact des dégradations environnementales sur les groupes les plus socialement minorisés.

Au lieu de partir d’injonctions ou de modes d’emploi, l’écopédagogie remet le citoyen au centre de la réflexion en lui donnant les moyens de comprendre les tenants et les aboutissants des controverses en écologie. Elle permet à chacun et chacune de se repérer dans les différentes thèses concernant les êtres impactés par les dégradations environnementales et les groupes humains qui ont le plus d’impact. L’objectif est d’ouvrir des discussions sur le caractère contradictoire de ses différentes thèses ou leur possible articulation.

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