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Contrer la Contre-révolution anti-associative, un objectif de politique internationale

Un bateau de l'association Greenpeace India, ONG dans le viseur des autorités. Salvatore Barbera/Flickr, CC BY-SA

Aussi bien lors de sa campagne électorale qu’à l’occasion de la constitution de son premier gouvernement ou du choix des candidats pour les élections législatives, le nouveau président de la République et son mouvement La République En marche se réfèrent avec insistance à la « société civile ». Si la reconnaissance de la place de celle-ci n’est pas sans précédent, pour la première fois le pouvoir politique affiche avec netteté son intention d’aller au-delà des simples effets d’annonce et de sortir du schéma classique de l’instrumentalisation. Celle-ci passait, jusqu’ici, par l’intronisation (sans lendemain) de quelques personnalités emblématiques à des postes ministériels ou de responsabilités. Cette légitimation et cette valorisation de la société civile – même si ce que ce terme recouvre suscite d’infinies controverses – au niveau individuel mais aussi collectif apparaissent, dès lors, comme un des éléments-clés du corpus doctrinal du nouveau quinquennat.

Certes la confirmation que le processus ne se limitera pas au seul recrutement de cadres politiques destinés à remplacer les prédécesseurs issus des partis (et objets d’un rejet massif de l’électorat) passera aussi par la mise en œuvre de stratégies de type collaboratif promouvant les initiatives citoyennes. Si c’est le cas, cela constituera une innovation incontestable et majeure dans la recomposition et les équilibres nouveaux au sein de l’exécutif, chez les élus et dans la société française plus largement. Elle offrira ainsi l’opportunité encore de contribuer à l’émergence d’une société civile au niveau de l’Union européenne. Laquelle bien que reconnue au niveau des textes – dans le Traité de Lisbonne par exemple – demeure à un stade embryonnaire.

Cependant, cette valorisation ne ferait pas sens si elle ne demeurait centrée que sur l’espace national ou européen. Car elle interviendrait à un moment où se répand ailleurs – à une vitesse exponentielle et dans un nombre croissant d’États – ce que l’on peut qualifier de « Contre-révolution anti-associative ».

Haro sur les « agents étrangers »

Longtemps souterraine, elle se manifeste ouvertement désormais par une gamme constamment enrichie de mesures coercitives, à l’encontre particulièrement des Organisations non gouvernementales (ONG). Au bénéfice de leurs buts politiques et stratégiques, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, certains États ne se font ainsi pas faute d’instrumentaliser les reproches ou les critiques qu’il n’est jamais interdit de formuler à l’encontre des actions associatives.

Manifestation contre Poutine, le 12 juin 2017 à Moscou. Mladen Antonov/AFP

De la Russie à l’Égypte, en passant par l’Éthiopie, le Nord-Soudan ou l’Iran, mais aussi le Bangladesh, le Venezuela ou la Bolivie, les cas se multiplient. L’étouffement par des mesures fiscales spécialement calibrées ou l’imposition de conditionnalités pour l’accès aux financements étrangers (allant jusqu’à l’interdiction) deviennent la norme et visent à paralyser les capacités d’action des ONG, voire à les éliminer.

Or, nombreux sont les pays où n’existent pas de véritable alternative à un soutien financier extérieur. Car soit les capacités locales de financements privées y sont faibles, soit soutenir par des dons des ONG représente – au regard de leurs programmes – un risque social et politique pour les citoyens. Surtout lorsqu’elles sont taxées d’être des « agents étrangers ». Cette pseudo-notion connaît une vogue croissante et est utilisée en vue de décrédibiliser leurs actions, en les accusant – par exemple – de porter atteinte à la souveraineté nationale ou de se faire le relais de critiques des politiques menées par les pouvoirs en place ou, encore, d’être de faux-nez de puissances étrangères.

Des ONG condamnées à la disparition

Ainsi en Russie, cette imputation est systématiquement mise en avant depuis une loi votée par la Douma en 2012. Ultérieurement, la législation n’y a fait que se durcir, conduisant au retrait de la plupart des ONG internationales encore présentes sur place et à des fermetures massives d’organisations russes. Par exemple, outre des associations environnementales, Memorial – connue aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur pour son action de documentation sur les crimes et exactions de la période stalinienne – est de longue date dans le collimateur des autorités.

De son côté – et dès 2009 –, l’Éthiopie avait adopté une loi sur la gouvernance des associations, restreignant leur périmètre d’activité et limitant les financements en provenance de l’étranger à 10 % de leur budget. En Égypte, un texte promulgué fin mai 2017 encadre de façon tellement restrictive l’activité associative qu’il condamne quasiment à la disparition les associations locales de défense des droits humains, met sous contrôle d’une instance administrative composée des organes de sécurité (armée, renseignements, police) les ONG étrangères et entrave même la simple action caritative. De lourdes sanctions pénales sont prévues. En Hongrie, le gouvernement Orban vient de faire voter des dispositions obligeant les ONG (sur le canevas russe) à déclarer toutes leurs ressources étrangères et à publier le nom de leurs donateurs.

Maina Kiai, le rapport spécial de l’ONU pour la liberté d’association. Maina Kiai/Flickr, CC BY

On le constate aisément, c’est l’ensemble du milieu associatif (même si le secteur des défenseurs des droits est prioritairement ciblé) – et d’abord les organisations nationales – qui est dans le viseur. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, le Kenyan Maina Kiai, en poste depuis 2011, a dressé dans son dernier rapport présenté au printemps dernier (à la veille de la fin de son mandat) un constat sévère de ce point de vue. Il observe que dans de nombreux pays la société civile est en recul et les ONG sur la défensive.

En Israël et en Inde, aussi

Toutefois, il serait erroné de penser que ce type de mesures est seulement l’apanage d’états autoritaires, dictatoriaux ou de type illibéral (telle la Hongrie). Cette vague touche aussi des pays démocratiques. Ainsi en Israël une loi adoptée en juillet 2016 oblige les organisations recevant plus de la moitié de leurs fonds de l’étranger à le déclarer dans toutes leurs publications. Le qualificatif d’« agent de l’étranger » – inspiré là encore du modèle russe – n’est évidemment pas non plus innocent dans le contexte conflictuel proche-oriental.

En Inde, le gouvernement Modi a multiplié les mesures administratives pour contraindre Greenpeace India pourtant seulement composée de ressortissants indiens et financé uniquement par eux, à fermer. Parce que cette branche de l’ONG transnationale avait critiqué le choix du charbon comme source d’énergie principale pour le développement accéléré de l’économie nationale que le gouvernement veut promouvoir. Le simple fait de souligner les risques environnementaux et de pollution en découlant a été considéré comme une atteinte à la sécurité nationale… Par ailleurs, les activités de centaines d’associations défendant les droits des communautés rurales ou des peuples indigènes ont été gelées.

La volonté de « bâillonner » les ONG s’étend dorénavant au-delà des seuls gouvernements. Ainsi, le géant canadien de l’exploitation forestière, Produits Forestiers Résolu réclame à Greenpeace International des centaines de millions d’euros de dommages et intérêts, accusant cette dernière de nuire à ses activités commerciales, de « complot » voire de « racket ». D’autres ONG sont pareillement l’objet de procédures devant des tribunaux un peu partout.

Un défi pour la diplomatie française

Depuis trois décennies, l’associatif a connu une spectaculaire phase de développement sur toute la surface du globe et n’a cessé de conquérir de nouveaux champs. Cette réaction répressive qui le menace maintenant s’analyse comme une véritable contre-révolution, dotée d’un substrat idéologique fort et visant à l’élimination de la liberté d’association. Ou – au minimum – à sa mise sous tutelle.

Pour la contrer et éviter une disruption aux conséquences redoutables, les organisations de la société civile, naturellement, s’efforcent de se concerter, de réagir et de se mobiliser. Néanmoins cette problématique interpelle aussi les États où le droit d’association est respecté, au niveau de leurs relations internationales. Elle gagnerait donc à ne pas être négligée dans la politique étrangère de la France dont le Président Macron et son gouvernement sont en train de dessiner les contours. Au contraire.

Le Président Macron, avec Ban Ki-moon et Laurent Fabius à Paris, le 24 juin, lors de la signature du Pacte mondial pour l’environnement. Étienne Laurent/AFP

Il y a dix ans exactement – en 2007 –, le Ministère des Affaires étrangères publiait un Guide de la liberté associative dans le monde. S’il devait reparaître aujourd’hui, la vision qui en ressortirait serait probablement bien moins positive que celle donnée à l’époque. Afin d’apporter sa contribution à l’inversion de cette tendance négative, au plan bilatéral comme multilatéral ou – à tout le moins – à la limitation de ses effets pourquoi la diplomatie française – en articulation avec les représentants du milieu associatif – n’en ferait-elle pas un objectif de l’action extérieure de la France pour les années à venir ?

Certes la réglementation associative relève des droits nationaux, mais les États adeptes de cette contre-révolution ont aussi souscrit à des traités internationaux comportant des engagements de respect de la liberté d’association. Pareillement puisqu’une vague massive de députés « marcheurs » – issus de manière affirmée pour une large partie d’entre eux de la société civile – prend possession des travées de l’Assemblée nationale, il serait souhaitable que cette question ne soit pas absente de leurs futurs travaux et fasse l’objet d’un suivi dans la durée. Par exemple, au sein de la prochaine Commission des affaires étrangères ou des groupes dits « d’amitié » dédiés à divers pays.

Dans le cadre d’un parlementarisme rénové et redéployé, il y aurait là une belle cause à appréhender.

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