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En 2015, la Présidente du FN (désormais RN) avait été jugée (puis relaxée) pour incitation à la haine raciale pour avoir comparé les prières de rue de musulmans en France à l'occupation nazie. L'usage d'images fortes dans son discours politique lui avait déjà porté préjudice. Jean-Philippe Ksiazek/AFP

« #Daesh c’est ÇA ! » ou comprendre l’exploitation politique des images violentes

« Hallucinant ». C’est ainsi que Marine Le Pen (Rassemblement national, RN) qualifiait sa convocation à une expertise psychiatrique le 20 septembre dernier sur Twitter. Cette convocation s’inscrit dans le cadre d’une mise en examen de la cheffe du parti, encore Front national (FN) alors, pour « diffusion d’images violentes » sur les réseaux sociaux il y a trois ans. Ce nouvel épisode relance la polémique de la diffusion de tweets reprenant des photos de propagande djihadiste. Retour sur ces faits et leur singulière portée politique.

Nous sommes le 16 décembre 2015 : un mois à peine après les attentats de Paris et au lendemain des élections régionales. Marine Le Pen s’oppose à Jean‑Jacques Bourdin qui vient de recevoir, dans son émission Bourdin direct, un universitaire spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain : Gilles Kepel. Le spécialiste est interrogé sur l’analyse qu’il fait du « repli identitaire » – caractéristique jugée commune à certains électeurs du FN et aux djihadistes français.

La Présidente du parti accuse le journaliste d’avoir soi-disant comparé le FN à Daesh. Elle publie trois tweets multimodaux – alliant texte et image – qui s’adressent publiquement au compte @JJBourdin_RMC. Ces publications introduites par la formule « #Daesh c’est ÇA ! » représentent des photos d’assassinats de prisonniers de l’organisation islamiste. La première photo montre le cadavre d’un homme décapité. Les deux autres sont des photos d’exécution, où un homme est brûlé vif et un autre est écrasé par un tank.

Les réactions de la twittosphère ne se font pas attendre. Les militants d’extrême droite et les personnes s’opposant aux valeurs du parti se livrent à une véritable bataille d’images.

Deux communautés virtuelles s’affrontent

La violence émanant des tweets publiés par Marine Le Pen suscite une spirale de réactions des internautes. Parmi ces réactions, 432 publications originales contenant une ou plusieurs image(s) sont analysées (sur la période du 16 au 23 décembre 2015).

Deux communautés virtuelles distinctes s’affrontent grâce à l’image : les partisans du FN et les anti-FN. Deux « procès » se déroulent dans le cyberespace : d’une part, la polémique porte sur la légitimité de la comparaison du FN à Daesh, et d’autre part, les twittos s’affrontent sur la question du droit (ou non) de publier des images violentes sur les réseaux sociaux.

Les interactions sont qualifiées de « polémiques » dans le sens où celles-ci sont dominées par un désaccord fondamental, radical et durable. Il ne s’agit pas juste d’un échange violent entre internautes mais d’une véritable opposition de points de vue radicalement différents.

La violence par la violence

Pour soutenir Marine Le Pen, les pro-FN se servent, entre autres, d’images violentes extraites de leur contexte historique de départ. La valeur mémorielle de ces images permet de légitimer les publications de la Présidente du parti. La reprise d’images d’archives du 11 septembre 2001 est un des moyens choisis pour dénoncer l’amalgame de la comparaison FN/Daesh.

Les opposants aux valeurs du FN exploitent également des références à des événements particulièrement violents de notre Histoire. L’insertion d’images d’archives constitue généralement un argument par la preuve puisqu’elles attestent une réalité passée.

Dans la rhétorique anti-FN, les images convoquées assimilent très souvent les valeurs du FN à celles du régime nazi hitlérien.

Accusés d’indécence

Sur la question de l’indécence de la publication d’images à caractère violent, on assiste à des attaques et contre-attaques ad hominem.

Les anti-FN n’hésitent pas à présenter Marine Le Pen comme une « alliée de Daesh » qui aurait « pris en charge » la « propagande » de cette organisation islamiste. En contre-accusation d’indécence, une des stratégies utilisées par les militants du parti est de rejeter la faute sur autrui.

La reprise de représentations de victimes des attentats du Bataclan ou encore de la photographie d’Aylan Kurdi servent non seulement à légitimer le geste de Marine Le Pen mais aussi à critiquer certains médias (comme France 2 ou Libération) ou certains opposants politiques (comme Bernard Cazeneuve ou Manuel Valls).

Twitter prédisposé à une spectacularisation de la violence

Réponse à la violence par la violence, exhibition d’images issues d’un contexte de haine, accusations, dénonciations, etc.. La spectacularisation de la violence par l’image ne laisse que peu de place à la prise de recul. Et les particularités technodiscursives de la plate-forme Twitter participent de l’accentuation de ces réactions sur le vif. Twitter offre en effet les conditions les plus favorables au déploiement d’un spectacle médiatique de la violence.

Interroger spécifiquement les liens hypertextes parcourant les discours permet d’analyser la complexité des pratiques discursives réalisées sur le web. Parmi les différentes formes d’hypertextualité exploitées par les réseaux sociaux figurent les technomots – des mots cliquables – les plus utilisés étant l’adresse (mention du nom du compte d’un twitto) et le hashtag.

La prise à témoins grâce à l’adresse publique (ajout d’un signe non invasif – souvent le point – devant l’arobase) permet de rendre visible l’interpellation d’une personne dans la timeline de chacun de ses propres followers. Marine Le Pen a su exploiter cette stratégie de visibilité dans la formule introductive de ses trois tweets : « .@JJBourdin_RMC ».

Ce double niveau d’interactivité permet de rendre témoin deux communautés distinctes : l’ensemble des abonnés de Jean‑Jacques Bourdin et ceux de Marine Le Pen. Les accusations, dénonciations et autres attaques directes sont majoritairement accentuées par l’insertion d’adresses ou d’adresses publiques.

Les procédés rhétoriques de création de hashtags sont quant à eux caractérisés par l’affrontement. Les anti-FN contre-attaquent en imitant la formule de leurs opposants (« #Daesh c’est ça » vs « Le #FN c’est ça »). Le hashtag « #SoutienMLP » correspond à un acte de langage. Et le hashtag axiologique « #FNhorsjeu » vise à dévaloriser l’ennemi.

Un risque calculé

La stratégie hyperviolente de Marine Le Pen arrive à peine à la sortie d’une campagne électorale qui a vu augmenter le pourcentage de votes en faveur du FN – le contexte post-attentats, ayant favorisé la montée de ce score. Et la figure de la haine représentée par Daesh lui a permis de se positionner en tant que victime et non en tant que bourreau.

Le potentiel viral d’une publication à caractère violent a certainement dû être pris en compte par les conseillers en communication de Marine Le Pen.

Et le risque d’accusation pour le délit de « diffusion d’images violentes » a pu correspondre à un risque calculé, puisque les publications de la personnalité politique restent ancrées dans les mémoires.

Le pouvoir de l’image est de toucher les sentiments les plus profonds du public. Sans que cela soit verbalisé, une image hyperviolente peut s’ancrer de manière durable dans les esprits.

Peu importe le parti-pris, les images violentes qui ont circulé sur Twitter ont fait parler du FN. La violence des tweets met le public au cœur d’un spectacle de la violence et développe un climat de peur, de rejet de l’autre et d’incitation à la haine.


L’auteure a présenté un article en cours d’évaluation dans le cadre du colloque Violences et radicalités militantes en France événement dont The Conversation est partenaire.

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