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Peter Magyar sur scène lors de son gigantesque meeting à Budapest le 8 juin 2024, veille des élections européennes, où son nouveau parti s’imposera comme la première force d’opposition au Fidesz. Ferenc Isza/AFP

Élections européennes en Hongrie : le début de la fin pour Viktor Orban ?

Les élections européennes du 9 juin ont apporté un profond bouleversement du paysage politique en Hongrie. Le poids politique des 21 députés hongrois au Parlement européen est limité ; mais ce scrutin a revêtu un enjeu majeur de politique intérieure, comme en témoigne le record de participation : 59,46 %, soit 15,88 % de plus qu’en 2019.

Les résultats indiquent un recul du Fidesz-KDNP au pouvoir, qui a obtenu 44,8 % des voix et 11 mandats contre 52,5 % et 13 en 2019. Mais c’est au niveau de l’opposition traditionnelle que le véritable séisme a eu lieu.

L’alliance de gauche Coalition démocratique (DK) – PS (MSZP) – Dialogue (Parbeszed) a essuyé une nette défaite, n’obtenant que 8 % des voix et 2 sièges, contre 16 % et 4 pour DK et 6,1 % et 1 pour MSZP-Parbeszed en 2019. Pis encore, le parti libéral Momentum (2 sièges en 2019) et le Jobbik, parti national-conservateur populiste (1 siège en 2019) se sont effondrés et n’ont obtenu aucun mandat. En revanche, le parti d’extrême droite Notre patrie (Mi Hazank), créé en 2018 et qui ne siège pas au Parlement européen (3,2 % en 2019), a obtenu 1 mandat avec 6,7 % des suffrages.

La grande surprise de cette élection est la percée historique de Péter Magyar et de son parti récemment créé TISZA (Parti du Respect et de la Liberté), largement plébiscité avec 29,67 % des voix et 7 mandats obtenus. La scène politique hongroise est bouleversée.

L’apparition du « cygne noir »

La trajectoire de Péter Magyar est fulgurante. Après avoir fait irruption dans l’arène politique en février dernier, dans un contexte de crise politique majeure, il a présenté son parti TISZA en mars ; trois mois plus tard, le voilà considéré comme une alternative crédible au pouvoir hégémonique du Fidesz.

Ce nouveau venu sur l’échiquier suscite un enthousiasme sans précédent des électeurs de l’opposition : sa campagne improbable et mouvante a dynamisé la politique hongroise. Au bon moment, Magyar a su saisir l’occasion pour sortir les électeurs de leur apathie liée à la défaite cinglante de l’opposition aux législatives de 2022. Le politologue Gábor Török emploie la métaphore du « cygne noir » pour désigner le phénomène Magyar afin d’exprimer le caractère inattendu de son apparition et son potentiel d’influence.

Dissident du Fidesz, Magyar dénonce le régime en place et la concentration des richesses chez quelques proches du pouvoir. Son objectif est de mettre fin à ce qu’il qualifie de « société par actions familiale » en Hongrie. La lutte contre la corruption et l’adhésion du pays au Parquet européen figurent parmi ses promesses phares. Magyar se positionne comme le principal challenger de Viktor Orban et vise les élections législatives de 2026, martelant son message : « Pas à pas, brique après brique, nous reprendrons notre pays. »

Sa stratégie politique – qui rappelle celle d’Emmanuel Macron en 2017 – est de rassembler largement, de la gauche à la droite, pour constituer une force politique centrale. Il tient à distance les partis d’opposition traditionnels, trop fragmentés et incapables de constituer une force politique sérieuse au niveau national. Son slogan « Ni Orban, ni Gyurcsany », vise également l’opposition en la personne de l’ex-premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany (2004-2009), président du parti DK (Coalition démocratique), considéré comme un obstacle au renversement du régime politique actuel car cristallisant un fort rejet d’une partie de l’opposition.

Un pro-européen de droite auteur d’une campagne très réussie

Se définissant comme progressiste, Magyar tient toutefois un discours de droite conservatrice, mettant l’accent sur les valeurs chrétiennes et l’identité nationale. Bien que formulant parfois des prises de position proches de celles du Fidesz sur certains sujets comme la politique migratoire de l’UE ou les sanctions contre la Hongrie, il veille à ne pas heurter l’électorat de gauche.

À titre d’exemple, s’il exprime son désaccord avec la livraison d’armes à l’Ukraine, se positionnant ainsi sur la même ligne qu’Orban, il souligne que la Russie est l’agresseur et soutient les sanctions à son encontre. Durant sa campagne, il n’a cessé de répéter son objectif de « construire un nouveau pays paisible, démocratique et européen où il fait bon vivre ». Magyar a exprimé son désir de voir TISZA rejoindre au Parlement européen le groupe PPE, celui de la droite modérée. Manfred Weber, le président du PPE, s’est déclaré ouvert à l’idée d’accueillir cette nouvelle force politique ; le 14 juin, il s’est rendu à Budapest pour négocier avec Magyar. Rappelons que le Fidesz ne siège dans aucun groupe au Parlement européen depuis son départ fracassant du PPE en 2021.

Magyar construit une présence médiatique constante, dominant les thématiques et l’agenda politique par ses publications et ses annonces distillées au compte-gouttes. Sa stratégie emprunte des ingrédients qui ont fait le succès du Fidesz. Ses messages, comme ceux du gouvernement, sont structurés avec des oppositions binaires tranchées : « Décrochage ou développement. Conseil turc ou UE. Creuser des tranchées ou s’unir. Est ou Ouest ? Incitation à la guerre ou paix. » Et comme le parti au pouvoir, il martèle les formules percutantes : il qualifie ainsi le parti de gauche DK de « Fidesz bleu » afin de souligner à quel point, pour lui, les deux formations sont les deux faces de la même médaille.

Sa capacité à mobiliser des sympathisants démontre qu’il représente désormais une force que les partis d’opposition, très fragmentés, sont incapables d’égaler. Magyar a organisé plusieurs manifestations d’envergure à Budapest et a même réussi à rassembler une foule importante à Debrecen, fief historique du Fidesz.

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Durant deux mois, il a sillonné le pays, faisant de chaque étape un événement de campagne retransmis en direct sur Facebook. Il a prononcé 200 discours dans 192 communes et a clôturé ce marathon par un grand meeting sur la place des Héros à Budapest le 8 juin, à la veille du scrutin. Pour couronner sa campagne de manière hautement symbolique, il a planté « l’arbre du pays », utilisant de la terre rapportée de chaque commune visitée lors de sa tournée nationale. Ce geste matérialisait ainsi l’unité du pays qu’il appelle de ses vœux.

Magyar s’est réapproprié les symboles nationaux constructeurs d’identité collective, considérés jusqu’alors comme le monopole du parti au pouvoir. Le drapeau national, notamment, a été omniprésent lors de ses événements de campagne et le symbolisme des couleurs nationales – rouge, blanc et vert – imprègne sa communication. Il a également puisé dans le folklore, la poésie hongroise et les références historiques.

Peter Magyar avec des sympathisants, photo postée sur le compte Facebook personnel de Magyar le 16 juin.

L’acronyme de son parti est l’homonyme du fleuve hongrois « Tisza », largement exploité à travers des métaphores révolutionnaires. Le slogan « la Tisza déborde ! » en est un exemple frappant. L’image de l’eau, symbole de renouveau, omniprésente durant ses événements de campagne, a atteint son apogée au meeting du 8 juin. Débutant sur l’extrait d’un concert de Queen à Budapest en 1987, ce rassemblement phare a puisé une charge émotionnelle puissante dans l’interprétation par Freddie Mercury de la chanson folklorique hongroise « Le vent printanier fait déborder les eaux. »

La campagne angoissante du Fidesz

Contrairement à la vision enthousiasmante et optimiste proposée par Magyar, celle du Fidesz aura été sombre, voire effrayante. Tout au long de la campagne, Orban a dressé un parallèle entre, d’une part, le conflit ukrainien et, d’autre part, la guerre idéologique qu’il mènerait contre l’UE, pour la souveraineté, au nom de la paix. L’enjeu des élections a été présenté par Orban comme l’affrontement opposant les forces « progressistes », lesquelles seraient « pour la guerre », aux « souverainistes », désignés comme « forces pour la paix ». Et son slogan « Nous devons conquérir Bruxelles » appelle tout simplement à une prise de contrôle de l’UE, présentée comme un bastion hostile.

Dans cette dichotomie de « guerre » et « paix », les figures de l’opposition hongroise apparaissaient comme « des serviteurs dociles de Bruxelles » et « vendus aux capitaux étrangers ». Le récit construit condense les thèmes récurrents du gouvernement depuis 2015 dans les mots-clés « migration », « guerre » et « gender » (volontairement employé en anglais), et cible également le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros, désigné comme l’incarnation d’une influence étrangère.

Affiche électorale du Fidesz sur un abribus à Budapest, portant l’inscription « Stop à la guerre » sur les visages de Peter Magyar, de George Soros, de Ferenc Gyurcsány et du maire de Budapest Gergely Karácsony (les Verts). csikiphoto/Shutterstock

Les sondages étant devenus plus alarmants pour le Fidesz, Orban a intensifié sa campagne durant la dernière semaine pour mobiliser son électorat. Le 1er juin, lors de la « Marche pour la paix », il a dépeint une vision apocalyptique définissant l’enjeu du vote du 9 juin comme une question de vie et de mort :

« Je le dis lentement pour que Bruxelles comprenne aussi : nous n’entrerons pas en guerre. Nous ne sacrifierons pas les jeunes Hongrois pour que les spéculateurs de guerre s’enrichissent. Nous disons non au plan de guerre conçu pour l’argent, les richesses à acquérir en Ukraine et les intérêts des grandes puissances. »

Avec ce discours alarmiste et anxiogène, le premier ministre a cherché à réactiver sa stratégie de la peur, celle-là même qui avait permis sa victoire écrasante aux élections législatives de 2022, dans le sillage de l’éclatement de la guerre en Ukraine.

Cap sur les législatives de 2026

Bien que favorables au Fidesz, les résultats des européennes doivent être replacés dans leur contexte. Malgré le déploiement de moyens de campagne colossaux, le score du parti au pouvoir est historiquement bas. C’est ce que Péter Magyar a souligné lors de la soirée électorale.

Le leader du parti TISZA a annoncé vouloir poursuivre son travail dès le 10 juin, avec un regard déjà tourné vers les élections législatives de 2026. Cette offensive contre le Fidesz avait débuté avec le lancement du « programme immunité » – une stratégie visant à siphonner l’électorat d’Orban, en promettant « l’immunité » pour toute révélation de corruption.

La dynamique de participation montre que ces élections ont insufflé un vent de renouveau et ravivé l’intérêt des citoyens hongrois pour la chose publique. Il reste maintenant à observer comment ces changements se répercuteront sur la scène politique dans les mois à venir.

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