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Fonds pour l’Amazonie : le retour d’une initiative enterrée il y a 10 ans

deux hommes se serrent la main
Le président du Venezuela Nicolas Maduro serre la main de son homologue colombien Gustavo Petro lors d'un événement latino-américain en marge de la conférence sur le climat COP27 à Sharm el-Sheikh, le 8 novembre 2022. AFP

Le 23 janvier 2023, la nouvelle ministre brésilienne de l’Écologie Marina Da Silva a déclaré que la situation environnementale de son pays était « bien pire » que ce qu’elle imaginait et assuré que la lutte contre la déforestation serait en tête de ses priorités après quatre années dévastatrices pour l’Amazonie sous Jair Bolsonaro.

La première forêt tropicale est un symbole écologique mondial depuis des décennies, tant pour son exceptionnelle biodiversité et sa contribution à la régulation du climat sud-américain, que pour son rôle dans l’atténuation du changement climatique. Cette contribution à l’atténuation est d’ailleurs conditionnée à ce que l’Amazonie ne devienne pas, risque identifié par les scientifiques, une savane, zone émettrice nette de carbone.

Et l’enjeu de sa préservation est de longue date considéré comme mondial – ce qui avait donné lieu en 2019 à un moment de tension diplomatique entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro. Alors que le président français défendait la prise en compte de l’Amazonie comme bien commun international, celui qui était encore à la tête du Brésil lui opposait le principe de souveraineté.

Dans le cadre de la préparation de la conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le président colombien Gustavo Petro a proposé d’aller plus loin, en créant un fonds multilatéral pour financer la protection de l’Amazonie. Il se fixe l’objectif de réunir 400 millions de dollars par an pendant 20 ans, la Colombie y contribuant pour moitié.


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Ne pas opposer souveraineté et bien commun

L’intérêt de cette formulation est qu’elle tente de dépasser cette opposition rigide entre bien commun et souveraineté. Les partisans de la notion de biens communs peuvent avoir pour eux tous les arguments légitimes sur la nécessité de la protection écologique de tel ou tel espace, le respect du principe de souveraineté reste la pierre angulaire du système international, et la gauche sud-américaine, marquée par les ingérences étatsuniennes, y est également attachée.

Dans le compromis proposé par Gustavo Petro, les modalités de protection des biens communs, ici l’Amazonie, doivent être principalement déterminées par les pays qui, souvent au Sud, les comptent sur leur territoire. C’est ce que nous pouvons appeler le multilatéralisme souverain.

Le Venezuela et le Brésil, désormais présidé par Lula Ignacio da Silva, se sont ralliés à l’initiative. Lula et Petro ont ainsi déclaré vouloir élaborer « un grand pacte pour sauver la forêt amazonienne au bénéfice de toute l’humanité ». Un sommet des pays amazoniens vient d’être annoncé à Davos pour mai 2023 afin de structurer la proposition diplomatique en cours de formation.

forêt au bord du fleuve Amazonie
Paysage d’Amazonie à l’ouest de Manaus, au Brésil. LecomteB/Wikimedia, CC BY-NC-SA

« Yasuní-ITT », le précédent équatorien

Mais le président colombien n’est pas le premier à formuler une proposition en ce sens, ce que nous tenons à rappeler ici. L’idée d’un fonds abondé tous les ans pendant vingt ans est sans aucun doute inspirée de la proposition équatorienne avortée il y a dix ans, l’initiative Yasuní ITT. Les similitudes sont en effet nombreuses.

Issue des rangs de la gauche sud-américaine, sous le gouvernement de Rafael Correa, cette dernière suggérait aussi un fonds multilatéral pour compenser l’absence d’exploitation du pétrole sur une partie des zones d’exploitation du parc naturel et territoire indigène Yasuní. L’Équateur voulait également abonder le fonds pour moitié, car l’initiative était fondée sur la valorisation de la non-exploitation de pétrole : il s’agissait alors d’abonder pendant 13 ans un fonds à raison d’environ 540 millions de dollars par an. Cette valorisation de l’absence d’exploitation pétrolière était présentée par la diplomatie équatorienne comme nécessaire, afin de protéger l’Amazonie.

Le même esprit se retrouve dans le discours de Gustavo Petro à la COP égyptienne :

« Il est temps de dévaloriser l’économie des hydrocarbures en s’appuyant sur des dates définies pour sa fin, et valoriser les branches de l’économie décarbonée. La solution est un monde sans pétrole et sans charbon ».

Des stratégies internationales différentes

Dans un cas comme l’autre, ces diplomaties mettent en avant la responsabilité des structures économiques capitalistes dans le désastre écologique actuel : « la décarbonation est un changement réel et profond du système économique qui domine. C’est l’heure de l’humanité, et non des marchés ».

La différence substantielle se trouve dans la stratégie mise en place au niveau international. L’Équateur avait fait le choix osé de s’adresser d’emblée au monde entier en demandant que les pays du Nord et leurs entreprises transnationales soient les premiers à contribuer à la non-exploitation du pétrole en Amazonie. La stratégie de la Colombie semble être une fusée à deux étages : d’abord constituer une alliance multilatérale entre pays amazoniens, ensuite renforcer cette demande internationale.

Notons que la Colombie a d’ores et déjà acquis une forme de leadership régional à ce sujet, comme le suggère l’obtention par ce pays de 73,5 millions de dollars versés par la Banque internationale de développement pour la protection de l’Amazonie et la transition énergétique.

Paysage de forêt en feu
Incendie près de Porto Velho, dans le Nord-Est brésilien. Carl De Souza/AFP

L’importance géopolitique de la proposition

Dans le cadre d’une diplomatie multilatérale sur le climat et la biodiversité assez atone, compte tenu de l’immensité des enjeux posés par le changement climatique et la sixième extinction de masse des espèces, le mouvement opéré par la Colombie sur la scène internationale est à suivre de près.

Au niveau régional, l’Amérique du Sud peut présenter comme fer de lance d’une conception de la justice climatique que contenait déjà l’initiative équatorienne échouée en 2013. La France, qui compte parmi les territoires amazoniens, à partir de la Guyane française, aurait tout intérêt à participer de ce renouveau sud-américain de la diplomatie climatique.

En ce début d’année, la Norvège, qui avait suspendu le versement de 500 millions d’euros au Brésil sous le mandat de Jair Bolsonaro, l’a rétabli, dans le cadre du fonds Amazonie brésilien. Le renforcement de la gauche sud-américaine donne l’occasion d’ouvrir une nouvelle page de la géopolitique du climat.

Avec la proposition colombienne de fonds multilatéral pour l’Amazonie renaît un principe offrant un contenu effectif à l’idée de justice climatique. Une telle démarche diplomatique est de nature à crédibiliser encore davantage les propositions émises en la matière depuis cette partie du globe. Souhaitons qu’elles soient entendues, discutées et prises au sérieux.

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