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Football : au Qatar, coup d’envoi de la Coupe d’Asie des tensions

Une femme prend des photos devant une bannière affichant les mascottes officielles de la Coupe d'Asie à Doha.
Une femme prend des photos devant une bannière affichant les mascottes officielles de la Coupe d'Asie à Doha. Jewel Samad/AFP

À peine plus d’un an après avoir accueilli la Coupe du Monde, le Qatar s’apprête à accueillir à nouveau l’une des plus grandes compétitions de football, la Coupe d’Asie des nations. Le petit pays du Golfe lancera la compétition face au Liban, le 12 janvier, au stade Lusail, près de Doha, où Lionel Messi avait mené l’Argentine à la victoire en décembre 2022.

Le Qatar espère conserver son titre acquis en 2019 face au Japon, aux Émirats arabes unis. Les cinq dernières années ont été mouvementées, turbulentes et donc incertaines : la Chine aurait dû accueillir l’événement, mais une combinaison de raisons politiques et sanitaires (sa politique « zéro Covid ») a réduit les ambitions du pays qui a finalement renoncé en 2022 à accueillir le tournoi.

Quand elle a gagné le droit d’organiser la Coupe d’Asie, en 2019, la Chine aspirait à devenir l’une des principales nations de football au monde. Or, ces rêves ont été contrariés par des joueurs peu performants, des politiciens qui s’immiscent dans le jeu et la prudence apparente des officiels chinois.

Le Qatar à nouveau au centre de l’attention

La Confédération asiatique de football (AFC) a donc rouvert les candidatures et reprogrammé la compétition en 2024, une opportunité fortuite pour le Qatar. Ayant dépensé 240 milliards de dollars pour accueillir la Coupe du monde, le pays pourra réutiliser ses nouvelles infrastructures et démontrer que l’organisation d’un tournoi peut avoir des retombées positives. Sur le plan régional, cela est d’autant plus important que, depuis 2019, l’Arabie saoudite voisine est devenue un sérieux rival pour les projets d’accueil d’événements sportifs du Qatar.

Néanmoins, le Qatar se retrouve une fois de plus au centre de l’attention, une position que le gouvernement du pays souhaite perpétuer. Lors de la Coupe du monde 2022, il s’est imposé comme un hôte fiable, capable d’organiser des événements avec succès, comme un point focal pour communiquer une vision de l’unité arabe et pour démontrer qu’il est un membre légitime et digne de confiance de la communauté internationale. Cette année, les responsables de Doha rechercheront sans aucun doute le même objectif, surtout au vu des récentes turbulences au Moyen-Orient.

Vue du stade Lusail de Doha au Qatar
Le stade Lusail de Doha, où s’est déroulé la finale de la Coupe du monde 2022, accueille le match d’ouverture, le 12 janvier. Ilus/Wikimedia, CC BY-SA

Ces dernières années, le Qatar s’est engagé dans la diplomatie entre les États-Unis et le gouvernement taliban en Afghanistan, a organisé un échange d’otages entre l’Iran et les États-Unis et a joué un rôle déterminant dans la négociation de la libération d’otages palestiniens et israéliens. Lors de la Coupe d’Asie, les responsables qataris devront déployer pleinement leur « soft power » (puissance douce) et leur diplomatie, notamment en raison de l’identité de plusieurs équipes qualifiées pour le tournoi.

Football et politique se mélangent

Les événements actuels au Proche-Orient ont entraîné la mort de plusieurs joueurs de football et la guerre a posé des problèmes à la sélection palestinienne pour se préparer au tournoi. Pour son premier match, l’équipe affrontera l’Iran, pays accusé par Israël, les États-Unis et leurs alliés d’être à l’origine des attaques du Hamas en Palestine et de soutenir le Hezbollah au Liban. Ce dernier participera également au tournoi, dans le même groupe que le Qatar et la Chine, à un moment de tensions croissantes, comme en témoigne la récente explosion terroriste à Téhéran.

Lors de la Coupe du monde 2022, l’Iran s’était attiré les foudres du monde entier, car à l’époque, des femmes du pays étaient arrêtées et battues pour avoir refusé de se couvrir la tête en public. Cette question pourrait resurgir une fois de plus, bien que l’apparition des Émirats arabes unis dans le même groupe que l’Iran et que la sélection palestinienne suggère que des questions plus importantes pourraient être soulevées – idéalement, le football et la politique ne devraient pas se mélanger, mais c’est très souvent le cas.

Tout au long du récent conflit au Moyen-Orient, Etihad Airways d’Abu Dhabi a été l’une des rares compagnies aériennes internationales à continuer à desservir Tel-Aviv. Cela fait suite à la normalisation de ses relations avec Israël en 2020, un processus qui a ensuite donné lieu à plusieurs accords dans le domaine du football. Mais le Qatar, pays hôte du tournoi, a toujours refusé de suivre le mouvement, tandis que l’Arabie saoudite est revenue sur sa volonté de normalisation à la suite de l’action militaire d’Israël à Gaza.

Une édition particulière

La Coupe d’Asie de cette année se déroulant dans un contexte de conflit et d’incertitude, l’Arabie saoudite s’y rend en essayant de se forger une réputation internationale plus progressiste et plus responsable. Cela n’a jamais été aussi évident qu’à travers ses récents investissements sportifs, en particulier dans le football. Il y a cinq ans, le royaume était arrivé deuxième de son groupe et avait quitté la compétition en huitièmes de finale, une performance décevante comparée à celle de ses petits voisins, le Qatar et les Émirats arabes unis (qui ont atteint les demi-finales).

Cette fois-ci, l’Arabie saoudite, qui a beaucoup investi dans l’acquisition de joueurs étrangers pour son championnat national, espère mieux jouer, voire remporter le tournoi, et projeter une image du pays qui attire l’attention de manière positive plutôt que négative. La Coupe d’Asie ne sera pas un test décisif pour évaluer le retour sur investissement de l’Arabie saoudite dans le football, mais les performances de l’équipe dans le tournoi donneront une indication de l’évolution du football dans le royaume.


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En ce qui concerne le soft power et l’attractivité, les pays du Golfe se retrouveront face à certains des meilleurs dans ce domaine, notamment le Japon et la Corée du Sud. Tous deux participeront au tournoi et ont une réputation bien établie pour ce qui est de séduire le public dans le monde entier, qu’il s’agisse des supporters japonais qui nettoient les stades après leur passage ou du Sud-Coréen Son Heung-min, véritable ambassadeur de la « vague Hallyu », qui désigne la politique de soft power du pays.

À ce mélange de tensions, d’attraction et d’intrigues s’ajoutent l’Australie et la Syrie, qui s’affrontent, même si leurs relations en dehors du terrain restent tendues (la première ayant bombardé la seconde au cours de la dernière décennie). L’Indonésie sera également présente, pays qui ambitionnait d’accueillir la Coupe du monde mais qui se serait retiré pour permettre à l’Arabie saoudite de devenir le favori pour l’organisation du tournoi de 2034. Il y a aussi l’Inde, une nation traditionnellement peu performante dans le domaine du football mais qui s’éveille peu à peu aux avantages économiques et politiques de ce sport.

Contrairement aux éditions précédentes, la Coupe d’Asie 2024 revêt une importance particulière. Certaines régions du continent sont en proie à des conflits, tandis que d’autres sont en train de devenir des puissances mondiales. Cela illustre la façon dont le monde pivote du Nord vers le Sud. Dans le même temps, le tournoi nous rappelle que ce pivot ne se fait pas nécessairement sans heurts, surtout en ces temps difficiles.

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